Le « Washington Post » se donne à Facebook
Une révolution dans la distribution numérique de la presse se profile.
Le vénérable « Washington Post » est devenu le premier journal établi à parier franchement sur une collaboration avec les nouveaux agrégateurs de contenus hyperpuissants qui pourraient révolutionner la distribution en ligne de la presse. Le quotidien américain racheté par Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon, a en effet décidé de mettre la totalité de ses articles à disposition du service d’infos « Instant Articles » de Facebook. Parmi les publications qu’a réussi à embarquer le réseau social de Mark Zuckerberg, la plupart de ceux qui n’ont pas un modèle entièrement gratuit avaient jusqu’alors décidé de ne donner qu’un nombre limité d’articles ou de vidéos, le « New York Times » n’en proposant par exemple que 30 par jour (à comparer aux 1.200 du « Post »). Leur approche est plutôt expérimentale à ce stade.
Apple News en embuscade
Facebook a lancé son service en mai et était resté depuis relativement discret. Cet accord avec le « Washington Post », dont un dirigeant a déclaré à la presse américaine qu’il « serait idiot de rejeter une opportunité d’atteindre de nouveaux lecteurs », remet donc au devant de l’actualité l'arrivée de nouveaux acteurs sur le secteur de l’info.
Comme si l’entrée du géant Facebook ne suffisait pas, ce dernier se lance en effet à peu près en même temps que d’autres bastions du Web et de la « tech ». Apple a ainsi présenté en juin son application News, qu’elle devrait lancer dans les prochaines semaines. Snapchat a lancé Discover. Enfin, Google et Twitter travaillent sur des projets similaires sur mobile, avec des annonces attendues cet automne, si l’on en croit le site Re/code. Des mastodontes qui ont des chances de bouleverser les équilibres davantage que Flipboard, leur prédécesseur dans ce type de services, sur lequel on peut déjà lire le « Post » mais qui n’a pas la même envergure.
L’idée de ces géants de la « tech » ou du Net est d’inclure de l’information dans le fil de contenus de leurs membres, en plus des « posts » de leurs amis. Les lecteurs n’ont donc plus besoin de venir à l’info, c’est elle qui vient à eux. En outre, leur technologie permet un chargement instantané sur les smartphones, contrairement à ce qui se passe pour les applications des journaux et magazines, et un confort de lecture dernier cri. Enfin, Apple, Facebook ou Google maîtrisent des algorithmes puissants pour déterminer ce qui peut intéresser leurs clients.
Le dilemme, pour les éditeurs, est connu depuis l’annonce par Facebook, en novembre dernier, qu’il veut devenir « le parfait journal personnalisé de tout le monde ». Etre sur Facebook, dont le travail pour mieux mettre en avant ce type de contenus tiers ne fait que commencer, est un gage d’exposition à tous ses membres et, donc, d’ouverture à de nouveaux lecteurs. En même temps, les journaux et magazines peuvent perdre les avantages de l’exploitation de leur base d’abonnés. Même si Apple promet de leur laisser gérer une partie de leur publicité et assure que son application recréera le design de chacun des titres l’alimentant, ceux-ci risquent d’être réduits à fournir de la matière première à ce nouveau type de diffuseurs.
Une chose est sûre : les lecteurs sont de plus en plus volages. La part d’entre eux atterrissant sur un média grâce à un lien repéré sur un réseau social s’accroît sans cesse au détriment de l’entrée par la page d’accueil. Les éditeurs d’infos ne peuvent pas ne pas en tenir compte.