Menu
Libération
Coupe du monde de rugby

Le XV de France n'a pas de plan B

Coupe du monde de rugby 2015dossier
L'équipe recomposée de Saint-André a marqué cinq essais face à la Roumanie (38-11) et ajouté le point de bonus offensif à son crédit. Mais que ce fut laborieux...
par Mathieu Grégoire, Envoyé spécial à Londres
publié le 24 septembre 2015 à 7h23

Disons-le tout net, les coiffeurs de l'Equipe de France n'ont pas livré hier une prestation décoiffante. Ils ont bien dominé la Roumanie (38-11), comme de coutume. De là à bouleverser les plans de Philippe Saint-André, il y a un tunnel sous la Manche qu'on se refusera à traverser. Les réservistes auront au moins eu le mérite de faire sortir le sélectionneur de ses gonds. Cela faisait plusieurs jours qu'il semblait tendu, l'eau et les critiques ne glissaient plus vraiment sur lui. A la pause, PSA s'est franchement lâché, criant sur ses ouailles avec la ferveur d'un Bernard Laporte (sous calmant, tout est relatif). Les commentateurs anglais se sont bien marrés à la vue des images captées dans le vestiaire français : «On l'appelle le Goret, mais là, c'est un taureau fou!»

Fou à la vue de cette entame émaillée d’inspirations peu inspirées, de pertes de balle à la chaîne, de pénalités vite concédées, de mêlées pillées par des Roumains bien plus ardents, qui vampirisaient l’occupation du terrain et la possession du ballon. Les Français ont marqué deux essais en supériorité numérique, au crépuscule de cette première mi-temps (Guitoune à la 30e, Nyanga à la 34e). Mais la demi-heure de chauffe fut pour les Jaunards de Bucarest, à deux doigts d’aplatir les premiers dans ce match. Deux doigts de Bernard Le Roux, à l’activité intense hier. Le deuxième-ligne tricolore d’origine sud-africaine a longtemps été l’un des hommes forts du système PSA, qui l’a écarté de son pack-type à l’aube de la Coupe du monde. Il a rappelé hier qu’il n’était pas venu en Angleterre pour faire le nombre à l’entraînement.

Guitoune pas loin du hat-trick

Les autres winners de cette soirée londonienne ? Wesley Fofana, auteur de la première vraie percée tricolore, au point d'en perdre sa chaussure, puis du quatrième essai du bonus offensif (69e), a repris d'autorité sa place au centre, après avoir été préservé face à l'Italie pour des raisons de santé. Sofiane Guitoune, rebaptisé Sofiane «Gitane» par un speaker fumeux, a enquillé un doublé, il peut aussi espérer la place de titulaire laissée vacante par le forfait de Yoann Huget. «Le premier métier d'ailier est de marquer des essais, et il a failli mettre un hat-trick, a expliqué Saint-André. Il n'avait pas réalisé une performance exceptionnelle à Twickenham le 15 août, en préparation [19-14 pour l'Angleterre]. Ce soir, il a fait des bonnes choses.»

Le sélectionneur a d'abord pris son habit traditionnel du rassembleur gaullien : «L'objectif est atteint, cinq points ce soir, deux victoires et neuf points en quatre jours. Tous les joueurs avec nous depuis le début de la préparation ont participé à la Coupe du monde. On va avoir du temps pour préparer le Canada.» C'est tout ? PSA sort la calculette : «On a changé treize joueurs. C'est compliqué de repartir au combat quatre jours après. On ne demande pas à un boxeur de faire quarante-deux combats en une saison.» Et sa colère de de la mi-temps ? Nous prend-il pour des jambons (Madrange) ? «Pour être honnête, je n'étais pas très content. Les Roumains étaient rudes, pénibles dans la zone de contact, solides à l'impact. J'ai demandé à mes joueurs d'être plus efficaces dans le nettoyage. On voulait mettre les Roumains dans le rouge, ils ont été intelligents.»

Fofana : «Une équipe chiante à jouer»

Après la rencontre, les joueurs du XV de France ont loué à l'unanimité le mérite des colosses des Carpates, qui ont exulté après l'essai de consolation inscrit par Valentin Ursache, le deuxième-ligne d'Oyonnax (74e). Le pilier gauche Vincent Debaty : «Ces équipes jouent leur vie sur chaque rencontre.» Le centre Gaël Fickou : «On est tombés sur une très belle équipe de Roumanie. Il n'y a pas de matches faciles en Coupe du monde, on l'a vu avec le Japon et d'autres.» Le pilier droit Uini Atonio, à court de rythme et martyrisé par son vis-à-vis, le ressuscité Mihaita Lazar : «Ils sont venus pour gagner cette Coupe du monde, comme nous. Enfin peut-être pas comme nous. Ils sont combien déjà ? Dixième nation mondiale, douzième ? [Dix-huitième, ndlr]» Fofana évoque «une équipe chiante à jouer» puis clôture le bal une bonne fois pour toutes : «On est déçus, on voulait apporter autre chose.»

Le roué demi de mêlée Morgan Parra apporte l'explication la plus claire possible : «Inconsciemment, on s'est sans doute dit que ce serait un peu plus simple, qu'en jouant plus au ballon, on les dominerait. Mais, en fait, face à n'importe quelle équipe, tu peux faire un constat simple : si tu ne t'engages pas dans la bataille des rucks, dans le combat, tu n'existes pas. En première mi-temps, on n'est pas propres sur les rucks, on se fait gratter les ballons, et on n'arrive pas à enchaîner. On devra être plus précis dans les matches couperets. Ce soir, j'aurais aimé prendre plus de plaisir.» Le reste est littérature.

Aubin Hueber, l'ancien demi de mêlée des Bleus (22 sélections entre 1990 et 2000), ajoute : «Il y avait beaucoup d'intentions, mais aux mauvais endroits, aux mauvais moments. Beaucoup voulaient prouver, c'est parti dans tous les sens, et la cause collective en a été desservie.» Interrogé sur une possible installation dans le XV type après sa performance, Guitoune élude : «Personne n'est titulaire indiscutable en équipe de France.» Il a presque raison. Son sélectionneur a remplacé la notion de titulaire indiscutable par celle de titulaire par défaut. Ce qui revient au même, sauf quand on a des ambitions.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique