Un technicien manipule des spermatozoides et des ovocytes en laboratoire (Photo d'illustration).

Un technicien manipule des spermatozoides et des ovocytes en laboratoire (Photo d'illustration).

AFP PHOTO/MARCEL MOCHET

La nouvelle est taillée pour susciter l'espoir de milliers d'hommes sous traitement pour infertilité. Des chercheurs lyonnais ont réussi à créer des spermatozoïdes in vitro à partir de cellules-souches testiculaires. Une première mondiale, selon eux. La société de biotechnologies Kallistem, basée à Lyon, avait déjà dévoilé ses trouvailles en mai dernier. Ce mercredi, elle a détaillé son travail, avec cette fois la caution du CNRS.

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Traiter un tiers des cas d'infertilité?

Concrètement, les équipes de Kallistem ont réussi à obtenir in vitro des spermatozoïdes de rat, de singe puis d'homme. Pour y parvenir, il a fallu 20 ans de recherche pour mettre au point les conditions de culture de ces cellules-souches afin de permettre artificiellement la spermatogenèse, c'est-à-dire la transformation des spermatogonies (les cellules-souches testiculaires) en spermatozoïdes.

C'est là que réside selon eux la prouesse, car "la spermatogenèse est un des mécanismes les plus compliqués d'un point de vue physiologique" puisqu'elle dure 72 jours, expliquent les initiateurs du projet Philippe Durand, ancien directeur de recherche à l'Inra, et Marie-Hélène Perrard, chercheuse au CNRS. Cette technique d'accouchement des spermatozoïdes pourrait résoudre "30 à 50%" des problèmes d'infertilité masculine, explique Philippe Durand. Ce ne sera toutefois pas avant plusieurs années, sachant que les essais cliniques ne devraient pas commencer avant trois à cinq ans, a-t-il ajouté. D'abord, l'équipe doit éprouver la qualité de ces spermatozoïdes créés in vitro en faisant naître des ratons. "Il faut voir si les petits ratons sont normaux, s'ils sont capables de se reproduire", précise encore Philippe Durand.

Ensuite, des tests seront effectués sur les spermatozoïdes d'homme créés in vitro, en les comparant à des spermatozoïdes prélevés in vivo. Alors seulement les essais cliniques pourront commencer.

Buzz, brevets, levée de fond, mais pas de preuve scientifique

"Avant de passer à une application clinique éventuelle, il reste toutefois à démontrer que la technique est valide à partir de testicule prépubère et chez des hommes qui ont des troubles de la spermatogénèse, mais pour l'instant on n'est pas encore là", nuance auprès de l'AFP le professeur Nathalie Rives, responsable de procréation médicalement assistée (PMA) au CHU de Rouen et spécialiste de l'infertilité masculine.

Le Pr Rives estime aussi que les chiffres avancés par Kallistem sont "exagérés", puisqu'elle estime à 10% tout au plus la proportion d'hommes infertiles susceptibles de bénéficier de cette avancée. En mai, lors des premières annonces, "on a reçu plus de 200 mails de couples qui ont des problèmes de fertilité". "C'était touchant" ; c'est un "vrai espoir" pour eux, raconte Philippe Durand. Toutefois, cette technique ne pourra pas régler tous les problèmes d'infertilité. Notamment pour ceux qui n'ont pas de spermatozoïdes, "on ne peut rien".

En revanche, elle pourra aider les quelque 120 000 hommes dans le monde "qui souffrent d'infertilité non prise en charge par les technologies actuelles" et notamment l'azoospermie, l'absence de spermatozoïdes dans le sperme. Elle pourra aussi intervenir pour les enfants atteints de cancer dont le traitement peut créer de l'infertilité.

Mais pour l'heure, la petite société, dont le laboratoire est hébergé par l'École normale supérieure à Lyon, n'en est pas à gagner de l'argent. Elle en cherche au contraire à lever 2 millions d'euros. Par dessus tout, si la société a déposé ses premiers brevets cet été et a soumis à des revues scientifiques le fruit de ses recherches, celles ci n'ont pas encore été publiées. Or une publication vaut validation de leurs travaux par la communauté scientifique. En attendant, la preuve de cette avancée revendiquée reste à démontrer. Et comme le souligne le professeur Dominique Royère (Agence de la biomédecine) dans les colonnes du Monde, "La question se posera de l'articulation de ces travaux avec l'interdiction par la loi de bioéthique de la création d'embryon humain pour la recherche".

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