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Désintox

L'Aïd, c'est aussi la grande fête de l'intox

Comme chaque année, la fachosphère diffuse ses hoax anti-abattoirs temporaires.
par Sarah Bosquet
publié le 24 septembre 2015 à 16h53

INTOX. C'est devenu marronnier de l'extrême droite : à l'approche de chaque Aïd al-Adha (la fête du mouton qui suit le Ramadan dans la tradition musulmane), la fachosphère s'inquiète brusquement de la souffrance des animaux et du respect des normes d'hygiène. Avec, en ligne de mire, les abattoirs temporaires dans lesquels seront pratiqués quelques-uns des abattages rituels de moutons.

Le site suisse Les Observateurs diffuse par exemple l'argumentaire d'Alain de Peretti, présenté comme vétérinaire. Pour lui, les «abattoirs d'occasion sont évidemment hors normes alors que l'abattage rituel accroît les risques». Une vidéo-interview de Libertés TV dans laquelle le même de Peretti, vétérinaire mais aussi membre du Bloc Identitaire et animateur de l'association islamophobe Vigilance Hallal dénonce le «mépris de toutes les règles sanitaires» et des agréments délivrés «sans aucun contrôle», des abattoirs établis «dans des clubs hippiques, sous une tente, dans un parking au centre ville, dans une usine de poissons... quelque chose de complètement délirant dans le cadre sanitaire». Des accusations également relayées par le site Riposte laïque, ou encore le site Breizh Info, à grand renfort de photos d'ovins et de couteaux sanguinolents.

A Belfort, c'est l'élue FN Sophie Montel qui s'émeut, après Brigitte Bardot en 2013, de l'installation d'un abattoir temporaire. A Saint-Etienne, des militants FN ont aussi organisé une manifestation contre l'installation d'un abattoir temporaire.

DÉSINTOX. Beaucoup de bruits et d'intox pour pas grand-chose. N'en déplaise à de Peretti (qui d'après un forum du site Hoaxbuster rabache les mêmes arguments depuis au moins 2012), les abattoirs temporaires sont justement prévus pour pouvoir encadrer strictement les conditions d'hygiène dans les zones où les capacités des abattoirs pérennes sont insuffisantes. Chaque année, une liste comportant une cinquantaine d'abattoirs agréés est publiée sur la base de l'arrêté ministériel du 18 décembre 2009 relatif aux règles sanitaires. A l'inverse, le code rural (article R.214-73 ) interdit à toute personne «de procéder ou de faire procéder à un abattage rituel en dehors d'un abattoir».

Pour obtenir l'agrément, les structures qui gèrent ces abattoirs temporaires doivent formuler une demande auprès de la préfecture pour justifier d'une demande spéciale et remplir les mêmes conditions sanitaires, environnementales, et en termes de protection animale, que les abattoirs classiques. «Elle doivent justifier d'une demande spéciale, d'un volume de commande important. Ensuite, il y a une visite pour vérifier que les lieux correspondent bien à ce qui a été décrit», explique-t-on au ministère de l'Agriculture. Cette réglementation pour l'abattage rituel (valable autant pour la viande casher que halal) découle de la réglementation européenne dite « Paquet Hygiène », un ensemble de textes adoptés à partir de 2004.

Les sacrificateurs, habilités par une des trois grandes mosquées agréées, doivent par exemple avoir reçu la formation validée par le ministère de l'Intérieur (la CCPA), comme le rappelle la circulaire conjointe des ministères de l'Intérieur et de l'Agriculture et ce guide de vulgarisation publié par le ministère de l'Agriculture. Un examen clinique de la bête est aussi obligatoire avant abattage (pour vérifier qu'elle n'est pas malade). L'identification des ovins et caprins nés après le 1er janvier 2010 permet également la traçabilité des carcasses.

Et si des abattoirs peuvent effectivement être installés sous des chapiteaux (comme à Belfort) ou sur des parkings, ce n'est pas pour ça qu'ils ne respectent pas les normes sanitaires.

Dans ce nuage d'intox islamophobes, un fait réel : l'abattage rituel donne la possibilité de demander une autorisation administrative pour se passer d'étourdissement de la bête avant égorgement (1). Ce qui ne veut pas dire que tous les abattoirs font cette demande. Et il s'agit de méthodes qui ne concernent pas seulement la viande halal, comme le montre la mobilisation de ce collectif a priori non lié à l'extrême droite.

(1) Le règlement (CE) n°1099/2009 fixe les règles relatives à la protection des animaux au moment de leur mise à mort et prévoit la possibilité de déroger à l'obligation d'étourdissement en son article 4.4. Chaque abattoir voulant utiliser la dérogation à l'obligation d'étourdir les animaux doit demander une autorisation administrative. Cette autorisation est obtenue uniquement s'il y a présence de matériel adapté, de personnel dûment formé, et des procédures garantissant des cadences et un niveau d'hygiène adaptés. De plus, il y a obligation de se doter d'un système de traçabilité permettant de justifier que le recours à l'abattage sans étourdissement préalable correspond à des ventes ou de commandes commerciales qui le justifient.

Pour aller plus loin :

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