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Libres dans le village Alzheimer - Hogewey au Pays-Bas

Autonomes, plutôt bien portants, les résidents se promènent seuls ou accompagnés dans le village, à pied, à vélo... ou en tandem !
Autonomes, plutôt bien portants, les résidents se promènent seuls ou accompagnés dans le village, à pied, à vélo... ou en tandem ! © Paul Tolenaar
Par Daphné Mongibeaux , Mis à jour le

Ce n’est plus une malédiction d’avoir la mémoire qui flanche. A Hogewey, un hameau des Pays-Bas, les malades d’Alzheimer vivent dans un décor qui correspond à leur profil – les créatifs, les bourgeois, les travailleurs... – et chacun est libre d’entrer et sortir de chez lui. Les résultats sont si positifs qu’un village des Landes devrait ouvrir sur le même modèle en 2017. A la veille de la Journée mondiale Alzheimer, le 21 septembre, bienvenue dans un monde où la raison fluctue mais pas l’intelligence thérapeutique.

Aux Pays-Bas , le ciel est haut et l’horizon file. Il paraît qu’on y voit plus loin qu’ailleurs. A ­Hogewey, alors que le soleil se couche lentement, Clara caresse les jonquilles sur la table du salon et Franz, les mains dans les poches, ­s’arrête, interdit, devant ses toiles exposées dans le couloir de la maison créative. Ici, la vie s’éteint avec élégance, sur fond de ­musique classique. Comme dans une peinture ­flamande, le crépuscule est infini.

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Les résidents de Hogewey sont ­atteints d’Alzheimer ou de démences avancées. Que savent-ils de cet endroit unique au monde ? Réalisent-ils qu’ils ­habitent un lieu protégé où tout est fait pour ressembler à la vie normale ?

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La socialisation est importante. Les résidents et les visiteurs se rencontrent sur la place du village, où l’on trouve un bar, un restaurant, un cinéma et un théâtre.
La socialisation est importante. Les résidents et les visiteurs se rencontrent sur la place du village, où l’on trouve un bar, un restaurant, un cinéma et un théâtre. © Paul Tolenaar

Prisonniers de leurs pensées avortées, ils sont libres dans leurs égarements. Les portes des 23 maisons sont ouvertes, ainsi que le café, le restaurant, le supermarché et le théâtre. Les employés connaissent les 152 habitants et peuvent les ramener chez eux si leur promenade se prolonge un peu trop, ou les réorienter s’ils tentent de passer l’entrée principale. « A ­Hogewey, les résidents sont mouillés par la pluie quand ils sortent de chez eux. Ils sont en contact avec l’environnement et le monde extérieur. C’est ce que nous voulions », explique Yvonne Van Amerongen, cofondatrice du village.

Des décors variés, en fonction des personnalités et des goûts de chacun. Ci-dessus, dans la maison créative, Franz a réalisé le tableau de sa chambre.
Des décors variés, en fonction des personnalités et des goûts de chacun. Ci-dessus, dans la maison créative, Franz a réalisé le tableau de sa chambre. © Paul Tolenaar

Tout le monde peut venir à Hogewey pour dîner au restaurant, faire ses courses, voir une pièce de théâtre ou boire un verre en tête à tête avec une personne atteinte de démence sur la place du village, près du parking à vélos. Il suffit de se présenter à l’accueil. Des visites groupées payantes sont également organisées pour faire connaître le concept, alimenter un peu les caisses de cet établissement public et créer du va-et-vient avec l’extérieur. D’après la direction, les habitants de Weesp – la ville qui abrite Hogewey, ­située à une vingtaine de kilomètres d’Amsterdam – viennent régulièrement faire un tour dans ce lieu étrange, à la frontière du réel.

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Hogewey est financé entièrement par la ­Sécurité sociale néerlandaise

« Certains visiteurs font référence au film “The Truman Show” en parlant de Hogewey. Nous refusons cette comparaison : tout est parfaitement normal, ici, se défend Yvonne Van Amerongen. Ailleurs, les personnes accueillies en maison de ­retraite traditionnelle n’ont aucun contact avec la société, elles sont dans un environnement hospitalier où tout les ramène à la maladie et à leur finitude. Nous avons voulu créer un endroit plus respectueux de la vie humaine. Les résidents vivent dans des maisons qui leur ressemblent, se lèvent, se couchent et prennent leurs repas aux heures qui leur conviennent, ­aident aux courses, font la cuisine et peuvent participer, quand ils en ont envie, à des activités en tous genres, comme aller se promener seuls à pied ou à vélo dans le village ou en ville, accompagnés alors de l’un de nos 120 volontaires », ajoute-t-elle. Tout est fait pour les empêcher de s’enfoncer dans la nuit.

Dans le village, une supérette où peuvent se rendre les résidents, accompagnés ou non.
Dans le village, une supérette où peuvent se rendre les résidents, accompagnés ou non. © Paul Tolenaar

C’est à la mort de son père, en 1992, décédé brutalement à 63 ans, qu’Yvonne réalise qu’elle n’aurait pas supporté de le voir vieillir dans l’établissement qu’elle dirigeait. Le concept de Hogewey germe ex nihilo et voit le jour en 2009 sur les ruines de l’ancienne ­maison de retraite.

Une habitante de la maison bourgeoise, dans un décor qui lui correspond, la cuisine en arrière-plan.
Une habitante de la maison bourgeoise, dans un décor qui lui correspond, la cuisine en arrière-plan. Paul Tolenaar

Financé entièrement par la ­Sécurité sociale néerlandaise, il a très vite remporté un vif succès aux Pays-Bas, où l’on compte actuellement plus de 100 000 personnes atteintes d’Alzheimer sur ­environ 17 millions d’habitants (85 % d’entre elles sont d’ailleurs maintenues à domicile). Le chiffre devrait doubler d’ici à 2020. Le prix est identique à celui des autres établissements publics du pays, soit 5 000 euros par mois, dont une partie est remboursée par la Sécurité sociale aux ­résidents en fonction de leurs cotisations. La liste d’attente de Hogewey s’allonge : elle est actuellement de neuf à douze mois, alors qu’elle serait inexistante dans les maisons de retraite traditionnelles.

Accrochée au bras de son mari, Karel, atteint d’une démence fronto-temporale, Claire parle d’un endroit « fabuleux » qui a redonné vie à son époux. « Auparavant, il était dans une structure où on le laissait s’éteindre, il n’avait aucune stimulation. Ici, je le sens beaucoup plus présent. Je viens le voir tous les jours et, à chaque fois que je m’en vais, je suis heureuse. Avant, j’étais profondément triste », confie-t-elle avec beaucoup d’émotion tandis que « La Traviata » résonne dans le salon de la maison créative.

Les différentes maisons donnent sur un jardin. Les activités manuelles et artistiques sont permanentes.
Les différentes maisons donnent sur un jardin. Les activités manuelles et artistiques sont permanentes. © Paul Tolenaar

Comme les autres habitations, cet ­appartement a été conçu et décoré suivant le profil de ses sept occupants. Il correspond à l’un des « lifestyles » de Hogewey. « Nous avons travaillé avec des sociologues néerlandais qui ont déterminé les ­catégories renvoyant aux modes de vie de notre population : chrétiens, travailleurs, bourgeois, Indonésiens, urbains, créatifs et casaniers. Nous avons voulu recréer les ­environnements dans lesquels nos résidents ont évolué toute leur vie. Cela leur donne des repères, les rassure, les calme. Ils doivent se sentir chez eux. Nous avons donc mis au point un questionnaire soumis à la famille du futur résident, qui nous ­permet de déterminer le style de vie dans lequel il se sentira le mieux », ­explique Yvonne Van Amerongen.

Décoration des œufs de Pâques.
Décoration des œufs de Pâques. © Paul Tolenaar

En face de la maison créative, à la bibliothèque très fournie, aux plantes vertes luxuriantes et aux murs du salon peints de couleurs vives, on trouve la maison bourgeoise, avec lustres en cristal, tapisseries de soie beige et personnel de maison. Les habitants de cette colocation, composée de six femmes et un homme, participent moins aux activités proposées par les 25 clubs (chorale, théâtre, gymnastique, cuisine, marché…), mais passent de longues heures à regarder Anne, 24 ans, appliquée aux tâches domestiques. « Ici, on ne s’adresse pas aux résidents par leur prénom mais on les appelle “Mrs.” ou “Mr.”.

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Contrairement aux autres maisons ici, la cuisine est séparée du salon, cachée derrière un muret. Les locataires veulent manger tous les jours de la viande, des pommes de terre, des légumes verts, et la plupart d’entre eux (ou plutôt d’entre elles) tiennent à leur verre de “bon” vin le midi (pas celui de la supérette) ! Personne ne me propose son aide pour préparer les repas ou plier le linge : je suis la bonne », plaisante Anne ­devant une tablée de femmes bien mises et absentes devant leur tasse de thé, leur coloriage ou la main sur leur sac à main. Sanne, chargée de communication, paraît également très surprise par cette maison où chacun semble jouer un rôle.

Un dîner original au village Alzheimer

 Un peu plus loin, comme sur un ­immense plateau de tournage de sitcoms à ciel ouvert, la maison des travailleurs. Rinus, 82 ans, ancien mécanicien, est confortablement installé devant Eurosport. Il siffle et claque des doigts toute la journée, ce qui cause quelques différends avec ses six colocataires, cinq hommes et une femme… Ici, la déco est plutôt champêtre, avec des paniers en osier et des meubles en bois sombre. Près de la télé, l’intégrale de Laurel et Hardy et celle d’André Rieu. Feans, 86 ans, tente de chatouiller une visiteuse tandis qu’un autre colocataire se prépare à aller au coin ­fumeur, sous le porche. Ce soir, Magnolia, comme toutes ses collègues « care workers » (employés de maison et chargés des soins), délivre aux habitants « ex-travailleurs » leurs médicaments prescrits par l’un des trois médecins.
Les différentes maisons donnent sur un jardin. Les activités manuelles et artistiques sont permanentes
Les différentes maisons donnent sur un jardin. Les activités manuelles et artistiques sont permanentes © Paul Tolenaar

En dehors des traitements permettant d’atténuer les symptômes dégénératifs, la consommation de somnifères et d’anxiolytiques baisserait au fil du séjour. « On se rend compte que l’anxiété des pensionnaires diminue au cours des mois passés ici, se réjouit Magnolia. Le fait de retrouver des repères, une certaine liberté d’aller et venir et un contact avec l’extérieur semble être apaisant ; les résidents sont moins agressifs envers eux-mêmes et le personnel que dans les maisons de retraite traditionnelles. Du coup, ici la vie dure un peu plus longtemps… » Car à Hogewey, on meurt dans son lit, comme à la maison. Discrètement, pour ne pas effrayer les autres résidents. Le personnel veille et se relaie au chevet de celui qui part. Il n’y a pas de sirène, de lumière blafarde ni d’odeur d’hôpital, mais un air de ­musique classique qui résonne dans un dernier souffle.

« On aimerait ouvrir le village en 2017 » Henri Emmanuelli, député des Landes
Henri Emmanuelli
Henri Emmanuelli © Stéphane Mahé/Reuters

Paris Match. A quoi va ressembler le “village Alzheimer” landais ?
Henri Emmanuelli. Il sera largement inspiré de l’exemple hollandais. On y trouvera une supérette, des structures culturelles et sportives, mais aussi des installations numériques tournées vers le sensoriel. Les résidents évolueront dans un environnement rappelant le style landais. En revanche, il n’y aura pas de ségrégation sociale comme à Hogewey. Ce n’est pas vraiment reproductible chez nous ; nous ne sommes pas des parpaillots nordiques, mais plutôt des faux-culs latins ! Les personnes pourront bien sûr se regrouper par affinités, mais cela restera un choix.

Où en est le projet ?
Nous espérons ouvrir le village en 2017. Nous venons d’obtenir sa validation par l’Etat et, pour le moment, nous étudions une candidature dans l’agglomération de Dax. Nous sommes en phase de conception du contenu du projet. La construction sera subventionnée par le département et nous cherchons d’autres sources de financement. Les résidents seront des personnes atteintes d’Alzheimer à un stade avancé, originaires des Landes et d’ailleurs. Comme dans toutes les maisons de retraite du département, nous voudrions que cette structure soit agréée par l’aide sociale. Le prix sera le même que dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) landais, soit entre 60 et 70 euros par jour. On aimerait également accueillir une unité de recherche qui pourrait mener une étude clinique. Cela n’a jamais été pratiqué dans une maison de retraite et apporterait du crédit à notre projet.

La population est-elle particulièrement vieillissante dans les Landes ?
Non, elle l’est moins que dans les départements ruraux comme le Gers, le Lot-et-Garonne ou la Dordogne… Dans les Landes, nous ­bénéficions d’un apport de “sang frais” grâce à l’attraction du littoral et du prix du foncier qui est intéressant. Notre problème, comme partout ailleurs, est que la Sécurité sociale ne délivre plus de places en Ehpad car, depuis le gouvernement Fillon, elle refuse de prendre en charge du personnel soignant. Tout le monde n’a pas les moyens financiers d’aller dans un établissement privé, ni les capacités motrices de rester chez soi malgré une aide. Ce projet m’a paru être un moyen de contourner la difficulté par le haut.  Interview Daphné Mongibeaux

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