
AUTOMOBILE - "Désastre", "choc", "débâcle"... La presse allemande ne sait plus comment qualifier les manipulations dont le fleuron national Volkswagen s'est rendu coupable.
Comme l'a révélé le 18 septembre l'agence environnementale américaine (EPA), le constructeur a triché aux Etats-Unis sur les contrôles anti-pollution, une duperie dont les conséquences sont encore difficiles à évaluer.
Rien que ce 21 septembre, le groupe Volkswagen a perdu 15 milliards d'euros de capitalisation à la Bourse de Francfort. Le titre de cette compagnie allemande s'est stabilisé en perte de 18,6% à la fermeture.
L'affaire "va avoir pour le groupe des conséquences financières considérables, qui ne sont pas encore calculables", estime le spécialiste automobile Ferdinand Dudenhöffer, "l'image et la crédibilité de Volkswagen dans le monde entier sont maintenant entamées".
Volkswagen va laisser des plumes dans ce scandale, et pas qu'un peu. Mais le numéro 1 mondial des ventes automobile a les ressources pour s'en tirer...
La réputation irréprochable de la mécanique allemande appartient au passé. C'est la première conséquence, et la plus difficile à quantifier de ce scandale. Car Volkswagen ne s'est pas rendue coupable d'une omission, ou d'une dissimulation peu glorieuse, mais bien d'une duperie industrielle savamment organisée.
"La pollution des voitures est mesurée sur des cycles de roulage typique. Tous les constructeurs sont tentés d'optimiser les moteurs pour ces exercices, c'est comparable à du bachotage, décrypte un expert du secteur pour Le HuffPost. Mais ils peuvent aussi être tentés de rajouter une boucle de logiciel qui détecte ces exercices. Le moteur réduit alors sa consommation et les émissions de gaz."
En Europe, la norme des tests anti-pollution MVEG (Motor Vehicle Emissions Group) fixe les temps d'accélération, la vitesse maximale, les points de freinage, la durée du trajet... Un bon logiciel n'a aucune difficulté à repérer l'exercice, mais c'est parfaitement interdit. Aux Etats-Unis, le principe est identique.
Les régulateurs sont bien conscients du côté artificiel du MVEG. Ils sont d'ailleurs en passe de le remplacer par le RDE (Real Driving Emissions), plus réalistes.
Mais pour Volkswagen, le mal est fait. "A partir du moment où la qualité est remise en cause, l'image d'éthique et de fiabilité est mise à mal, confirme Philippe Crevel, secrétaire général du Cercle de l'épargne. C'est là qu'on voit l'importance d'une marque dans la valeur financière d'une entreprise."
La Corée du Sud et l'Allemagne ont annoncé ce lundi 21 septembre qu'elles allaient mener des enquêtes approfondies à leur tour. "Une chose est claire, c'est une affaire grave", a réagi pour sa part le ministre de l'Economie et vice-chancelier Sigmar Gabriel, mais "je suis sûr que la société va clarifier les choses rapidement et en profondeur".
Pour chaque véhicule, l'administration américaine peut infliger jusqu'à 37.500 dollars d'amende au constructeur allemand. Avec 482.000 voitures hors la loi, Volkswagen risque de payer jusqu'à 18,07 milliards de dollars (16,05 milliards d'euros).
Même pour une entreprise de 202 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2014, cela représente la majeure partie de ses bénéfices des deux dernières années, à savoir 20 milliards d'euros.
Pas étonnant que les actionnaires réagissent mal à la nouvelle. Leurs dividendes peuvent fondre comme neige au soleil, tandis que le constructeur devra réduire ses investissements, au risque de se faire rattraper par ses concurrents.
Selon les autorités américaines 482.000 véhicules de marque Volkswagen et Audi, construits entre 2009 et 2015 et vendus aux Etats-Unis, ont été équipés du fameux logiciel capable de détecter quand il est soumis à un test de mesure anti-pollution.
"S'ils ont optimisé le logiciel, c'est pour éviter de rajouter de la mécanique, comme des filtres supplémentaires, ou des réservoirs d'adjuvants chimiques anti-émissions, décrypte un expert automobile pour Le HuffPost. Pour remettre les voitures dans les clous des normes environnementales, il faut revoir tout le compromis consommation, puissance, couple."
En clair, Volkswagen peut soit rappeler les véhicules pour rajouter des pièces mécaniques, et cela va vite être cher, soit les régler pour consommer moins, au détriment de la puissance. Et ses clients ne vont pas apprécier du tout... Le coût des remises en conformité peut se chiffrer en centaines de millions, voire en milliards d'euros.
Et il faut rajouter les manques à gagner. Volkswagen a indiqué ce 21 septembre qu'il cessait pour l'instant de commercialiser les modèles diesel quatre cylindres de ses marques VW et Audi aux Etats-Unis, sachant que les diesel y représentaient 23% des ventes de la marque VW en août.
Malgré le coût exorbitant de cette fraude, Volkswagen a les moyens de traverser la crise. D'abord, il serait surprenant que l'amende soit fixée au plafond de 16 milliards d'euros. Il y aura une négociation qui permettra certainement de l'alléger.
Ensuite, Volkswagen est une très grosse entreprise en bonne santé. "Si c'était arrivé à PSA, ce serait son arrêt de mort. Pour VW, cela veut dire que les deux, ou trois prochaines années seront plus dures", tempère Philippe Crevel, du Cercle de l'épargne.
En plus de Volkswagen et Audi, les deux marques victimes du scandale, le groupe peut compter sur ses dix autres pour faire le dos rond (Porsche, Bugatti, Bentley, Seat, Skoda, Ducati...).
Enfin, malgré la chute spectaculaire de son titre de 20%, l'entreprise reste valorisée plus de 60 milliards d'euros. Le risque d'OPA est d'autant plus minime que son actionnariat est verrouillé. "Le capitalisme allemand est d'une rare complexité, notamment à cause des liens familiaux des actionnaires. En plus, l'Etat allemand est toujours au capital", pointe Philippe Crevel.