REPORTAGE - Saïd se retourne une nouvelle fois. Le sac en plastique qu’il tient dans sa main gauche est déchiré, et à chaque pas, par en-dessous, des noix tombent par deux trous. Saïd n’a pas remarqué que son sac fuit. Il fait signe à son épouse, qui marche à quelques mètres derrière lui.
Cela fait 13 jours que ce couple de jeunes Syriens a quitté son pays pour prendre le chemin de l’Europe de l’ouest. Ils auraient voulu aller plus vite. Ils comptaient être arrivés à Vienne, chez le cousin de Saïd, dès ce mercredi. Mais pour l’heure ils n’en sont qu’à la frontière serbo-croate - nouveau lieu d’espérance pour les nombreux réfugiés bloqués en Hongrie.
Saïd ne veut pas être reconnu. Nous l’avons donc photographié à distance. Il attend ici à Tovarnik de se faire enregistrer pour la prochaine navette en partance pour Zagreb. (Crédit : Christoph Asche/HuffPost)
Depuis que le président hongrois Viktor Orbán a imposé il y a quelques jours une fermeture totale de la frontière avec la Serbie, le flux de réfugiés est interrompu. Ceux qui sont en Serbie ne peuvent aller plus loin.
Ce mercredi, Saïd et sa femme font partie de ces centaines de réfugiés qui tentent leur chance vers la Croatie. Ils sont ici dans l’UE et, un pays plus loin, en Slovénie, l’espace Schengen les attend.
"Thank you, thank you", répète Saïd à n’en plus finir, alors que des policiers croates les invitent à monter à bord d’un fourgon grillagé, qui une fois les portes fermées les emmène dans un premier temps vers la ville croate frontalière de Tovarnik. Un homme originaire du Soudan, la chemise ouverte et un gros sac sur le dos, a plus de temps pour raconter son périple.
Marcher dans un champ de mines n’effraie pas les réfugiés
Ils ont tous été emmenés de Belgrade en bus ce matin, jusqu’à la ville serbe de Sid. "Par là-bas", dit-il en montrant la direction du chemin de terre qu’il vient juste de laisser derrière lui. Il a fait un bout du chemin en taxi, raconte-t-il. Et puis il a continué à pieds, comme les autres.
Cet homme a fui le Soudan. A la question "D’où viens-tu ?", il répond seulement : "de Dieu". (Crédit : Christoph Asche/HuffPost)
Le parcours conduit les réfugiés à travers les champs de maïs et les forêts serbes, où doivent encore subsister des mines datant de la guerre d’indépendance croate. Ce mercredi ont été diffusées sur Internet des cartes de la région frontalière serbo-hongroise, sur lesquelles les zones potentiellement minées sont marquées par des drapeaux rouges.
Les réfugiés ne se laissent pas dissuader. Pas par des champs de mines.
A Tovarnik, du côté croate de la frontière, ils descendent des voitures de police qui arrivent chaque minute, pour être conduits dans une zone d’attente fermée.
A Tovarnik, les réfugiés attendent d’embarquer dans des navettes qui les emmèneront jusqu’à Zagreb. (Crédit : Christoph Asche/HuffPost)
L’ensemble du système en place montre que les autorités se sont préparées à cet afflux. Le gouvernement croate a envoyé plus de 5 000 policiers sur la frontière, depuis qu’il est devenu clair que la Croatie courait le risque de devenir une nouvelle Hongrie.
Ce mercredi matin, les premiers réfugiés ont essayé de franchir le point de passage Sid/Tovarnik sans s’enregistrer. Les policiers croates les ont ensuite rattrapés dans les champs environnants.
Un policier croate attend l’arrivée d’une nouvelle voiture de police qui doit transporter les réfugiés vers la petite ville de Tovarnik, à proximité. (Crédit : Christoph Asche/HuffPost)
Mercredi soir a couru la rumeur parmi les réfugiés que la navette les conduirait de Tovarnik jusqu’à Berlin. Mais d’après la police, ils sont d’abord emmenés vers Zagreb. Sinon ils ne contrôleraient plus rien, relève un fonctionnaire croate.
Les réfugiés sont transportés dans ce fourgon de police avec une grille de sécurité pour traverser la frontière entre la Serbie et la Croatie (Crédit : Christoph Asche/HuffPost)
Reste à voir si le pays, qui connaît un taux de chômage de 20%, est armé pour recevoir des milliers de réfugiés, suite aux nombreuses fermetures de frontières des pays voisins. Il est en tout cas désormais plus probable qu’il devienne le nouveau pays de transit de l’Europe.
Contrairement à la Hongrie, il ne ferme au moins pas la porte aux personnes en détresse. Cela se traduit dernièrement par 3 000 demandes de prise en charge. Le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker avait proposé le chiffre d’un millier de personnes pour ce pays.
(Notre reporter Christoph Asche a mis en ligne un court reportage vidéo sur l’arrivée des réfugiés à la frontière serbo-croate. Vous pouvez le visionner ici.)
Cet article, publié à l’origine sur le Huffington Post allemand, a été traduit de l’allemand par Mathieu Bouquet.