Finalement, la Réserve fédérale (Fed) n’est pas passée à l’acte. A l’issue de deux jours de réunion de son comité de politique monétaire, la banque centrale américaine a annoncé, jeudi 17 septembre, qu’elle laissait ses taux d’intérêt inchangés, proche de zéro. « Les récents développements économiques et financiers mondiaux peuvent refréner l’activité et sont susceptibles d’exercer à court terme davantage de pression à la baisse sur l’inflation », justifie le communiqué de la Fed.
C’est donc le contexte international, et non pas la solidité de l’économie américaine, qui a persuadé la Fed de patienter encore un peu pour opérer un resserrement monétaire. Il s’agit d’une lecture assez inédite dans la mesure où la banque centrale s’abstient généralement de commenter la situation en dehors de ses frontières. Ce qui en dit long sur les inquiétudes que suscitent le ralentissement de la conjoncture en Chine, la récession au Brésil et en Russie, ainsi que la nervosité des marchés financiers, extrêmement volatils ces dernières semaines.
Le krach boursier du 24 août, qui avait provoqué une chute de mille points en une séance de l’indice Dow Jones et une sérieuse tempête sur les marchés asiatiques, ont convaincu le comité de politique monétaire de ne pas ajouter du trouble au trouble et d’opter pour le statu quo. « Une légère augmentation des taux d’intérêt de la Fed n’aurait pas fait dérailler la reprise américaine, fait remarquer Joseph Lake, économiste au cabinet d’analyse The Economist Intelligence Unit. Mais cela aurait conduit à une fuite des capitaux dans les marchés émergents, les investisseurs étant à la recherche de rendements meilleurs et plus sûrs aux Etats-Unis. Cela aurait mis la pression sur ces pays pour qu’ils augmentent leurs taux directeurs, freinant leur demande intérieure au plus mauvais moment. »
La présidente de la Fed, Janet Yellen, a expliqué, lors de sa conférence de presse, « vouloir plus de temps pour évaluer le probable impact [du contexte international] sur les Etats-Unis ». En agissant dans cet environnement instable, « la Fed prenait le risque d’être tenue pour responsable d’une erreur majeure, analyse Noah Smith, professeur de finances à la Stony Brook University (New York). Par conséquent, il est peu probable qu’elle se lance dans une hausse des taux tant que l’incertitude concernant l’impact de la Chine sur l’économie mondiale n’aura pas été levée, au moins partiellement ».
Le chômage au plus bas
Si les avis des analystes et des économistes étaient très partagés avant la réunion de la Fed, sur la possibilité d’un relèvement des taux dès septembre, le comité de politique monétaire, lui, est resté remarquablement soudé dans la décision puisqu’un seul de ses membres, Jeffrey Lacker, président de la Réserve fédérale de Richmond (Virginie), a voté contre le statu quo, demandant au contraire un relèvement d’un quart de point.
Mme Yellen a toutefois tenté de relativiser l’impact des soubresauts de ces dernières semaines, ajoutant qu’ils « n’ont pas fondamentalement modifié » les perspectives de la Fed sur l’économie américaine, qui restent positives. Si la hausse de la consommation et des investissements est jugée modeste, en revanche le marché immobilier poursuit sa progression, tandis que le marché du travail « continue de s’améliorer ». Le taux de chômage est tombé en août à 5,1 %, soit son plus bas niveau depuis avril 2008. La Fed anticipe d’ailleurs que le chômage baisse jusqu’à 5 % d’ici à la fin de l’année et à 4,8 % en 2016.
Dans ce contexte, la banque centrale a relevé ses prévisions de croissance pour l’année 2015, au cours de laquelle le PIB américain devrait progresser de 2,1 % au lieu du 1,9 % anticipé jusqu’à présent. En revanche, les estimations ont été révisées à la baisse pour 2016 (2,3 % contre 2,5 % précédemment) et pour 2017 (2,2 % contre 2,3 %).
La mauvaise nouvelle pour l’économie américaine concerne l’inflation. L’objectif de tendre vers une hausse des prix de 2 %, comme se l’est assigné la Fed, a été une nouvelle fois repoussé, alors que la chute des cours du pétrole tire les prix vers le bas. Si Mme Yellen estime que les facteurs déflationnistes restent « transitoires », l’économie américaine, qui devrait connaître une inflation de base de 1,4 % en 2015, ne devrait atteindre les 2 % qu’au plus tôt en 2018, soit un an plus tard que ce qui était anticipé jusque-là.
L’incertitude ambiante renforcée
« Le resserrement de la politique monétaire ne doit pas intervenir tant que l’on ne voit pas l’inflation dans le blanc des yeux », soulignait encore mercredi l’ancien conseiller économique de Barack Obama, Lawrence Summers, un temps pressenti pour la présidence de la Fed. « Le chômage dans le Nebraska est sous les 3 %, et il n’y a aucun signe évident d’accélération de l’inflation. Le chômage à la sortie du premier cycle universitaire est de 2,5 %, et il n’y a aucune accélération de la hausse des salaires. Enfin, l’inflation est tout à fait restée sous contrôle à la fin des années 1990, alors que le taux de chômage était bien en dessous des 5 % », argumente-t-il dans une interview accordée au Wall Street Journal.
Dès lors, quelle est l’urgence à relever les taux ? Janet Yellen a affirmé, jeudi, qu’à trop attendre la Fed risquerait de se retrouver piégée par une brusque envolée de l’inflation, qui l’obligerait à remonter le loyer de l’argent de façon subite. « Je ne pense pas que ce soit une bonne politique de freiner brutalement, ce qui risquerait de provoquer une contraction de l’économie », a estimé la présidente de la Fed.
Dans ce contexte, la hausse des taux reste d’actualité à court terme : treize des dix-sept membres du comité de politique monétaire prévoient un relèvement d’ici à la fin de l’année (toutefois, ils étaient quinze lors de la précédente réunion, au mois de juin). Le resserrement monétaire aura-t-il lieu à la prochaine réunion d’octobre ou bien à celle de décembre ? « La Fed va attendre jusqu’à décembre au plus tôt et le chemin du resserrement monétaire sera lent et mesuré », prédit M.Lake. « Le scénario de dix-sept hausses consécutives que l’on a connu lors du dernier cycle de remontée des taux entre 2004 et 2006 ne se répétera pas », affirme-t-il.
Mais en ne voulant pas affoler les marchés, la Fed n’a fait que renforcer l’incertitude ambiante. « Il n’est pas impossible que d’autres “risques” émergent d’ici aux prochains mois, convainquant la Fed de retarder encore un peu plus [son action] », estiment les analystes de Capital Economics, mettant notamment l’accent sur le prochain débat concernant le budget, au Congrès, qui pourrait conduire à une nouvelle paralysie de l’administration, comme à l’automne 2013.
Illustration du doute ambiant : les indices boursiers, qui jusqu’à présent saluaient systématiquement le prolongement de cette période d’argent bon marché, ont cette fois accueilli la nouvelle avec circonspection. L’indice de volatilité du CBOE, surnommé « l’indice de la peur », a gagné 0,5 % jeudi, à 21,88 points, tandis que le Dow Jones clôturait sur une baisse de 0,39 %, à 16 674,74 points, et le S&P 500 cédait 0,26 %, juste en dessous des 2 000 points.
A l’issue de deux jours de réunion de son comité de politique monétaire, jeudi 17 septembre, la banque centrale américaine a annoncé qu’elle laissait ses taux d’intérêt inchangés, proches de zéro.
- A New York, la Bourse a clôturé sur une note mitigée : l’indice Dow Jones a perdu 0,39 %, le Standard & Poor’s-500 -0,26 % et Nasdaq a terminé sur un gain limité (0,1%).
- Les cours du pétrole étaient aussi hésitants vendredi en Asie : le baril de « light sweet crude » perdait 13 cents à 46,77 dollars et le baril de Brent, la référence européenne, progressait de six cents à 49,14 dollars.
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