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Le mode d'emploi salafiste de la femme parfaite - Au Salon de la femme musulmane

Samedi 12 septembre, Mehdi Kabir, de Villiers-sur-Marne (à g.), et Nader Abou Anas, imam au Bourget, s’expriment sur le statut de la femme dans l’islam.
Samedi 12 septembre, Mehdi Kabir, de Villiers-sur-Marne (à g.), et Nader Abou Anas, imam au Bourget, s’expriment sur le statut de la femme dans l’islam. © Eric Hadj
Sarra Mejeri , Mis à jour le

Au Salon de la femme musulmane, pendant deux jours, ce sont les hommes, prédicateurs salafistes, qui parlent. Pour Hatim Abou Abdillah, imam de la mosquée de Maisons-Alfort, les femmes qui se parfument sont des « fornicatrices promises à un châtiment atroce ». Rachid Abou Houdeyfa, imam de la mosquée de Brest, leur enjoint de se voiler pour éviter le viol ici-bas, et l’enfer dans l’au-delà. Le prédicateur Nader Abou Anas explique qu’une épouse ne doit pas sortir sans l’autorisation de son mari et que celle qui se refuse à lui sera « maudite toute la nuit par les anges ». Notre reporter, de même confession, s’est immergée dans cet événement d’un genre très particulier.

Pontoise, il est midi et il pleut des cordes. Arrivée de Tunis la veille, j'ai laissé le soleil pour les averses qui s'abattent sur le Parc des expositions où se tient la 3e édition du Salon de la femme musulmane. Rien pour m'abriter et la seule chose qui me préoccupe, c'est mon Brushing à 2 euros (4 dinars). Une mère et ses filles, toutes en niqab, passent devant moi et l'idée me vient immédiatement que, si je portais le voile, je ne serais pas en train de friser ! Combien de filles ont déjà pensé la même chose ? On me demande 7 euros pour pénétrer dans une salle immense pouvant contenir 3 000 personnes, dont la plupart sont des musulmans intégristes. Comme si je n'avais pas déjà eu ma dose en Tunisie ! Pourtant je suis bien en France, même si les chants religieux qui envahissent ­l'espace et les vidéos mystiques omniprésentes, diffusées sur plusieurs écrans, me ramènent aux codes de bonne conduite de l'islam. Je ne me sens pas à ma place avec mon jean et mon chemisier décolleté. Hidjab, niqab, tchador… à la vue de toutes ces sortes de voiles, de toutes les couleurs, je cherche désespérément dans la salle des filles comme moi, les cheveux découverts. A mon grand soulagement j'en repère quelques-unes, assez peu nombreuses. Vont-ils m'accepter comme je suis : une femme musulmane, franco-tunisienne, qui vit sa religion comme elle l'entend ?

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A lire: notre enquête. Jamais sans mon voile

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Je tombe sur Angélique, une Parisienne qui porte simplement un foulard. Elle est bénévole pour la société événementielle Isla Events, organisatrice de la manifestation. Angélique, revêtue d'un gilet jaune, m'explique qu'elle s'est ­inscrite sur le site de la société et que son rôle est d'assurer le bon déroulement du Salon "dans les règles de la religion". Cette fille m'intéresse. Je lui demande quelles sont ces règles. Elle reste vague sur les directives qu'elle a reçues, mais elle s'anime quand je lui apprends que je suis tunisienne. Elle me répond aussitôt : "Mon mari aussi. Il est du Bardo… Mais on n'est plus ensemble ! – Tu t'es convertie à l'islam à cause de ton mari ? – Non pas du tout. La preuve : je porte encore le voile." Elle s'est convertie il y a un an et demi, par conviction, assure-t-elle. "J'ai trouvé un sens à ma vie dans le Coran."

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De l’eau sacrée aux niqabs collection automne-hiver...

Le stand de Baraka City.
Le stand de Baraka City. © Eric Hadj

Je quitte la salle de conférence pour la foire musulmane, dont les stands ­marchands, les ateliers ménagers et les diverses attractions rassemblent les familles dans une autre salle. Incontestablement c'est le stand de Baraka City qui fascine la foule. Cette bande de jeunes âgés de 20 à 30 ans a envahi le Salon. Un look salafiste made in France, tee-shirt bleu électrique, pantalon bouffant dit "porte-caca", ces frères barbus en baskets ne sont pas très engageants. Pourtant, ils n'hésitent pas à solliciter avec insistance les visiteurs pour leur demander de l'argent au nom d'Allah, pendant que leurs sœurs voilées et certaines en niqab tiennent le stand. Cette ONG, comme son nom l'indique, incite les musulmans à faire l'aumône et à aider les plus démunis par leurs actes généreux. Sur le stand, une vidéo diffuse des images chocs filmées par leur propre service médias dans plusieurs pays, dont la Syrie et la République démocratique du Congo. L'équipe de Baraka City y va fort : "Vous n'êtes pas obligés de donner tout de suite. Mais si vous ne le faites pas, vous devrez rendre des comptes à Allah !" Agiter la peur de la punition divine est l'argument utilisé par les plus fanatiques. Il provoque souvent chez les modérés un réflexe de crainte et d'évitement. Cela ne décourage pas, néanmoins, les nombreux donateurs.

Des femmes entièrement voilées font leur shopping dans le Salon où des stands proposent des niqabs dernière tendance.
Des femmes entièrement voilées font leur shopping dans le Salon où des stands proposent des niqabs dernière tendance. © Eric Hadj

"Entre 2014 et 2015, Baraka City a récolté près de 8 millions d'euros de dons", se vante son fondateur, Idriss Sihamedi. Directeur de création et de communication de l'organisation qu'il a créée en 2010, ce jeune homme de 30 ans entièrement dévoué à sa religion a longtemps travaillé comme communicant en Arabie saoudite. Il accepte de répondre à mes ­questions à condition que je conserve une distance respectable : "Ces cinq ­dernières années, nous avons creusé des puits et distribué de l'eau potable, notamment à Gaza, en Centrafrique, en Birmanie, au Liban, en Syrie et au ­Bangladesh." C'est la vitrine utilisée par Baraka City pour convaincre les musulmans de souscrire à leur association. "Ils donnent souvent, de 10 à 50 euros par personne, explique Elyesse Tadjer, 23 ans, responsable logistique. Les donateurs sont des citoyens lambda. Le ­gouvernement français ne nous donne rien, et on n'a pas de joueurs de foot, de riches Qataris ou de princes des Emirats arabes unis qui nous financent. C'est en grande partie des francophones, en ­Belgique, en Suisse, en France, jusqu'à l'île de la Réunion."

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... la chasse au cash anime et domine le Salon

La chasse au cash anime et domine le Salon. De la bouteille d'eau sacrée (Zam Zam) aux niqabs collection automne-hiver, en passant par le crédit immobilier halal, les jeunes, pour la plupart fraîchement convertis à la religion et au commerce islamiques, ne manquent pas d'idées. ­Certains produits laissent carrément rêveur, comme cette marque de vêtements pour musulmans, très sportwear, limite militaire. Qui sont ces entrepreneurs ? Abdou, un Français d'origine africaine, responsable pour la marque Tadris, propose des cahiers avec une marge à droite, adaptés à l'écriture arabe. Son but : conquérir les marchés français. Pour lui, la culture arabe est très peu ou pas exploitée en France et dans d'autres pays. "C'est l'aspect financier qui ­m'intéresse, souligne le jeune homme, ce Salon est une occasion pour moi de me faire connaître."

Des spectateurs mettent à terre et brutalisent les Femen, malgré l’intervention de la sécurité.
Des spectateurs mettent à terre et brutalisent les Femen, malgré l’intervention de la sécurité. © Eric Hadj

Dans une allée, je croise Sandrine, la vingtaine, blonde, très à la mode, sans voile. Pas une tête ni un look à être là. Sur ses gardes, elle se méfie de moi et avoue s'être convertie il y a un an. "Pourquoi ne portes-tu pas le voile ? – Parce que j'ai pas envie." La médiatisation de l'islam ces dernières années lui a donné envie de lire le Coran. Pendant le prêche de Rachid Abou Houdeyfa, elle ne voulait plus parler. Très concentrée. Elle semblait continuer son apprentissage. Elle se cherche encore. La cible parfaite pour les radicaux discrets, souvent cachés, mais omniprésents dans ce rassemblement. Les conférenciers sont la partie spectaculaire de ces manifestations. Les visiteurs, qui les suivent sur les réseaux sociaux, les retrouvent en chair et en os. C'est le cas de Nader Abou Anas, l'imam de la mosquée Al Imane du Bourget, dont les vidéos font des milliers de vues sur Internet. Ses ­discours sur la femme musulmane "qui n'a pas à vivre comme elle veut" et dont la première vertu est d'"être obéissante à son mari" séduisent de plus en plus de fidèles. En France, ­officiellement, 6 000 personnes se convertissent chaque année. Au Salon, cette star du show islamiste rassemble au ­premier rang des dizaines de groupies en niqab et les "wesh-wesh", issus des banlieues, reconnaissables à leur qamis, cette blouse, souvent blanche, qu'ils portent avec les inévitables ­baskets. Gibier fragile pour les intégristes salafistes, ce sont eux qui sont ensuite les plus sensibles aux sirènes des organisations djihadistes, qui les recrutent pour Daech ou pour Al-Qaïda.

Certains jeunes, issus aussi des ­banlieues, tentent de lutter contre la radicalisation de leurs "frères" convertis. C'est le cas d'Anouar (23 ans), qui a créé l'association Din Family, et que j'ai rencontré sur son stand. Sa démarche originale découle d'une observation personnelle faite lors d'une conversion dans une mosquée. "Après que l'impétrant a prononcé la chahada, les paroles rituelles, les membres de la mosquée pleurent de joie, l'embrassent, le congratulent et se félicitent de cette bénédiction d'Allah. Mais quand l'assemblée s'est dispersée, ce nouveau musulman se retrouve livré à lui-même, sans connaissance de la religion, et devient une cible facile pour les recruteurs des organisations terroristes. Notre association assure le suivi de ces jeunes, soit nouveaux convertis, soit repentis, les musulmans qui reviennent à la foi." A la sortie du Salon, les familles se séparent, les hommes devant, les femmes chargées de sacs, les enfants un ballon à la main. Une sortie ordinaire d'un week-end à Pontoise.

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