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Économie

La vérité sur le financement des think tanks

Des subventions distribuées arbitrairement, des moyens insuffisants: les laboratoires d’idées français sont des nains sur la scène internationale.
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445 Vérité Gilles Finchelstein (Fondation Jean Jaurès) et Dominique Reynié (Fondapol)
Gilles Finchelstein (Fondation Jean Jaurès) et Dominique Reynié (Fondapol)
Maxppp

Michel Rousseau est en colère. Cet ancien haut fonctionnaire, président de la Fondation Concorde qui réunit patrons et universitaires, dénonce "l’arbitraire" dans la distribution de l’argent public aux think tanks et aux fondations politiques. "Nous ne recevons que 50.000 euros, alors que d’autres obtiennent plus d’1 million. Ils ne sont pas plus utiles que nous. On fait le même métier : produire des idées. Mais eux font partie de l’establishment, ce qui leur permet d’obtenir ces subsides."

Dans le viseur de Rousseau : les fondations politiques, comme Fondapol, Jean Jaurès ou Robert Schuman, subventionnées par l’Etat. Ainsi, la très libérale Fondapol tire 75% de ses ressources des aides publiques, contre moins de 10% pour Concorde. Explication : en 2004, elle a été créée par Jérôme Monod, alors conseiller de Jacques Chirac à l’Elysée, qui avait imposé un financement public. "On demande un rééquilibrage. L’Etat doit arrêter de verser ses subventions sans rapport avec la production intellectuelle de ces organismes", peste Michel Rousseau.

"Réseau et copinage"

Avec sa fougue, le patron de Concorde dit tout haut ce que beaucoup de dirigeants de ces "réservoirs d’idées" pensent tout bas : l’Etat verse ses deniers à l’aveugle. C’est le chef de cabinet du Premier ministre qui, chaque année, attribue une enveloppe de 7 millions d’euros aux think tanks et à diverses associations. Par exemple, en 2013, il a versé 520.000 euros à Res Publica, la fondation présidée par Jean-Pierre Chevènement, qui organise un colloque par mois et a publié une seule note en 2015 (trois en 2014).

A l’inverse, il n’a rien donné à Terra Nova, pourtant proche du PS, hyperactif dans la dernière campagne présidentielle, avec une centaine de notes par an. "Il y a une opacité sur les critères d’attribution des subventions. Cela pose la question du réseau et du copinage pour accéder à ces financements publics", dénonce Olivier Urrutia, le délégué général de l’Observatoire des think tanks. "Vu nos moyens, nous ne pouvons pas payer les auteurs des études, même les jeunes experts qui y consacrent beaucoup de temps. Je n’en suis pas très fier", regrette Thierry Pech, le directeur général de Terra Nova.

Léger rééquilibrage

A Matignon, on est conscient du problème. "Nos subventions n’ont cessé de se réduire, alors que le nombre de bénéficiaires potentiels a augmenté, nous confie Sébastien Gros, le chef de cabinet de Manuel Valls. C’est vrai, il n’y a pas de critères objectifs d’attribution. Mais nous lançons une réflexion pour les établir, notamment en fonction de la production intellectuelle." Une réflexion qui ne devrait pas aboutir avant 2017. En attendant le résultat de cette gamberge, Sébastien Gros a (un peu) rééquilibré les subsides en octroyant, cette année, 150.000 euros à Terra Nova.

De leur côté, les fondations politiques justifient l’aide d’Etat par leur activité d’intérêt général. "Dans toutes les grandes démocraties, l’Etat soutient les fondations avec des moyens beaucoup plus importants", souligne Gilles Finchelstein, directeur général de la Fondation Jean Jaurès. Et de citer la Fondation Friedrich Ebert, en Allemagne, qui reçoit 120 millions d’euros de fonds publics par an. "Nous avons des échanges politico-intellectuels avec de nombreux pays, ce qui soutient notre politique étrangère. Pour la préparation de la COP21, nous avons réalisé une dizaine de missions dans des pays stratégiques."

Mêmes arguments du côté des organismes spécialisés en politique étrangère, censés porter l’influence française : "La France a pris conscience tardivement de l’influence considérable des think tanks internationaux sur la façon dont les grands dirigeants façonnent le monde", relève Thierry de Montbrial, à la tête de l’Institut français des relations internationales (Ifri), qui reçoit 1,5 million d’euros de subventions.

En quête de fonds privés

Au-delà de l’opacité de leurs deniers publics, nos laboratoires d’idées ont un handicap : leur petite taille. Exemple révélateur, l’Ifri, le plus puissant avec un budget de 6 millions d’euros, a seize fois moins de ressources que la Fondation Konrad Adenauer, au champ d’action plus large. Pour essayer de rattraper leur retard, les think tanks français sont partis à la recherche des fonds privés. Ainsi, l’Ifri tire aujourd’hui 54% de ses ressources de contrats financés par les multinationales pour des analyses stratégiques.

Surtout, de nouveaux organismes entièrement financés par le privé ont émergé. Très présent dans le débat politique, l’Institut Montaigne, fondé par l’ex-patron d’Axa Claude Bébéar, est soutenu par les géants du CAC 40 (BNP Paribas, Bouygues, Total…). Résultat : un budget de 3,5 millions d’euros qui lui permet de multiplier les rapports sur les politiques publiques (logement, Code du travail…). Et, à l’inverse de Terra Nova, de payer ses experts.

Même organisation à l’Institut de l’entreprise, lui aussi alimenté par les grands groupes français. Avec une différence de taille : il ne reçoit aucune aide publique, directe ou indirecte via les exonérations fiscales pour les donateurs. L’Institut n’a jamais voulu demander "l’habilitation à recevoir des dons" au fisc, contrairement à Montaigne, dont les sponsors peuvent déduire 60% des dons de leur impôt sur les sociétés.

Dernier modèle, celui de l’Institut français pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (Ifrap), think tank libéral financé à 90% par des dons de particuliers, le reste provenant de PME. "Ces nombreux donateurs sont un aiguillon pour défendre nos idées", souligne sa directrice, Agnès Verdier-Molinié. A la tête d’une équipe de six personnes, elle fait travailler une centaine d’experts. "Ce type de petite structure a l’avantage de l’agilité", relève-t-elle.

Agiles, nos think tanks n’en restent pas moins démunis. Mis à part l’Ifri et ses 30 chercheurs, leur expertise maison est quasi inexistante. Lorsque Emmanuel Macron leur a demandé – tardivement – d’évaluer les effets de sa loi, aucun n’a été capable de répondre. En fait, leurs chamailleries pour capter l’argent public révèlent un mal plus profond, "une pénurie de financement public et privéé, dixit Pascal Boniface, à la tête de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), qui conclut : "Pour les think tanks français, c’est la stratégie de la misère."

 

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