Face au développement du e-commerce, le système fiscal français est "obsolète", s'inquiètent les sénateurs dans un rapport sur "les modalités de recouvrement de l'impôt à l'heure de l'économie numérique", rendu public jeudi. En croissance de 11% en 2014, le secteur a enregistré un chiffre d'affaires de 57 milliards d'euros, soit près d'un dixième du chiffre d'affaires du commerce en France. Mais ces transactions échappent en grande partie à la TVA, l'impôt qui rapporte le plus au budget.

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Seuls 979 sites de e-commerce enregistrés

En principe en Europe, la TVA est due dans le pays de destination des produits achetés en ligne. C'est le cas pour les biens matériels comme les disques ou les livres depuis une directive de 2006. A cette nuance près: seules les entreprises réalisant plus de 100 000 euros de chiffre d'affaires en France sont concernées. Le principe du pays de destination pour les services comme iTunes ou les livres numériques s'applique aussi, depuis le 1er janvier 2015, pour les entreprises réalisant plus de 35 000 euros de chiffre d'affaires.

Ce cadre législatif est loin d'être respecté. Sur les 715 000 sites de e-commerce de l'Union européenne, seuls 979 sont inscrits auprès de l'administration fiscale française. Parmi eux les plus importants, comme Amazon, ne peuvent passer à travers les mailles du filet. Le problème, c'est que "le e-commerce rassemble une multitude de petits vendeurs difficiles à identifier", notent les sénateurs. L'enregistrement fiscal est "peu connu, peu utilisé, et peu contrôlé", résument-ils. De nombreux sites se contentent d'appliquer la TVA du lieu où ils sont implantés. Au Luxembourg, par exemple, où le taux plein et de 17%, contre 20% en France.

Les sénateurs ne précisent pourtant pas combien de sites se situent au-delà des seuils de déclaration, et se retrouvent donc en situation de fraude. Marc Lolivier, directeur de la Fédération française du e-commerce et de la vente à distance (Fevad) rappelle à L'Express la "très forte concentration" du secteur. En France, 4% des 164 200 sites marchands captent 89% du chiffre d'affaires du secteur. C'est à dire que la plus grande partie des 715 000 sites européens sont aussi de tout petits poissons.

Un manque à gagner difficile à évaluer

Le manque à gagner fiscal dû à la fraude est par définition difficile à évaluer. Les sénateurs ne s'y risquent pas. Pour 2014, ils citent deux chiffres: les contrôles ont permis de récupérer 7,9 millions de TVA sur la vente en ligne et 1,4 million en TVA à l'importation et droits de douane à Roissy. C'est le résultat de contrôles "ciblés", donc incomplets. D'autre part, avec la croissance à deux chiffres du secteur, les pertes pour l'Etat ne peuvent que croître.

Pour répliquer, ils proposent de faire payer directement la TVA au client, via un prélèvement à la source sur ses achats en ligne, effectué par sa banque. Une révolution fiscale qui n'a guère de chance d'être adoptée, puisqu'elle nécessiterait l'unanimité des membres de l'Union européenne, remarquent Les Echos. Selon Marc Lolivier, cette proposition est aussi une "usine à gaz" très compliquée à mettre en oeuvre: "Que se passe-t-il avec le droit de rétractation du consommateur dans un délai d'un mois? Le Trésor public devra lui rembourser la TVA!" Un surcroît de travail pour les impôts, alors que les acheteurs prennent goût à leur droit de changer d'avis. Les banques, également, ne souhaitent pas endosser ce nouveau rôle de percepteurs.

Certaines des propositions des sénateurs semblent plus réalistes: abaisser à 35 000 euros le seuil de chiffre d'affaires pour la vente en ligne de biens, ou supprimer les exemptions pour "les envois à valeur négligeable" (jusqu'à 22 euros de TVA et 150 euros de droits de douane), qui facilitent les sous-déclarations. Le chantier du Budget 2016 est ouvert. Selon la Fevad, la meilleure piste pour réguler le commerce en ligne reste cependant d'harmoniser la TVA en Europe.

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