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Brésil / Justice

Brésil: Jonatas ou la difficulté d'être juge en Amazonie

Faire respecter la loi, une lutte au quotidien en Amazonie. Jonatas dos Santos Andrade, juge fédéral du Tribunal du travail à Maraba, dans l’Etat du Para au Brésil, en sait quelque chose : après des études de droit et d'économie à l’université de Sao Paulo, ce magistrat de 47 ans est revenu dans sa région natale où il traque inlassablement le travail forcé, une forme d’esclavage. Son travail et son courage lui ont valu plusieurs distinctions, dont le Prix brésilien des droits de l'homme en 2012. Entretien.

Jonatas dos Santos Andrade, juge fédéral du Tribunal du travail à Maraba, dans l’Etat du Para.
Jonatas dos Santos Andrade, juge fédéral du Tribunal du travail à Maraba, dans l’Etat du Para. RFI/Annie Gasnier
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Pourquoi est-ce différent d'être juge en Amazonie ?
C’est une responsabilité supplémentaire, et pas seulement parce que je suis magistrat. Nous sommes dans une région où il y a d'immenses richesses et beaucoup de convoitises. Cela génère des disputes, des conflits, des violences. Les droits de l'homme y sont régulièrement bafoués… L’Etat est faiblement représenté. Il a lui-même encouragé l’occupation des lieux mais il ne l’a pas accompagnée. Il a encouragé l’activité économique sans encadrer le développement social qui lui est inhérent. Donc, l’Etat est en retard dans une économie régionale en pleine croissance. Mais le vrai problème, c’est qu’il est difficile de contrôler cette Amazonie plus vaste que l’Union européenne !

Est-il facile d'y faire respecter la loi ?
Si je n’y parvenais pas, je serais un professionnel frustré ! Je considère que j’y parviens ! Mais je dois redoubler d’efforts pour voir appliquées mes décisions. L'idéal est de ne pas recourir à la police fédérale. Dans cette région, les potentats locaux profitent de l’éloignement et des difficultés d’accès pour imposer la loi du plus fort. Ils n'ont d’ailleurs jamais cru que la justice étatique finirait par arriver. A moi de leur montrer que l’Etat est là, et qu’il faut lui obéir spontanément. Il faut être pédagogue. On ne peut pas toujours recourir à la force. 

Avez-vous déjà été menacé ?
J’ai déjà été placé sous la protection des fédéraux. Il y avait eu des menaces de mort très précises contre moi et ma famille. J'ai été escorté par des flics pendant quatre mois. Il y a eu une enquête. Et ça pourrait recommencer d’ailleurs, mais je n’ai pas peur. Je n’ai plus peur, disons. Signe que les choses s’améliorent par ici, l’Etat démocratique, l’Etat de droit progresse sur le terrain. Et les gens respectent la loi par le simple fait qu’elle existe.

Le travail forcé est-il toujours un fléau ?
La justice du travail est de plus en plus respectée sur la « frontière » amazonienne. Mais au Brésil, on évalue à 150 000 le nombre de travailleurs victimes de cet esclavage moderne. Nous avons « libéré » 50 000 personnes, et donc traité à peine le quart du problème. On découvre ces victimes chez de riches fermiers du Para, des fazendeiros qui se jouent de la loi à l'abri de l'immensité de leurs propriétés. Cependant, l'Etat prend l’avantage : l'Etat démocratique avance et c’est un processus irréversible. La société brésilienne réclame de plus en plus de justice.

Les paysans sans serre espéraient trouver ici leur eldorado. Mais la majorité des fermes restent immenses, n’est-ce pas ?
La réforme agraire avance malgré tout. Il y a vingt ans, entre Maraba et Paraupebas, deux pôles urbains distants de 170 kilomètres, six familles y étaient propriétaires. Aujourd'hui, ils sont 10 000 propriétaires ! Le Mouvement des sans terre a forcé à une redistribution du territoire, c'est un fait ! Mais au prix de luttes violentes, et de morts, comme lors de la tuerie d'Eldorado de Carajas… Et ce n’est pas fini, car la réforme agraire n'est pasadaptée. Dans toute l’Amérique latine, cette question reste d’ailleurs d'actualité. 

Que représente pour vous le frère Henri Burin des Roziers, cet avocat qui a défendu durant quarante ans les Sans Terre et les ouvriers agricoles de cette région, quand les tribunaux se trouvaient à des centaines de kilomètres ?
Mon premier voyage en Europe, à Paris, je l'ai fait pour lui rendre visite dans le couvent dominicain où il s'était retiré à 85 ans. Frei Henri est une source de justice, indépendamment du fait qu’il a été un homme d’Eglise défendant une idéologie. Dans la ville Lumière, il avait tout pour être au centre du monde, bénéficiant du confort qu’offre un Etat où règne le bien-être social. Mais il a renoncé à ces facilités pour défendre ceux qui n’ont rien : les sans voix, les sans espoir, les sans toit, les sans terre, les sans droit. Exactement le message que le pape François répand aujourd’hui : « Ici, je suis venu à une source cristalline de justice ». J’espère pouvoir un jour profiter des récompenses et distinctions obtenues dans cette lutte pour créer, et défendre, un droit mondial à la protection sociale.

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