Partager
Politique

Ce que paye vraiment Manuel Valls en chutant dans les sondages

Les Français lui font payer au prix fort un coup de menton qui, dans la polémique avec Macron sur les 35 heures, a brouillé son image réformatrice. Et s'il était devenu trop hollandais?
1 réaction
Manuel Valls
Le Premier ministre Manuel Valls, le 15 juin 2015 à Matignon.
MARTIN BUREAU / AFP

Quels que soient les sondages, Manuel Valls est à la baisse. Le plus significatif, réalisé par un des plus sérieux des instituts, Ipsos en l'occurrence, le crédite d'une chute de huit points, en septembre, dans une question portant sur "son action en tant que Premier ministre". Cela le place pas bien loin d'un niveau que d'autres avant lui, de Juppé à Ayrault en passant par Raffarin, avaient déjà atteint lorsqu'ils furent contraints de quitter Matignon. En même temps, Valls a déjà connu pire, il y a à peine un an, quand il fut pris dans les remous de la démission de Montebourg and Co, sans que ses assises politiques en soient durablement ébranlées.

Ce trou d'air pourrait donc sembler anecdotique ou anodin au motif que la météo sondagière, elle aussi, est parfois soumise à des variations saisonnières.

Il mérite toutefois d'être regardé de près en raison de sa brutalité et surtout du contexte dans lequel il intervient. Valls chute, en effet, alors que d'un simple point de vue technique, la rentrée de 2015 est la plus réussie depuis l'arrivée au pouvoir de François Hollande. On pourra toujours dire que ça n'était pas difficile... Il n'en reste pas moins que, pour la première fois, l'exécutif a su imposer son agenda et, au-delà, les thèmes qu'il souhaite mettre en avant.

Baisses d'impôts, réforme du droit du travail : les dossiers sont désormais sur la table, sans polémiques excessives. C'est autour des propositions du gouvernement que s’organise le débat public. La rentrée scolaire que l'on disait à haut risque a été globalement maîtrisée. Quand l'actualité, avec les migrants, est venue bousculer ces rendez-vous prévisibles, la réactivité des autorités publiques n'a pas été à ce point défaillante qu'on puisse parler d'un manque de professionnalisme. Bien au contraire et cela d'autant plus que la cacophonie à droite, sur tous ces sujets, est venue souligner un ordre gouvernemental dont la gauche n'était guère coutumière dans un passé récent.

L'opinion troublée par une image brouillée 

À son poste, Valls n'est pas le seul acteur de cette incontestable réussite. Reste que lorsque Matignon n'est pas à la hauteur, inévitablement, c'est tout le système qui dévisse. Rien de tel cette année et pourtant, à l'évidence, l'opinion ne suit pas. On pourra toujours dire que le manque de résultat visible sur le front de la croissance et surtout de l'emploi a fini par la lasser et qu'elle sanctionne donc, en priorité, au sein de l'exécutif, celui qui suscitait chez elle d'ultimes espoirs. Il n'empêche que pour expliquer un aussi brusque désamour, on ne peut se contenter de pareille explication. Valls paye. Il paye plus que Hollande qui a déjà entamé, de longue date, son capital de confiance. Mais que paye-t-il vraiment?

Au cours des dernières semaines, le Premier ministre a été très présent mais, paradoxalement, peu visible. Il s'est comporté comme un chef d'équipe, les deux mains dans le cambouis de la machine gouvernementale. Il a fait le job, à son poste, d'une manière réaliste et équilibrée. Son but n'est pas de faire des étincelles mais, au contraire, d'éteindre les foyers de crise avant qu'ils ne deviennent des incendies politiques. L'exercice est donc par nature, peu spectaculaire. Sauf quand il met en scène celui qui tient ce rôle du pompier dans un registre trop décalé pour ne pas brouiller son image.

Quand Valls fait tourner la boutique, il est tel que l'opinion le connaît et l'attend. Bref, professionnel. En revanche, quand il remet en place Macron sur la question des 35 heures, il quitte son habit de grand réformateur, un tantinet transgressif, pour enfiler non pas celui de l'homme d'ordre mais de l'équilibriste, façon hollandaise, soucieux de synthèse et rétif devant tout ce qui pourrait troubler les vieilles habitudes de son camp. Or dans cette rentrée 2015, tout se passe comme si l'opinion, au sens large, n'avait retenu chez le Premier ministre, que ce qui l'a surpris ou déçu.

Après la sortie de son ministre de l’Économie, lors de l'université de Medef, Valls a choisi, pour des raisons propres aux enjeux socialistes, de taper vite et fort. La question n'est pas de savoir s'il a eu raison de le faire ou s'il a ou non choisi le beau rôle. Dans cet épisode apparemment secondaire de la vie politique, le Premier ministre a surtout pris un risque qu'il n'imaginait pas alors même qu'il passe pour un homme obsédé par les lois de la communication. C'est au moment même où il assumait, comme disait Rocard, "le devoir de grisaille" propre à sa mission de Premier ministre qu'il a braqué le projecteur sur "ce qui ne lui ressemble pas", comme disait Jospin. Autrement dit, sur son peu d'appétence pour la réforme qui bouscule, alors que se rapprochent des échéances électorales décisives qui réclament rassemblement et unité.

La leçon que Valls va tirer de ce faux pas

La facture est tombée. Elle est lourde. Est-ce toutefois celle d'un simple incident de parcours que les Français oublieront vite? Tout dépendra en fait de la leçon que Valls va tirer de ce faux pas. Il peut se contenter de penser qu'on ne l'y reprendra plus, tout en se persuadant de n'avoir troublé que cette opinion libérale qui entend l'entraîner bien plus loin qu'il ne peut. Le problème est que sa chute de septembre n'est aussi brusque que parce qu'elle dépasse ce seul facteur d'explication. Valls a perdu dans toutes les catégories de l'opinion. C'est la preuve que son image globale est atteinte et que pour rattraper le terrain perdu, il ne pourra pas se contenter d'une simple inflexion ou d'un peu plus de prudence dans la gestion de ses pulsions personnelles.

C'est au contraire dans un arbitrage d'une toute autre difficulté que va se jouer cette nouvelle partie dont dépend désormais l'avenir du Premier ministre. En entrant à Matignon, Valls a choisi une voie qui, avec le temps, est devenu de plus en plus évidente et coûteuse. C'est celle d'une fidélité absolue à son «premier de cordée». Avec le risque d'un de ces tons sur tons qui le transformerait progressivement en une sorte de doublure du Président. Cette hollandisation était déjà manifeste dans cette incroyable photo qu'au cours de l'été 2014, le chef de l’État avait imposé à son Premier ministre à l'occasion d'une séance de travail, à Brégançon. Deux hommes à l'air coincé, face à face, autour d'une table. Même attitude, même habit, même profil... Dans le genre, on n'avait jamais fait mieux pour imposer l'idée d'une parfaite ressemblance.

La contrainte du rôle sacrificiel

Or, c'est exactement la même idée que l'on retrouve, aujourd'hui et que Valls a surligné à travers une condamnation de Macron qu'il aurait très bien pu s'épargner sous cette forme. Cette identité de positionnement entre le Président et son Premier ministre les met sur un pied d'égalité, dans les sondages. Les voilà bientôt tous les deux aussi impopulaires. Reste que dans la gestion de la suite, Hollande peut se contenter d'un chef de gouvernement capable de tenir la boutique. Il peut même se satisfaire d'un système où quelques ministres, triés sur le volet, auraient le droit d'explorer, à leurs risque et périls, des territoires longtemps ignorés par la gauche. Mais Valls, en revanche, a-t-il quelque chose à gagner en restant, jusqu'à la prochaine présidentielle, ce fusible dont on sent bien qu'il peut fondre à tout instant?

Dans la conception vallsienne des institutions de la Ve République, ce rôle un brin sacrificiel est une contrainte dont l'unique avantage est de préparer celui qui s'y soumet à d'autres aventures, en d'autres occasions, lorsque le Président sortant aura passé la main. Dans la conception vallsienne de l'ambition, c'est, au contraire, dans la construction progressive d'une image suffisamment originale pour être reconnue durablement par l'opinion qu'est la vraie clé de la réussite. Se caler ou se décaler: telle est, au fond, la question du moment. Elle n'est ni simple, ni nouvelle. Elle se pose avec d'autant plus d'acuité que, dans un cas comme dans l'autre, Valls peut avoir le sentiment passager d'être, quoi qu'en disent certains autour de lui, l'homme de la situation. Son gadin de septembre dans les sondages, venant après son faux-pas de l'affaire Macron, est, à ce titre, une manière d'avertissement. Il dit au Premier ministre qu'il va devoir choisir et que ce choix va sans doute l'engager jusqu'à la fin du quinquennat. Tout simplement.

1 réaction 1 réaction

Centre de préférence
de vos alertes infos

Vos préférences ont bien été enregistrées.

Si vous souhaitez modifier vos centres d'intérêt, vous pouvez à tout moment cliquer sur le lien Notifications, présent en pied de toutes les pages du site.

Vous vous êtes inscrit pour recevoir l’actualité en direct, qu’est-ce qui vous intéresse?

Je souhaite TOUT savoir de l’actualité et je veux recevoir chaque alerte

Je souhaite recevoir uniquement les alertes infos parmi les thématiques suivantes :

Entreprise
Politique
Économie
Automobile
Monde
Je ne souhaite plus recevoir de notifications