Nous n’oublierons jamais que nous sommes orphelins de déportés assassinés par un parti d’extrême droite qui s’était emparé électoralement du pouvoir en Allemagne. Aux commandes de l’Etat, à la faveur d’une crise économique aux conséquences sociales et politiques, les hitlériens ont fini par déclencher une guerre européenne devenue rapidement mondiale et par prendre l’initiative de l’extermination des juifs d’Europe.
Ils ont été aidés dans leur œuvre de mort par tous les partis ou mouvements d’extrême droite du continent : le PPF de Doriot, le RNP de Déat, les Flamands du VNV et les Wallons de Rex, le NSB de Mussert aux Pays-Bas, Quisling en Norvège, les Croix fléchées en Hongrie, les fascistes purs et durs de la République de Salo regroupés autour du Duce, auteur des lois raciales de 1938, la Garde de fer en Roumanie, les partis gouvernementaux en Pologne et bien d’autres mouvements.
Un parti antisémite ne change pas de nature, même s’il camoufle opportunément son programme de haine, comme l’a fait Hitler lors des Jeux olympiques de 1936 et comme le fait le FN en tentant de faire oublier la présidence de Jean-Marie Le Pen pendant plus de quarante ans. Nous avons eu droit à une Nuit des longs couteaux [du 29 au 30 juin 1934, élimination par Hitler des opposants de son parti], sans effusion de sang, et la fille a mis au rancart un père devenu gênant par ses sorties politiquement incorrectes ; mais elle n’a pas renié un programme auquel elle a adhéré depuis son adolescence.
Danger pour notre démocratie
Mettre sur la touche un père qui continuait à s’exprimer ainsi qu’il l’avait toujours fait, sans que la fille s’en offusquât, et à qui cette dernière doit tout ou presque n’est pas une garantie démocratique. Et pourtant le FN peut arriver au pouvoir légalement par les élections : c’est un parti démagogique, et les Le Pen sont des tribuns talentueux qui captent les peurs et les espoirs des citoyens déçus par les partis classiques qui gouvernent et alternent depuis le relèvement de la France.
Certes, ces partis présentent aujourd’hui des faiblesses, ils ont du mal à maîtriser des situations critiques, à opérer les réformes indispensables, à répondre aux attentes des Français ; mais nous leur sommes redevables de la paix, de la prospérité, des acquis sociaux…
Nous sommes redevables à la gauche, à la droite, sans oublier le centre. Nous sommes redevables à de Gaulle, Mendès, Schuman, Guy Mollet, Antoine Pinay, Giscard, Mitterrand, Chirac. Sarkozy et Hollande n’ont pas eu la chance de leurs prédécesseurs avec la croissance ; mais avec le programme économique du FN, ce serait un appauvrissement instantané de la France et des Français avec, en plus, comme à chaque fois que l’extrême droite gouverne, la xénophobie, le racisme, l’antisémitisme, la censure, la propagande et la corruption… Le danger pour notre démocratie, c’est prioritairement le FN.
Il faut se mobiliser pour endiguer sa montée électorale. Les élections régionales de décembre sont décisives. Il faut empêcher le FN de s’emparer des régions où il part favori : le Nord-Pas-de-Calais-Picardie et la Provence-Alpes-Côte d’Azur. Dans ces deux régions, tous les sondages montrent que la liste de gauche n’a aucune chance de l’emporter. C’est donc dès le premier tour que tous ceux qui sont opposés à la victoire du FN doivent voter pour le candidat le mieux placé pour barrer la route au FN : ils s’appellent Xavier Bertrand et Christian Estrosi.
En décembre, il s’agira déjà de prendre parti pour la République et pour la France ; l’enjeu à Nice et à Lille ne sera pas régional, il sera capital
Je les soutiendrai, comme je soutiendrai le leader d’une liste socialiste là où il pourrait l’emporter sur le FN, mais les politologues affirment que ce n’est le cas dans aucune région ; Martine Aubry, je le regrette, a reconnu la situation en décidant de ne pas prendre la tête de la liste PS.
Ailleurs, chacun peut voter selon ses inclinations mais, d’ici à décembre, là où le FN risque d’être en tête au premier tour, il faut s’engager pour convaincre le plus d’électeurs possible d’aller voter et de voter dès le premier tour pour la liste républicaine en mesure de l’emporter. Les résultats des régionales seront décisifs pour la présidentielle : si le FN parvient à s’imposer dans l’une de ces deux régions, son score national sera supérieur à celui des partis démocratiques.
Dans une élection triangulaire, celle de 2017, ce serait assurer le FN d’être en tête au premier tour avec le risque réel de ne pas voir les électeurs de gauche voter pour un candidat de droite qui leur déplaît et celui de ne pas voir les électeurs de droite voter pour un candidat de gauche impopulaire et peut-être même de les voir voter pour le FN.
En décembre, il s’agira déjà de prendre parti pour la République et pour la France ; l’enjeu à Nice et à Lille ne sera pas régional, il sera capital. Dans ces circonscriptions, les électeurs doivent considérer l’intérêt national avant leurs préférences personnelles. Il me paraît également judicieux de rappeler aux juifs tentés par le vote FN, parce qu’ils espèrent que ce parti jugulera les fondamentalistes musulmans, que les rares juifs allemands qui se sont hasardés à voter pour le parti nazi par crainte du bolchevisme se sont repentis de leur choix.
Serge Klarsfeld est historien et avocat. Il a fait partie, lors des élections municipales de 2014, des comités de soutien à Christian Estrosi (LR) et à Anne Hidalgo (PS).
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