Smart France, le retour avorté aux 39 heures

La direction se heurte à l'opposition des syndicats, malgré un référendum positif. Bancale juridiquement, sa proposition revenait à baisser le salaire horaire.

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L'usine Smart d'Hambach est en concurrence avec un site slovène.
L'usine Smart d'Hambach est en concurrence avec un site slovène. © AFP

Temps de lecture : 5 min

« Les 39 heures ne se feront pas chez Smart, c'est clair. Je ne sais pas pourquoi on parle encore de cela. » Pour le secrétaire général CGT de Smart France, Jean-Luc Bielitz, l'affaire est entendue. La direction de l'usine d'Hambach (Moselle) peut bien présenter formellement aux représentants des salariés son « pacte 2020 », cette proposition d'augmenter le temps de travail de 35 à 39 heures, mercredi à 14 heures, est mort-née.

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Allié à la CFDT, le syndicat va faire jouer son droit de veto, comme il en a le droit, pour s'opposer à tout accord collectif en ce sens. À elles deux, les deux organisations représentent en effet 50 % des salariés ayant voté aux élections professionnelles et peuvent de fait empêcher toute validation par les autres organisations syndicales du « pacte 2020 » proposé par la direction. Et ce, malgré le résultat positif du référendum purement consultatif organisé par la direction le 11 septembre, au cours duquel 56 % de salariés s'étaient prononcés « pour » (mais seulement 39 % des ouvriers).

Reste une question. Comment la direction de l'usine de fabrication de voitures a-t-elle pu espérer imposer une hausse du temps de travail de 35 à 39 heures (+ 11 %) à ses salariés en échange d'une augmentation de 120 euros de salaire brut seulement et 2 primes de 500 euros sur deux ans alors que la durée légale est de 35 heures ?

Le « pacte 2020 » proposé par Smart France à ses salariés

-       Une augmentation du temps de travail de 35 heures par semaines à 37 heures au 1er octobre, puis à 39 heures un an plus tard, et ce, jusqu'à fin septembre 2018 afin de produire la nouvelle « Smart Fortwo » (deux places). La direction se justifie par la nécessité de maintenir la compétitivité du site afin d'espérer accueillir, un jour, la production de la Smart de 4e génération face à la concurrence du site de l'usine de Renault en Slovénie, dans laquelle est produite la Twingo mais aussi la Smart Forfour (pour quatre) de Daimler.

-       Une augmentation de salaire de 120 euros brut au 1er octobre, deux primes de 500 euros sur deux ans.

-       Une garantie de maintien de l'emploi pendant cinq ans, jusqu'à fin 2020.

-       La promesse d'embauche de 50 intérimaires.

Le droit du temps de travail n'est certes pas le carcan trop souvent décrit par les commentateurs. La référence aux 35 heures ne sert qu'à déterminer le volume horaire au-delà duquel sont déclenchées les heures supplémentaires et la majoration de salaire de 25 % qui y est attachée. Depuis la loi de Xavier Bertrand de 2008, cette majoration peut même être abaissée à 10 % en cas d'accord collectif d'entreprise ou de branche, après signature des représentants des salariés représentant au moins 30 % des suffrages exprimés. Mais Smart n'était clairement pas dans cette hypothèse puisque sa proposition revient à rémunérer l'heure supplémentaire moins cher que l'heure normale !

L'accord de chaque salarié nécessaire

L'usine ne pouvait pas non plus s'appuyer sur les « accords de maintien de l'emploi », sorte de régime d'exception négocié entre syndicats et patronat en 2013 qui autorise les entreprises à réviser le temps de travail et les salaires pendant deux ans, à condition qu'elles soient en situation « de graves difficultés économiques ». Sa maison mère, Daimler, réalise, en effet, de confortables profits...

La seule solution pour la direction des ressources humaines de Smart France consistait donc à tenter d'imposer une hausse du temps de travail couplée à une baisse du salaire horaire des salariés (« taux horaire »). « C'est ce que nous a dit le DRH en comité central d'entreprise », confirme Jean-Luc Bielitz, de la CGT.

Sauf qu'une telle mesure nécessite non seulement un accord collectif mais aussi l'accord individuel de chacun des salariés, à moins que l'entreprise ne soit confrontée à des « difficultés économiques qui rendent indispensable un licenciement pour sauvegarder la compétitivité de l'entreprise », rappelle l'avocat Sylvain Niel, spécialiste du droit du travail au cabinet Fidal. Ce qui n'est, encore une fois, pas le cas. Du coup, même si les syndicats changeaient d'avis, l'entreprise serait obligée de faire cohabiter ceux qui acceptent le nouveau régime et ceux qui refusent le passage aux 39 heures payées 37 qu'elle n'a aucun moyen de renvoyer !

Vers des accords de maintien de l'emploi « offensifs » ?

Cette situation ubuesque relance inévitablement le débat sur le temps de travail en France. Faut-il être plus souple et autoriser chaque entreprise à négocier avec les représentants des salariés le seuil de déclenchement des heures supplémentaires et donc supprimer la majoration de salaire qui va avec ? La question a été posée dans le rapport de Jean-Denis Combrexelle, commandé par Manuel Valls. Mais François Hollande et Manuel Valls ont immédiatement fait savoir leur opposition. « Il ne saurait être question de modifier par accord le seuil de déclenchement des heures supplémentaires », a tranché le Premier ministre. Selon Matignon, une telle mesure serait en effet une « suppression indirecte de la durée légale du travail ». Son application pourrait de toute façon être délicate à valider juridiquement, estime l'avocat Jacques Barthelemy*. Pour ce spécialiste du droit du travail, « ne pas appliquer de majoration du tout sur les heures supplémentaires pose problème au regard du droit supranational, particulièrement de la charte sociale européenne ».

Sans remettre en cause la durée légale, le gouvernement pourrait tout de même être tenté d'offrir encore plus de souplesse sur le temps de travail dans son projet de loi censé favoriser les accords d'entreprise. Michel Sapin plaide pour « desserrer les conditions des accords de maintien de l'emploi afin de passer à des accords offensifs (même quand l'entreprise va bien, NDLR), notamment sur le contrat de travail, les qualifications et les implantations ». Pour le ministre des Finances, il s'agit d'aller vers « le modèle de certains constructeurs automobiles allemands qui ont imposé des baisses de salaire moyennant une clause de retour à meilleure fortune ». Une évolution qui paraît taillée pour Smart France...

*Coauteur avec l'économiste Gilbert Cette d'un rapport pour le think tank Terra Nova, "Réformer le droit du travail", 19,90 euros, Odile Jacob.

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Commentaires (53)

  • TATOU71

    Une des explications de la disparition de l'industrie Française.
    Qui parlera de ces délégués syndicaux siégeant au CE, CHSCT etc. Qui sont d'une incompétence grave, mais qui ont un emploi protège, essayez de vous séparer d'une de ces personnes ! IL serait temps que d'autres personnes se présentent à ces postes pour mener un vrai travail de dialogue et de concertation constructive.

  • Manex

    Ne sont ils pas surtout incompétents et rétrogrades ?

  • mamyenonnon

    Toujours à la pointe du progrès les syndicats ! Une fois de plus il font la démonstration de leur nuisance aux travailleurs ! Et ils crieront aux loups, lorsque dans quelque temps l'usine devra licencier ! Rien de nouveau !