Libération

Hollande et les banlieues : chronique d’un désamour

Chômage, baisse du pouvoir d’achat, droit de vote des étrangers... Dans les quartiers populaires, les griefs sont nombreux contre la politique du Président. De Montreuil à Aulnay-sous-Bois, Libération donne la parole à ceux qui ont cru en François Hollande avant, rapidement, d’être déçus.

Le banlieusard a aimé le candidat Hollande. En 2012, lors de l’élection présidentielle, il a réalisé ses meilleurs scores au delà du périph. Le passage de Nicolas Sarkozy du côté de l’Elysée a aidé. Ses liens avec la banlieue ont toujours été tendus. Le «Kärcher», tout ça. Une aubaine pour François Hollande. Depuis, trois années se sont écoulées et le vent a tourné: une grande partie des 6 millions d’habitants des 1 500 quartiers prioritaires dresse un bilan peu glorieux. Ils pointent du doigt les promesses envolées. Cause à effet, les scores de la gauche en banlieue s’effritent à chaque élection. Les banlieusards veulent des symboles forts, des regards. Le gouvernement privilégie le travail de l’ombre, invisible aux yeux du monde.

Lundi, le chef de l'Etat, accompagné de onze ministres et du premier d'entre eux, était en Haute-Saône pour une opération «ruralités». La banlieue attend toujours son «opération». Pourtant, quelques semaines avant son transfert au ministère du Travail, Myriam El Khomri, était optimiste. L'ex-secrétaire d’Etat à la politique de la Ville racontait ses rencontres à travers les quartiers. Sans oublier ses priorités: rénovation urbaine, mixité sociale, participation citoyenne, soutien des entreprises et accompagnement de la jeunesse dans le monde de l’emploi. Elle disait: «Aujourd’hui, 30 000 jeunes sont déjà en contrat grâce aux emplois d’avenir et nous allons aller beaucoup plus loin.» Et que «François Hollande surveille les avancées comme le lait sur le feu.» Aujourd’hui, son portefeuille revient à son ministre de tutelle, Patrick Kanner, en charge de la Ville, de la Jeunesse et des Sports.

Dix ans après la mort de Zyed et Bouna et les émeutes à Clichy-sous-Bois, les associations se désolent. Le collectif ACLEFEU exprime son «mécontentement» et son «inquiétude» après le départ et le non-remplacement de Myriam El Khomri : «Comme de nombreux acteurs de terrain, nous avons le fort sentiment que cette décision d’Etat traduit, une nouvelle fois, un réel manque de considération pour les banlieues. Cette décision ainsi que les changements successifs de ministres (quatre ministres en à peine quatre ans) laissent penser que les banlieues françaises et leurs habitants ne sont pas une priorité pour notre gouvernement.»

Cet été, Libération s’est rendu dans quatre villes de banlieue parisienne pour rencontrer et décrire le sentiment des concernés. On a abordé différents thèmes: le chômage à Aulnay-sous-Bois, le droit de vote des étrangers à Aubervilliers, le délit de faciès à Vitry-sur-Seine et le pouvoir d’achat à Montreuil-sous-Bois.

«Le plus compliqué pour moi, ce n’est pas l’argent mais plutôt la fierté. Dire à mes gosses que je n’ai pas de boulot.» Stéphane

Aulnay-sous-bois

Des quartiers oubliés de l’emploi

Encore un matin. La gare RER d’Aulnay-sous-Bois absorbe les silhouettes sous un soleil fuyant. En silence, elles grimpent dans le wagon vers le charbon. Stéphane, lui, est posté au café du centre, à quelques mètres de la gare. Il marque l’arrêt, tous les matins de la semaine, après avoir déposé ses deux marmots à l’école. Stéphane, 39 ans, est au chômage depuis quelques mois. La petite boîte de coursiers qui l’employait a éteint la lumière. Depuis, il prépare sa reconversion dans un emploi en vogue dans les quartiers: «Je veux être ambulancier», lâche-t-il fièrement. En attendant, il compte ses sous et compte surtout sur le salaire de sa femme, assistante de direction. «Pour le moment, le plus compliqué pour moi, ce n’est pas l’argent mais plutôt la fierté. Dire à mes gosses que je n’ai pas de boulot», soupire-t-il. Fâché, il ajoute: «Dans mon quartier, la Rose des vents, un jeune sur deux est au chômage, pendant que François Hollande donne de l’argent aux entreprises qui refusent d’embaucher des jeunes de banlieue.» Stéphane a voté François Hollande en 2012. Aujourd’hui, il regrette.

A Aulnay-sous-Bois, on croise des déçus à tous les coins de rue. D’ailleurs, en 2014, lors des municipales, le très droitier Bruno Beschizza a éliminé le maire PS sortant, Gérard Ségura avec près de 60% des voix au second tour. La fermeture de l’usine Peugeot en 2013 n’est pas étrangère à ce désamour. Seuls 240 des 3 000 salariés de PSA vivaient à Aulnay, mais tous les habitants ont un ami, un voisin, qui a travaillé sur les lignes de production. Nombreux sont ceux passés pour un job d’été, un boulot en intérim. Aujourd’hui, plus rien. Et il faut trouver un coupable. «S’il y a autant de personnes déçues c’est parce qu’elles avaient misé gros sur François Hollande, surtout après le passage de Sarko», argumente Stéphane avant de payer l’addition. Et de s’éclipser.

«Je me suis déjà fait contrôler à Paris lorsque je vais boire un verre. Pire, dans les transports lorsque je vais en cours et, croyez-moi, cela n’arrive pas à mes copains de classe.» Amar

Vitry-sur-Seine

Contrôles au faciès, la routine

La cité Balzac a un nouveau style. Les trois grandes tours interminables ont été détruites et remplacées par des petits lotissements. De nouvelles têtes se sont installées, d’autres ont quitté le quartier. Un genre de mixité sociale. En début d’après-midi, quelques jeunes sont tranquillement posés devant le groupe scolaire du coin. Ils racontent la cité Balzac à l’aube des années 90. Une période compliquée. Les choses ont changé après le drame du 4 octobre 2002: Sohane Benziane, 17 ans, est découverte inanimée, gravement brûlée, dans un local à poubelles. Elle décède quelque temps après à l’hôpital. Depuis, la municipalité a retroussé ses manches et rendu la vie est moins rude. Mounir, la vingtaine pimpante, confirme et explique: «Ici, la seule chose qui n’a pas changé c’est le rapport avec la police. La BAC rôde toute la journée, nous dévisage, nous fouille…» Toujours le même disque. Amar, étudiant en droit, lui coupe la parole. «Le problème est ailleurs. C’est vrai que la police contrôle toujours les mêmes personnes. Mais moi, personne ne me contrôle à Vitry parce que je ne traîne pas. Par contre, je me suis déjà fait contrôler à Paris lorsque je vais boire un verre. Pire, dans les transports lorsque je vais en cours et croyez-moi, cela n’arrive pas à mes copains de classe», lâche-t-il froidement.

Le candidat François Hollande s’était engagé, en 2012, à lutter contre le délit de faciès. Une promesse vite tombée aux oubliettes, sous la pression du ministre de l’Intérieur de l’époque, Manuel Valls, soucieux de ne pas braquer les syndicats de policiers. L’idée d’un récépissé à remettre lors des contrôles d’identité avait, elle aussi, été abandonnée. Mais, le 24 juin, pour la première fois, l’Etat a été condamné pour des contrôles d’identité réalisés à l’encontre d’hommes noirs ou arabes. Une «faute lourde» qui pourrait faire jurisprudence à l’avenir. Une victoire pour toutes les associations qui luttent contre les discriminations. Régis, l’une des victimes du contrôle au faciès, a demandé «une modification» de la loi après sa victoire à la barre. Il a déclaré: «On demande à ce qu’on se fasse contrôler quand on est vraiment suspect de quelque chose, quand on a commis un délit, et qu’on nous fasse un récépissé.» Sur Quoimagueule.net, une pétition a été ouverte pour «en finir avec les contrôles au faciès». A La Rochelle, lors de l'université d'été du PS, certains députés ont tenté de relancer le débat. En vain. Le gouvernement a préféré éviter le sujet.

«On ne lui a rien demandé, c’est lui qui nous a fait cette promesse.» Binta

Aubervilliers

Des années en France, un travail, une famille, et toujours pas le droit de vote

Sur le boulevard de la République, Binta, 32 ans, marque une pause, sourit. L’assistante sociale remonte le fil de son histoire. Son père, originaire du Mali, a atterri en France au tout début des années 70. Il s’installe dans un foyer de travailleurs africains. Homme de l’ombre, Bouna turbine la nuit à l’usine. Les années passent lentement. Il retourne au Mali pour trouver sa femme. «Il rentre en France quelques jours après son mariage. Ma mère l’a rejoint l’année d’après», détaille Binta. Le couple s’installe à Aubervilliers. Très vite, la famille grandit. «Ma mère travaillait à mi-temps pour aider mon père et son petit salaire. Moi je m’occupais de mes quatre petits frères et sœurs après l’école. Ce n’était pas toujours simple mais on était heureux», explique l’assistante sociale. Aujourd’hui, Binta a quitté Aubervilliers pour Paris. Mais elle se rend dans le quartier où elle a grandi «une à deux fois» par semaine pour rendre visite à ses parents et «saluer» ses amis d’enfance. Son père est à la retraite, sa mère toujours femme de ménage à mi-temps.

La famille de Binta n’est pas une exception. A Aubervilliers ou ailleurs, on tombe sur ce profil à chaque étage. Celui du jeune homme qui quitte son pays de naissance pour travailler en France avant de s’installer avec sa femme et fonder une famille. Mais, après des années passées sur le territoire français, ils n’ont toujours pas le droit de vote lors des élections locales. Alors que les politiques se succèdent et promettent. Le dernier en date, François Hollande. Binta est en colère: «On ne lui a rien demandé, c’est lui qui nous a fait cette promesse. Je sais que mon père serait tellement fier de voter. Il n’en parle pas mais il est déçu, avec Hollande, il pensait que c’était la bonne.» Binta et ses frères et sœurs ont tous voté pour François Hollande qui a obtenu près de 73% à Aubervilliers. Elle regrette, «presque», son choix. En banlieue, derrière la question du droit de vote, il y a celle du manque de représentativité des élus. A Aubervilliers – 76 000 habitants dont un tiers d’étrangers – le maire est élu avec un peu moins de 10% des habitants. Un problème démocratique.

«Je vois des familles qui passent tous les étés dans le coin alors que les deux parents bossent.» Brahim

Montreuil

La vie chère au quotidien

Le soleil domine sur les hauteurs de Montreuil. A l’heure d’été, le quartier affiche presque complet. «Partir en vacances est un luxe», argumente Brahim avant de replonger dans ses souvenirs: «Enfant, je partais tous les étés avec mes deux frères et ma sœur. Ce n’était pas toujours simple, mais mon père se débrouillait pour nous envoyer en Algérie ou ailleurs. Aujourd’hui, c’est différent. Je vois des familles qui passent tous les étés dans le coin alors que les deux parents bossent. La vie est devenue plus chère et plus compliquée pour tout le monde.» Brahim est animateur en centre de loisirs. La journée, il multiplie les activités avec les gamins de la cité. A la tombée de la nuit, il se pose «souvent» près de chez lui avec ses potes pour refaire le monde. Ce soir, ils sont une petite dizaine. Le foot est au centre de la discussion. A l’heure de la cinquième et dernière prière du jour, Al isha, certains filent à la mosquée. Les minutes passent. Les fidèles retrouvent le groupe. Au fil de l’échange, le foot s’éloigne, François Hollande arrive. Ici, comme ailleurs en banlieue, les liens entre les politiques et la jeunesse sont abîmés. La faute, entre autres, «aux fausses promesses et au manque de représentativité à l’Assemblée nationale», explique Brahim avant de laisser la voix à ses camarades

Nabil, chauffeur de bus, a voté pour le candidat socialiste en 2012. Il se souvient: «Après les années Sarkozy, Hollande a apporté une touche de sincérité, c’était vraiment un mec normal.» Puis ? «J’ai eu l’impression que le costume était un peu trop grand pour lui. Il m’a un peu déçu.» Abdoulaye, le plus discret, n’a pas voté en 2012, «rien à foutre des politiques», dit-il avant de replonger sur son smartphone. Icham, le plus bavard, monopolise le temps de parole. Il a glissé un bulletin Mélenchon avant de se rabattre vers François Hollande au second tour. Selon lui, après trois ans au pouvoir, le président de la République, qui avait réussi à prendre contact avec la banlieue, a «perdu la main». La faute aux promesses perdues.

La bande liste les raisons du désamour. Toujours les mêmes. Puis elle cite le mariage pour tous en exemple. Icham garde la main: «A peine en place, il fait passer le mariage pour tous. Et pour nous, rien. C’est vrai qu’il avait promis cette loi mais il avait aussi promis de lutter contre la discrimination, de faire baisser le chômage et le droit des votes des étrangers. Pourquoi il se bat pour eux et pas pour nous. Pourquoi les familles galèrent pour remplir le frigo ? Vous avez une raison ?» La majorité du groupe est contre le mariage pour tous. D’ailleurs, durant les dernières municipales, la droite a brandi cette loi pour draguer les électeurs musulmans. Nabil n’est pas «tombé dans le panneau». Mais il a tout de même un sale goût dans la bouche: celui d’avoir été, une nouvelle fois, «oublié».

Texte : Rachid Laïreche
Graphisme et illustration : Emilie Coquard
Développement : Paul Joannon