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Les sept leçons d'entrepreneuriat des rappeurs

Straight Outta Compton a squatté la 1ère place du box-office américain quasiment sans interruption depuis sa sortie mi-août. La clique des rappeurs de la NWA a débarqué sur nos écrans mercredi. Quand les rappeurs réalisent un nouveau coup de maître commercial et marketing, les entrepreneurs feraient bien de s’en inspirer…

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Olivier Cachin et Jean-Philippe Denis. Le chroniqueur et le chercheur... (JL)

Par Julia Lemarchand

Publié le 16 sept. 2015 à 16:42Mis à jour le 16 sept. 2015 à 18:12

Olivier Cachin, le journaliste spécialiste ès Rap en France, et Jean-Philippe Denis, chercheur et auteur de “Introduction au hip-hop management” ont vu le film. Quelles leçons tirer du hip hop business ? Résumé d'un déjeuner bavard et inspirant...

Leçon 1 : On peut partir de nulle part et arriver au top

Olivier Cachin : "Le film raconte l’histoire d’un groupe mythique dans le hip hop : la NWA, qui s’est formé il y plus de 25 ans. Pour la première fois, on voit à l’écran la réussite d’un groupe de jeunes noirs “sans culture”, au sens académique du terme, qui ont construit un véritable empire. Pourtant, Compton, dont ils sont issus, est le quartier de Los Angeles le plus dur qu’il soit, avec, au moment de la formation du groupe, 1.200 décès par morts violentes par an !"

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Leçon 2 : L’avantage d’être autodidacte, c’est que l’on invente son propre modèle

Olivier Cachin : “Le film montre l'innocence d’un Dr. Dre, devenu depuis, l’un des plus gros producteurs au monde et découvreur d’Eminem, débarquant de la rue et entrant pour la première fois dans un studio. Le groupe n’a jamais enregistré, ils ne se disent donc pas ‘on ne peut pas faire ça ou il faut faire ça...’. C’est cette spontanéïté qui va créer le modèle du gangsta rap et poser les standards de ce qui deviendra une industrie. Ils sont véritablement des pionniers. Ils proposent une vraie rupture". 

Leçon 3 : Imposer son style, imposer sa marque

Olivier Cachin : "A la différence des premiers rappeurs, cette “nouvelle génération” ne va pas essayer de rentrer dans un moule, ni reprendre les ingrédients qui avaient fait la réussite de la soul, de la funk et des musiques noires en général. Ils ne veulent pas raconter le rêve américian en se déguisant avec de beaux habits, et en faisant des arrangements musicaux luxueux. Ils viennent du ghetto et vont vendre le ghetto, avec ses codes vestimentaires et langagiers - et ‘tant pis si on ne passe pas à la radio’. Ils n’ont rien à perdre. Ce minimalisme et cette authenticité vont faire la réussite du style".

Olivier Cachin et Jean-Philippe Denis. Le chroniqueur et le chercheur... JL

Jean-Philippe Denis : "On retrouve ici tout à fait la mentalité startup, pour résumer : on ne veut pas devenir salarié,et se plier aux règles des autres en mettant une cravate pour aller au bureau de 9h à 18h. Monter une startup, c’est chercher une ligne de fracture et l’ouvrir à coup de barre à mine (voire de kalachnikov ici), c’est ce que va faire la NWA et le hip hop. Même en France, Booba ne dit pas autre chose : “les portes sont fermées, je suis habitué”, sous-entendu je vais les défoncer…! Toutes les formules du hip hop sont justement une mise en mots de ce vécu entrepreneurial".

Leçon 4 : L’entrepreneuriat, c’est pas pour les bisounours

Jean-Philippe Denis : "Straight Outta Compton, c’est le nouveau Rocky, une nouvelle incarnation du rêve américain. Monter sur le ring, monter son business, c’est dur. En France, on a souvent une vision très romantique de l’entrepreneuriat. Pour réussir, il faut mouiller sa chemise, prendre des risques, se battre car personne ne vous fait de cadeau. Ice Cube est confronté à cela dans le film en réalisant qu’il se fait avoir par son producteur Jerry Heller, qu’il finit d’ailleurs par quitter. Pour réussir, il faut savoir calculer et avoir le courage de rompre un contrat si l’on se sent lésé. Exit les producteurs et les maisons de disques, les rappeurs veulent fonder leur business et, en récolter, seuls les fruits. D’où l’obsession de l’autoproduction".

Leçon 5 : Seul, on ne peut pas réussir

J-P D. : "Dans le business, il y a quelque chose parfois de plus fort que le “calcul” et le “contrat”, c’est le collectif. Ici, c’est la bande. Oui, dans le hip hop, ça clashe beaucoup, et paradoxalement c’est souvent au nom de la loyauté. Dans le film, le groupe se sépare par calcul, mais finit par se réconcilier. “Brother”, dans le rap US, c’est bien ça : ils sont liés par un destin commun. L’erreur fatale (pour le business), c’est de penser que la réussite peut se faire seul".

Leçon 6 : Savoir être opportuniste…  pour changer d’échelle (merci Apple)

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J-P D. : "La phrase de Jay Z “I’m not a businessman, I’m the business, man !” en dit long sur les velléittés des rappeurs. Quand Apple rachète Beats by Dre en mai 2014 pour plus de 3 milliards de dollars, Dr Dre - lui qui n’a pas sorti de disque depuis 15 ans - devient non seulement milliardaire, mais s’offre surtout un partenaire de choix. La force d’Apple se met en branle. Comment imaginer qu’il n’y aura pas un truc monumental qui va se produire ! En l’espace de deux mois, ils fondent ensemble Beats Radio, sortent l’album Compton d’abord en exclusivité sur Apple Music, qui vient d’être lancé, et fait 25 millions de téléchargements en quelques heures. Puis débarque le film.... La séquence est juste magistrale et démontre le talent de ces rappeurs businessmen et d’Apple à surfer ici ensemble sur les transformations actuelles (dématérialisation de la musique, maîtrise de l’agenda médiatique, marketing “tribal” sur les réseaux sociaux…)."

Leçon 7 : Tout est possible... si on pense global !

J-P D. : "Dans l’ère numérique, si on ne réfléchit pas global, on n’existe pas. Les rappeurs l’ont très bien compris. Kayne West chante “the world is our office”. On ne peut pas se contenter de son réseau, aussi prestigieux soit-il (réseau grandes ecoles par exemple), de rester dans notre village gaulois. Il faut aller saisir les opportunités où elles sont. Booba incarne cette transition : “adieu mon pays”, chante le rappeur français, parti vivre et monter son business... à Miami".

Julia Lemarchand

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