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Billet de blog 21 septembre 2015

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Le rugby sud-africain entre talent et préjugés

L’accolade entre Nelson Mandela et François Pienaar, le symbole de la nation arc-en-ciel réconciliée, fait partie des images qui ont émerveillé le monde en 1998. Pour la coupe du monde de rugby 2015, le temps est venu de savoir si les Springboks sont aujourd’hui l’équipe représentative de l’Afrique du Sud. La question fait débat.

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L’accolade entre Nelson Mandela et François Pienaar, le symbole de la nation arc-en-ciel réconciliée, fait partie des images qui ont émerveillé le monde en 1998. Pour la coupe du monde de rugby 2015, le temps est venu de savoir si les Springboks sont aujourd’hui l’équipe représentative de l’Afrique du Sud. La question fait débat.

Le rugby sud-africain est à nouveau dans la tourmente depuis l’annonce de la composition de son équipe pour la Coupe du monde de rugby 2015. Le rugby reste le sport blanc par excellence en dépit de l’intégration de huit joueurs non blancs dans l’équipe nationale. Le débat fait rage depuis des années et si le Ministre des Sports affirme « qu’il n’y pas de raccourcis, ni de solutions divines ou magiques pour transformer le rugby », le parti ANA, (Agency for a New Agenda)  à demander à un tribunal d’empêcher la participation de l’équipe nationale sud-africaine à la coupe du monde de rugby et  à demander à l’Union internationale de rugby d’exclure l’Afrique du Sud car l’équipe ne représente pas la majorité des Sud-Africains. Ana a été déboutée et les Springboks disputent la Coupe du Monde, il n’empêche que le problème reste entier.

Certaines attitudes ont la vie dure et certains croient dur comme fer que le rugby est un sport pour les Blancs et le football, un sport pour les Noirs. A Glenwood High School à Durban, le responsable de l’équipe de rugby est catégorique : « le rugby a toujours était joué par des Blancs et le football par des Noirs dans ce pays », balivernes donc que de parler de racisme dans le choix des joueurs de l’équipe nationale.

Et pourtant, les Noirs ont aussi joué au rugby depuis longtemps, en particulier dans la province du Cap oriental, la province natale de Nelson Mandela. Dale College, fondé en 1840 pour les fils des officiers britanniques, est une institution qui a formé beaucoup de sportifs de haut niveau tant pour le rugby que pour le cricket. D’abord réservé aux blancs, cette école accueille aujourd’hui majoritairement des élèves noirs. Mais cet établissement souffre d’être dans une des provinces les plus pauvres du pays et d’avoir été ces dernières années mal administrée par des incompétents corrompus. C’est cependant dans des institutions de ce type que les futurs Springboks pourraient être formés, si on leur en donnait les moyens.

Malwande Mhamhe, un jeune rugbyman formé à Dale reconnaît que les choses ont bien changé depuis 1994 et que si le racisme y est encore perceptible, le mérite et les performances sont les critères de la réussite plus que la race.  Joueur doué, promis à un bel avenir il a pourtant fait l’expérience du plafond de verre qui lui a fait abandonné le rugby pour poursuivre des études académiques.

A l’âge de 18ans, on lui offert de devenir joueur professionnel dans le club des Blue Bulls, mais à la lecture du contrat, il s’est aperçu qu’on lui offrait 3000 rands par mois, soit la moitié du salaire payé aux autres joueurs. Et sur quel critère, si ce  n’est celui  de ne pas faire partie de la famille?  Les autres joueurs de ce club s’appellent van der Merwe ou de Klerk et parle Afrikaans.

La journaliste et auteur du livre Springbok Factory: What it Takes to be a Bok, Liz Mac Gregor, met aussi en avant le fait que l’environnement familial et communautaire qui fait les meilleurs joueurs de rugby fait défaut aux jeunes joueurs noirs. Pas de mère fière de son fils qui vient l’attendre à la sortie de l’entraînement, pas de voisin qui applaudit à ses performances et  pas de régime alimentaire adéquat pour atteindre le gabarit souhaité en temps voulu. A 18 ans, un joueur blanc mesure 1,98 et pèse 115 kilos, « un joueur noir peut s’estimer heureux, s’il y  arrive à 20 ans ».

Les jeunes talents noirs existent et attendent les bonnes conditions pour pouvoir s’épanouir. L’ancien pilier des Springboks, Robbie Kempson, en charge de l’académie de rugby Saru Kings Rugby Academy, de Port Elizabeth en est convaincu : « Dale College est une pépinière de talents noirs, mais ils n’ont pas encore le bon directeur sportif. Si le gouvernement avait depuis 20 ans abondé financièrement Dale College, je pense que cela aurait fait une grande différence. Si ces jeunes joueurs avaient reçu toute l’attention souhaitée, les Springboks serait bien différents aujourd’hui ».

Il n’y avait qu’un seul joueur noir dans l’équipe des Springboks en 1998, deux en 2007. Il y en huit dans l’équipe qui dispute la coupe du monde en 2015. Après la défaite des Springboks devant l’équipe du Japon, ces sages paroles feraient bien d’être prises au sérieux pour que le rugby devienne l’affaire et la fierté de tous les Sud-Africains.

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