
Neuf grands incendies continuent de brûler en Californie et 11 000 pompiers sont toujours mobilisés contre ces feux qui ont déjà fait cinq morts et forcé des milliers de personnes à abandonner leur maison. Rod Moraga, 50 ans, basé à Boulder (Colorado), lutte contre les feux de forêt depuis vingt-sept ans et est spécialisé dans l’analyse du comportement des incendies.
Qu’est-ce que l’analyse du comportement des incendies ?
Rod Moraga : Cela consiste à observer, interpréter et prédire le déplacement des feux en activité. On le fait heure par heure pour assurer la sécurité des pompiers. Des progrès formidables ont été effectués grâce à la technologie. Maintenant, on peut représenter le périmètre en flammes en 3D. Non seulement on peut calculer comment l’incendie évolue, mais le modèle prend en considération le terrain. Comment le feu va se comporter en fonction des différents combustibles, lauriers, maquis… Et il intègre les prévisions météorologiques.
Comment se fait-il que les incendies durent aussi longtemps ? Le Rough Fire, en Californie, a démarré le 31 juillet !
Sur la côte Est, on voit rarement un feu qui dure plus d’un ou deux jours. Dans l’Ouest, il y a des zones où il est trop périlleux d’aller, des canyons où il est difficile de placer des équipements. La végétation est extrêmement inflammable. Les feuilles des lauriers ou des manzanitas [arbuste à feuillage persistant] contiennent de l’huile. Elles brûlent d’autant plus facilement qu’il fait très chaud. La Californie, qui enregistre sa quatrième année consécutive de sécheresse, est connue pour son vent, qui dessèche tout, avant même le passage des flammes. Notre tactique est essentiellement défensive. Protéger les maisons : c’est tout ce que nous pouvons faire.
Les pompiers sont-ils assez nombreux pour les feux actuels ?
Les équipes sont épuisées. Elles ont déjà fait des triples rotations cette saison. Moi-même, je me suis porté volontaire et j’ai déjà été déployé trois fois. Mais ce n’est pas une question de ressources : 90 % des feux ne dépassent pas 4 hectares, on arrive à les empêcher de s’agrandir. Le problème, ce sont les 10 % restant, les feux tellement énormes que, quels que soient les moyens déployés, il est impossible de les arrêter. Il faut l’accepter. Nous acceptons que nous sommes incapables d’arrêter les tremblements de terre. C’est pareil pour les méga-incendies.
Pensez-vous que ces incendies sont liés au changement climatique ?
Je reste très prudent. Les périodes de grande sécheresse ont toujours existé. Mais avec le changement climatique, on voit que la saison des feux est plus longue. La saison de croissance de la végétation aussi : ça fait plus de combustible pour les incendies. Chaque année, nous avons l’impression que la saison est pire que l’année précédente. C’est à ça que je commence à voir l’influence du changement climatique. Bien sûr, certains feux sont bénéfiques à l’environnement. Mais cet été, on a vu des incendies dans des endroits qui n’en avaient pas connu depuis plusieurs centaines d’années : la forêt primaire en Oregon et dans l’Etat de Washington. Pour la troisième année consécutive, on a vu un feu majeur dans le parc du Yosemite. Ce n’est pas normal.
Le problème, c’est qu’on continue à construire dans ces zones. Après les incendies, les compagnies d’assurances indemnisent les gens et ils reconstruisent au même endroit ! On ne peut pas leur en vouloir, c’est leur terrain. Moi-même, j’ai perdu ma maison en 2010 dans un incendie près de Boulder. J’ai reconstruit, mais pas au même endroit. Je suis venu en ville [à Boulder]. Et là, deux ans après, on a eu les inondations du siècle. On ne peut pas échapper à Mère nature.
Quel est le propos du film auquel vous avez participé sur le travail des pompiers ?
Le propos d’Un risque inacceptable : des pompiers aux avant-postes du changement climatique est de dire qu’on ne peut pas continuer à mettre les pompiers dans des positions impossibles à gagner. Nous ne pouvons pas lutter comme par le passé alors qu’autant d’éléments sont contre nous. Personne n’essaie d’arrêter les inondations ou les tornades. On se concentre sur les secours après la catastrophe. Les gens s’attendent à ce que les pompiers viennent, se battent et protègent leur maison. Ils doivent comprendre qu’il y a une évolution.
Maintenant, c’est plutôt : on vous aidera une fois que l’incendie sera passé. Cela va prendre du temps pour que les responsables tiennent ce discours en public, mais si le changement climatique s’accélère et qu’on continue à voir des feux qui échappent à tout contrôle, cela finira par arriver.
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