
"L'air qui sort du pot d'échappement est plus propre que l'air qu'il absorbe en ville." En plein débat sur la dangerosité du diesel, PSA Peugeot Citroën ressort son argumentaire, déjà martelé cet automne, afin de prouver que les nouvelles voitures, équipées de filtres à particules, sont "propres" et que le seul problème de ce carburant réside dans les véhicules anciens encore en circulation. Alors, les moteurs diesel peuvent-ils être neutres pour la santé ?
- Des polluants réduits sous la pression des normes
Mises en place en 1991, les normes européennes Euro réglementent les émissions des polluants atmosphériques des moteurs à essence, diesel ou GPL. Numérotées de Euro 0 à Euro 6 pour les voitures particulières et de Euro I à Euro VI pour les véhicules commerciaux, elles ont pour objectif de réduire la pollution engendrée par le transport routier et d'améliorer la qualité de l'air des zones de forte circulation.
Ces normes évoluent régulièrement et sont à chaque fois plus restrictives. Elles prennent en compte quatre polluants, mesurés dans les émissions à l'échappement, par évaporation et du carter : les oxydes d'azote (NOx), le monoxyde de carbone (CO), les hydrocarbures (HC), dont ceux non-méthaniques (HCNM), et les particules fines, mesurées en fonction de leur masse (PM) et leur nombre (PN). Le dioxyde de carbone (CO2) n'est pas pris en compte car il n'affecte pas directement la santé des organismes – sauf à des seuils très élevés – et dans la mesure où d'autres dispositifs européens sont prévus pour ce gaz à effet de serre.
La dernière norme Euro 5, entrée en vigueur le 1er janvier 2011 pour les voitures neuves, limite les émissions des moteurs diesel à :
- 500 milligrammes par kilomètre (mg/km) pour le monoxyde de carbone (même plafond que la norme précédente Euro 4),
- 5 mg/km pour les particules, soit une réduction de 80 % des émissions par rapport à la norme Euro 4, et l'obligation d'équiper les véhicules d'un filtre à particules,
- 180 mg/km pour les oxydes d'azote, soit une réduction de 20 % des émissions par rapport à Euro 4.
Ces limites doivent encore être renforcées par la norme Euro 6, qui interviendra le 1er septembre 2015, après une homologation des nouvelles voitures en 2014. Les émissions de NOx se verront ainsi plafonnées à 80 mg/km (soit une réduction supplémentaire de plus de 50 % par rapport à la norme Euro 5), tandis que les émissions combinées d'hydrocarbures et d'oxydes d'azote seront réduites, à 170 mg/km (contre 230 avec la norme Euro 5). Les particules fines, quant à elles, resteront quasiment au même niveau (4,5 mg/km).
- Le poids des véhicules anciens
Si ces nouvelles normes réduisent, pour certaines, drastiquement les émissions des véhicules diesel, elles le font seulement pour les voitures nouvellement immatriculées. Les autres continuent ainsi de circuler et de polluer autant que par le passé. Or, les véhicules diesel les plus polluants, ceux d'avant 2000, sont au nombre de 19 millions, soit 27 % du parc en circulation.
"Le renouvellement du parc s'effectuant sur une rotation de 25 à 30 ans, il faut toujours un temps de latence avant qu'on puisse observer les effets des normes sur l'environnement", note ainsi l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe).
- Les filtres à particules en question
Pour remplir les critères européens, et voir leurs véhicules homologués, les constructeurs ont dû équiper leurs voitures de filtres à particules depuis le 1er janvier 2011. Ces systèmes de filtration ont pour objectif de retenir les particules fines, d'un diamètre inférieur à 10 micromètres, voire 2,5 micromètres – dites PM10 et PM2,5, et considérées comme cancérogènes pour l'homme par l'OMS parce qu'elles pénètrent très profondément dans les poumons.
"Nos filtres retiennent 99,99 % des particules fines, assure PSA. On arrive à des niveaux à la limite du mesurable." Et le constructeur français de citer pour preuve le net recul des rejets des moteurs diesel. Une 406 moteur HDI de 1998 émet 30 mg/km de particules fines contre 1 200 mg/km pour une 404 dans les années 1960. Et avec un filtre à particules, ces rejets tombent à "moins de 1 mg/km", pour des particules allant de 10 nanomètres à 100 micromètres.
Le problème est que les voitures diesel sont loin d'en être toutes équipées. Si aucun chiffre officiel n'existe à ce sujet, Eric Champarnaud, associé du cabinet de conseil BIPE, chargé de la pratique automobile, calcule que les filtres à particules doivent concerner seulement 15 % du parc automobile français.
Surtout, si PSA se targue de filtrer parfaitement l'air au point de le rendre plus pur qu'à l'origine, il omet de tenir compte, dans ce discours, des autres polluants, et en particulier des oxydes d'azote, qui eux ne sont pas concernés par les filtres et restent encore à des taux élevés. Actuellement, les moteurs diesel émettent ainsi jusqu'à trois fois plus de NOx que les moteurs essence, soit 180 mg/km au lieu de 60 mg/km. Une technologie existe aujourd'hui pour limiter ces émissions : le système Réduction catalytique sélective (Selective Catalytic Reduction, SCR en anglais). Mais elle ne sera généralisée qu'avec l'entrée en vigueur de la norme Euro 6.
Sans compter qu'il existe un effet pervers aux filtres à particules. Selon l'Agence française de sécurité sanitaire (Anses) dans un rapport en 2009, leur installation associée à un catalyseur d'oxydation (pour abaisser la température nécessaire à la combustion des particules) a entraîné une hausse des émissions de dioxyde d'azote (NO2), surtout observée à l'intérieur des voitures, un polluant qui "induit des effets toxiques sur le système respiratoire".
- Des tests de contrôle de la pollution biaisés
Dernier problème pointé par les opposants au diesel : les tests de conformité aux normes Euro sont biaisés et ne permettent pas d'évaluer précisément la quantité de polluants émis par les véhicules sur la route, selon un rapport du Joint Research Centre, le laboratoire de recherche scientifique et technique de la Commission européenne, publié en début d'année.
"Il existe une très grande divergence entre les émissions mesurées sur le cycle d'essai réglementaire [nouveau cycle européen de conduite, NEDC] et les émissions mesurées pendant l'usage réel : les paramètres du véhicule (réglages du moteur et aérodynamisme) sont optimisés pour offrir les meilleurs résultats lors des tests, mais ils diffèrent grandement en conditions réelles, avec des vitesses de conduite qui changent brusquement, un état des routes variable et des véhicules qui ne sont pas neufs", regrette Nikolaus Steininger, l'un des auteurs du rapport, chargé de mission à la DG Entreprise et industrie de la Commission européenne.
Le cycle NEDC doit être remplacé en 2014, dans le cadre de la norme Euro 6, par le cycle WLTC (Procédure d'essai mondiale harmonisée pour les voitures particulières et véhicules utilitaires légers), conçu pour être le plus proche possible des conditions d'utilisation réelles des voitures. "Le WLTP comme tel va très peu limiter les émissions d'oxydes d'azote, parce que c'est toujours un cycle sur lequel on peut calibrer ses systèmes de contrôle des émissions NOx sans améliorer la situation dans la vie réelle", prévient toutefois Nikolaus Steininger.
La Commission européenne prépare alors, en collaboration avec les constructeurs automobiles européens, des essais sur route avec des systèmes de mesure portables des émissions ainsi que des cycles de conduite aléatoires en laboratoire. Une campagne d'essais aura lieu cette année.
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