RUGBY - Une énorme surprise dès la première journée. Si la hiérarchie a globalement été respectée lors des premières rencontres de la Coupe du monde de rugby, le Japon a fait sensation en battant l'Afrique du sud (34-32) après un match de haut niveau. Une performance majuscule pour une sélection qui a disputé toutes les Coupes du monde mais n'avait jusqu'ici remporté qu'un match, en 1991, face au modeste Zimbabwe.
Le scénario paraissait encore improbable à la veille du match, et pourrait laisser espérer d'autres exploits à venir pour relancer le suspense d'une compétition qui semble toujours promise aux mêmes nations. Alors que le XV de France dispute son deuxième match ce mercredi 23 septembre face à la Roumanie, doit-on craindre un coup de tonnerre similaire à la défaite de 2011 face aux Tonga?
L'Australie va-t-elle chuter à son tour d'entrée face aux Fidji, la Namibie peut-elle accrocher, voire battre la Nouvelle-Zélande jeudi...? Si les écarts se sont réduits, vous avez tout de même très peu de chances de voir ce genre d'exploits se produire en rugby, à l'inverse du football ou d'autres sports collectifs. Voici pourquoi:
Au-delà du pedigree de son adversaire - bien qu'en perte de vitesse ces derniers mois - la victoire du Japon contre l'Afrique du sud a été d'autant plus surprenante qu'on n'a pas l'habitude de voir les "Brave Blossoms" affronter l'élite du rugby. Difficile donc de mesurer les progrès de la sélection, qui se frotte à la Corée du sud et à Hong Kong (en championnat d'Asie), aux sélections îliennes et nord-américaines (Pacific Nations), mais jamais au gratin mondial.
En matchs de préparation, les Japonais avaient aussi vaincu la Géorgie ainsi que les faibles Uruguayens (à deux reprises), pas vraiment de quoi se jauger avant la Coupe du monde. Pourtant, les Nippons sont en nette amélioration et impressionnent par leur vitesse, notait déjà Pieter de Villiers, ancien joueur du XV de France et actuel responsable de la mêlée des Springboks, avant la défaite des Sud-Africains.
Ces progrès, le Japon les doit notamment au sélectionneur australien Eddie Jones, qui "a fait un travail considérable" et est tout simplement "le meilleur entraîneur du monde" selon Bernard Laporte, ainsi qu'au Français Marc Dal Maso, ex-talonneur international qui a rejoint le staff et amené sa "patte" en tant qu'entraîneur chargé de la mêlée. "S'il y avait un prix pour la mêlée qui s'est le plus améliorée au monde, je le donnerais au Japon", affirme même Pieter de Villiers.
Les Japonais occupent la 11e place du World Rugby (devant l'Ecosse, face à laquelle ils se sont finalement inclinés ce mercredi 45 à 10) et sont même entrés dans le Top 10 en 2014 après dix victoires consécutives, notamment contre l'Italie. En 2013, ils ont même battu les Gallois, alors doubles vainqueurs des Six Nations. Alors que le pays du Soleil levant accueillera le Mondial 2019, son objectif de quarts en Angleterre semble loin d'être fantaisiste.
Difficile donc d'imaginer que d'autres sélections mineures aient la capacité de se hisser au niveau des puissances "historiques" lors de cette Coupe du monde. Si peu ont connu une progression aussi forte que les Nippons, toutes sont confrontées à des obstacles similaires à commencer par le manque de confrontations contre les meilleures nations du rugby. Un problème que connaît bien la Roumanie, adversaire des Bleus ce soir.
Comme le souligne Rugbyrama, la sélection des "Chênes" est une "victime du rugby à deux vitesses", qui avait su progresser jusqu'au début des années 1990, notamment en se mesurant à la France. Alors que les Roumains faisaient partie des meilleures équipes européennes et étaient proches de rejoindre le Tournoi des Cinq Nations, la chute du régime Ceausescu a précipité la dégringolade de la sélection, qui n'a ensuite jamais pu s'adapter à l'avènement du rugby professionnel.
Marius Tincu, ex-talonneur et entraîneur roumain
L’entraîneur des avants Marius Tincu, ancien talonneur et champion de France 2009 avec Perpignan, résume la situation: "Nous sommes désormais cantonnés à jouer contre des nations de notre niveau [...] On ne progressera pas. Pourquoi la France nous tourne le dos? Si elle venait disputer un match à Bucarest, je vous assure que toutes les télés du pays et de gros sponsors seraient attirés. Ils en ont marre de voir des matchs contre la Géorgie!"
Même constat dans l'hémisphère sud, où les Fidji ou les Samoa n'ont que rarement l'occasion d'affronter Néo-Zélandais, Australiens et autres Sud-Africains. Alors que l'Argentine a nettement progressé en multipliant les tournées en Europe puis en rejoignant le Tri-nations en 2012, les Îliens restent pour leur part cantonnés à la Pacific Nations Cup. Les Etats-Unis et le Canada l'ont intégré en 2013 mais sont loins d'être des adversaires de premier rang.
D'autres facteurs permettent d'expliquer les difficultés des petits à vaincre les grands du rugby. Au-delà de l'amateurisme qui reste encore la norme dans de nombreux pays, on constate une "fuite des cerveaux" (ou plutôt des bras et des jambes), comme le note Slate, qui touche particulièrement les îles du Pacifique. Ces pays pauvres, qui disposent d'un vivier de joueurs très limité au vu de leur minuscule population, se voient souvent chiper leurs meilleurs éléments.
Rien que pour ce Mondial, il y a largement de quoi constituer une équipe avec les joueurs d'ascendance tongienne, fidjienne ou samoane qui évoluent pour l'Australie, la Nouvelle-Zélande, le Pays de Galles, l'Angleterre ou encore la France. S'ils ne sont pas tous des stars comme All Blacks Jonah Lomu, Tana Umaga et Jerry Collins, on peut se demander ce que des joueurs de cette trempe auraient apporté aux Samoa, par exemple.
Malakai Fekitoa, centre All Black né aux Tonga
Sans parler de naturalisation, les "expatriations" de talents vers les grands championnats ont aussi aussi tendance à affaiblir les sélections de second rang. D'une part, certaines grosses écuries n'hésitent pas à faire pression sur leurs joueurs - notamment sur le plan financier - pour qu'ils renoncent à leur sélection et privilégient leur club. Des méthodes dénoncées récemment par le Samoan Dan Leo.
D'autre part, l'éparpillement ne facilite pas la constitution de groupes cohérents et les joueurs ne sont pas forcément habitués à jouer ensemble hors tournées et compétitions internationales. A l'inverse, Français et Anglais ainsi qu'une majorité d'Irlandais ou d'Australiens évoluent "au pays" - souvent dans les mêmes clubs - et seules ces grandes nations ont les moyens d'organiser des stages de préparation intensifs et longue durée. Dans le sport collectif par excellence qu'est le rugby, cela a son importance.