INTOX Voilà un retournement comme la presse les aime. Le père d'Aylan, l'enfant retrouvé mort sur une plage turque, aurait été en fait un passeur. Après la perte de ses fils et de sa compagne dans le naufrage de leur embarcation, l'homme avait raconté le drame sur toutes les chaînes de télé. Face à la mer déchaînée, il aurait pris la tête du bateau après la fuite du passeur. Puis un mouvement de foule aurait fait chavirer l'embarcation.
Mais d’autres témoignages sont rapidement venus mettre en cause sa déclaration. Dont celui de Zainab Abbas, une survivante irakienne qui avait emprunté le même bateau. Sur la chaîne australienne Ten News, la jeune mère raconte que le père d’Aylan a en réalité conduit le bateau depuis le début de la traversée.
A quoi le père d'Aylan a répondu en niant en bloc et maintenant sa version dans une déclaration au Wall Street Journal.
Alors, aux commandes du bâteau ? Ou pas ? Et cela faisait-il de lui un passeur? Les spécialistes de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime expliquent que les passeurs ne sont généralement pas à bord de leurs embarcations et confient plutôt à un passager le rôle de conduire le bateau à bon port, parfois contre une ristourne. Aurait-ce été son rôle?
Mais dans son dernier numéro daté de jeudi, Valeurs actuelles enfonce le clou, assurant que la passagère survivante aurait déclaré avoir versé, pour la traversée, 10 000 dollars à Abdallah Kurdi lors d'un rendez-vous dans un café. Ce qui, sans l'ombre d'un doute, en ferait un passeur.
Et d'ailleurs, de doute, Arnaud Folch, directeur des rédactions de Valeurs actuelles n'en a aucun. Sur Europe 1, jeudi, il vendait le scoop de son hebdo en ces termes : «Cette semaine dans Valeurs actuelles, on sera le seul journal à dire sur une pleine page et à révéler ce que personne ne veut dire, à savoir que le père du petit Aylan, c'était un passeur. Il s'est fait payer 10 000 dollars! 10 000 dollars par une personne qui était sur son canot. Le Wall Street Journal en a parlé. Le daily Telegraph en a parlé. En France, personne, personne n'en a dit un mot. C'est une véritable scandale»
A partir de 19mn
DÉSINTOX Le problème, c'est que cette information... n'en est pas une, et provient en fait de l'erreur d'un quotidien australien. Reprenant dans un article l'interview de la chaîne australienne Ten News, le Sydney Morning Herald affirme que Zainab Abbas a évoqué la présence du père d'Aylan dans le café, au côté d'un autre homme. Mais il s'agit d'une erreur de transcription: comme on peut l'entendre dans la vidéo, l'Irakienne raconte en fait que l'argent n'est allé qu'à un seul homme, seul lors du rendez-vous. Un homme qu'elle nomme,et qui n'est pas Abdallah Kurdi.
A partir de 50s
La retranscription erronée des propos a ensuite été reprise par quelques autres médias, comme la station de radio canadienne CBC , un site suisse, ou un site néo-zélandais qui reprend le texte de son confrère australien... En revanche, contrairement à ce qu'affirme le directeur des rédactions de Valeurs actuelles, l'info (sic) ne s'est pas trouvée dans les colonnes du Wall Street Journal ni du Daily Telegraph.
Elle est en revanche bien arrivée à Valeurs actuelles, où elle figure donc en bonne place, dans un dossier intitulé : «Migrants : on vous ment». Ce qui est (au moins) cocasse.