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Économie

Faut-il arrêter de pleurer sur le sort de la Grèce?

Record de touristes, regain de croissance… Et si la Grèce avait tout pour devenir la Floride de l’Europe? Reportage dans un pays toujours plongé dans un chaos politique.
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Alexis Tsipras en campagne à Thessalonique, le 7 septembre.
Sipa

Au-dessus du sable blond de Vouliagmenis, une plage privée à une trentaine de kilomètres au sud d’Athènes, le restaurant Okeanis a ouvert en janvier, au moment où Alexis Tsipras, leader du parti d’extrême gauche Syriza, arrivait au pouvoir. La clientèle, élégante, vient de la capitale prendre le frais et déguster une savoureuse cuisine traditionnelle. L’addition est plutôt salée. Pourtant, sur le menu, dont les prix sont inscrits à la main, un avertissement : "Nous sommes désolés de ne pouvoir accepter les cartes bancaires." Les serveurs se justifient avec un sourire navré : "La banque a refusé, la période est compliquée", tandis que les billets de 20, 50 et 100 euros glissent dans la caisse. Ainsi va la Grèce, dont l’indolence et le sens de la débrouille font à la fois le charme et le drame.

Sous le soleil encore bouillant de ce début septembre, on ne croirait pas que l’économie entre dans sa septième année de crise. Les terrasses des cafés sont pleines d’une jeunesse joyeuse, ravie que les législatives anticipées du 20 septembre repoussent la rentrée universitaire. Les Grecs consomment. En août, les ventes de voitures Renault ont crû de 39% par rapport à août 2014, celles de Mercedes-Benz de 80% et celles de BMW de… 137%.

Cet été, le département meubles d’un des grands magasins d’Athènes a fait son meilleur chiffre depuis bien longtemps. Et dans le port du Pirée, les ferrys pour les îles tournent à plein. A une vingtaine de minutes en hydroglisseur, Egine, célèbre pour ses pistaches, ne désemplit pas. "Cette saison, nous avons eu 22% de vacanciers en plus sur l’île, dont la moitié de Grecs", note Terrys Zontiros, patron du restaurant Maya Bay. Et, fin août, alors que la Vouli, le Parlement, venait d’adopter un troisième plan d’aide international, assorti de nouvelles coupes, l’économie enregistrait une divine surprise : boostée par la consommation, la croissance a bondi de 0,9% au premier semestre.

Les mauvaises habitudes ont la vie dure

Alors, faut-il cesser de pleurer sur la Grèce, comme le clament en privé les membres de la troïka, ces inspecteurs des créanciers internationaux ? Certes, les abus perdurent. Les armateurs, protégés par la Constitution, sont toujours exemptés d’impôts. Beaucoup de cadastres restent fantaisistes. Et les très riches, les fameux oligarques que Tsipras avait promis de mettre au pas, contrôlent toujours des pans entiers de l’économie.

Malgré les progrès accomplis, les mauvaises habitudes ont la vie dure : impôts qui s’évaporent ; argent liquide qui fait la loi dans les îles, factures de restaurant qui, ne donnant ni le bon montant ni la bonne heure, peuvent servir au client suivant ; arrangements avec la loi. Ainsi, rien d’anormal à ce que, juste à côté d’un panneau "interdit de fumer dans tout l’hôtel" – le tabac est proscrit dans les lieux publics depuis 2002 –, un serveur vous propose un cendrier !

Au-delà des apparences, la réalité est plus complexe. La raison de la subite explosion de la consommation ? "La peur, pointe Michael Massourakis, chef économiste du patronat (SEV). Face aux turbulences politiques, les épargnants inquiets ont retiré leurs économies de la banque. En quelques mois, 14 milliards d’euros sont partis à l’étranger ou sous les matelas."

"Distributeurs dévalisés"

Peur supplémentaire : celle de manquer. Le contrôle des changes, instauré fin juin, a soulevé un vent de panique. Sur Egine, l’architecte naval Christos Iannou se souvient : "Durant quelques jours, supérettes et distributeurs ont été dévalisés. C’était irrationnel !" Non autorisés encore à retirer plus de 60 euros par jour, les Grecs ont eu le sentiment de tomber de Charybde en Scylla…

Car, depuis le début de la crise, le pays n’en finit pas de s’enfoncer. Mis au régime sec par les programmes des créanciers, il a perdu un quart de son PIB et s’est vidé de ses élites. La presse parle de 180.000 à 260.000 départs, dont celui de 5.500 médecins. "En un an, deux de mes assistants doctorants ont pris le chemin de l’Angleterre", atteste Theodore Pelagidis. Cet économiste à l’université du Pirée et à la Brookings Institution à Washington fustige "une austérité mal calibrée et des réformes structurelles insuffisantes".

Président de la Fondation hellénique pour l’Europe et la politique étrangère (Eliamep), Lukas Tsoukalis abonde : "Entre les baisses des revenus et les hausses d’impôts, le citoyen moyen a perdu 40% de son pouvoir d’achat." Beaucoup de fonctionnaires, d’artisans, de jeunes, de personnes âgées ont basculé dans la pauvreté. Le 1er septembre, la pension de Stathis Tsangaris, commerçant à la retraite de 73 ans, a été amputée pour la cinquième fois.

Ceux restés au pays ont dû s’adapter. Comme le sculpteur sur marbre et patron de PME George Paronis, qui, faute de commandes de l’Etat, est devenu, à 47 ans, chauffeur de taxi. Ou ces jeunes diplômés en archéologie qui ont trouvé pour seul emploi un poste de vigile au musée d’Art cycladique d’Athènes.

"On vit en état de siège"

Dans la capitale, les fermetures de commerces ont continué, jusque dans le très select quartier de Kolonaki. Il y a quelques semaines, c’est même un 4-étoiles, le Lycabettus, qui a baissé son rideau. "Les choses se sont dégradées très vite ces derniers mois", observe le chef économiste du patronat, pour qui "l’incertitude a commencé dès octobre ou novembre, juste avant les élections. Le gouvernement Samaras a beaucoup procrastiné".

L’arrivée de l’extrême gauche a été un électrochoc dans le monde des affaires, amplifié, cet été, par le contrôle des changes. La valeur des banques s’est effondrée, faillites et délocalisations se sont accélérées. "On vit en état de siège", se désole l’armateur Nicos Vernicos. Président de l’Union des entrepreneurs, Konstantinos Michalos évoque, lui, un "combat quotidien pour pouvoir transférer des fonds à l’étranger".

Un importateur de prêt-à-porter, qui comptait 3.000 salariés avant la crise et 2.000 fin 2014, raconte qu’il a dû licencier 1.000 personnes de plus et réduire le temps de travail des derniers : "Le lundi et le vendredi, ils restent chez eux : il n’y a plus de marchandise à vendre." Le pays manque de médicaments et de vaccins pour les bébés. Dans les supermarchés, on ne trouve plus d’eau d’Evian. A Athènes, une franchise américaine de pizzas n’a pas payé ses salariés depuis trois mois.

Quant aux soutiens de Tsipras, qui l’ont élu dans la liesse en janvier, ils sont déçus. S’ils ont applaudi le détricotage des mesures de droite (réintégration des 4.000 fonctionnaires licenciés, réouverture de la télévision publique), ils ont beaucoup moins apprécié la hausse de la TVA. Mais, surtout, ils n’ont pas compris qu’après le référendum du 5 juillet, qui rejetait à une large majorité le plan d’économies de l’Europe, le Premier ministre signe un nouveau train de mesures, plus drastique encore. Lui dit avoir eu le couteau sous la gorge.

Record touristique battu

Réalisateur franco-grec, auteur de Vive la crise, une pièce sur le drame grec jouée dix-huit mois à Paris, Alexandre Kollatos explique : "Tsipras a donné espoir à toute une génération. Nous avons tous cru en lui, passionnément, pensé qu’il impulserait un changement. Il a manqué une occasion historique ! Peut-être va-t-il gagner les législatives, car nous ne voulons plus des partis traditionnels corrompus, il devra faire des compromis." Les sondages donnent Syriza au coude-à-coude avec la droite et obligé de former une coalition. "Ces prévisions m’étonnent, objecte le politologue Lukas Tsoukalis. Tsipras va sans doute rassembler une grande partie de ses électeurs et réaliser un score meilleur." Pour lui, même s’il "prend beaucoup de liberté avec la vérité", l’ex-Premier ministre est "un tacticien extraordinaire". Un grand patron avoue, sous le couvert de l’anonymat, sa préférence pour Syriza : "Au moins il n’y aura pas de grèves et de manifestations, comme avec la droite."

Même réaction du côté des marchés financiers. "Maintenant que Tsipras a évincé les extrêmes, il n’y a que des bonnes nouvelles à attendre de la Grèce", s’exclame Bruno Cavalier, chef économiste d’Oddo. "Si j’étais un investisseur, j’achèterais des titres grecs, c’est le moment !" abonde l’économiste Theodore Pelagidis, pour qui le pays a "tous les atouts pour devenir la Floride de l’Europe". D’ici là, la saison touristique s’annonce exceptionnelle. Le record des 25 millions de visiteurs est d’ores et déjà battu. Septembre doit apporter 3,5 millions de touristes de plus et 2,2 milliards d’euros. A Vouliagmenis, la mer est encore à 25 degrés.

Sabine Syfuss-Arnaud (envoyée spéciale en Grèce), avec Alexia Kefalas (à Athènes)

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