Les Pieds Nickelés

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Par Paul Krugman

Les faits : le PDG de Volkswagen a démissionné après les révélations selon lesquelles son entreprise a commis une fraude d’une ampleur monumentale, installant des logiciels sur ses voitures diesel pour détecter lorsque leur niveau de pollution était testé, et qui donnaient des résultats très bas qui étaient faux.

Les faits : l’ancien président d’une entreprise de cacahuètes a été condamné à 28 ans de prison pour avait sciemment envoyé à la vente des produits viciés qui ont fini par tuer neuf personnes et en ont rendu 700 autres malades.

Les faits : les droits d’un médicament utilisé pour soigner les infections par des parasites ont été acquis par Turing Pharmaceuticals, qui se spécialise dans le fait non pas de développer de nouveaux médicaments mais de faire l’acquisition de médicaments existants et de faire monter leur prix. Dans ce cas précis, le prix est passé de 13,50 dollars le cachet à 750 dollars.

En d’autres termes, ces derniers jours ont été positifs pour les connaisseurs et les prédateurs du monde des affaires.

Sans aucun doute, comme tous ceux qui mettent en exergue ces problèmes éthiques venant de certaines entreprises, je vais être accusé de diaboliser le monde des affaires. Mais je ne suis pas en train d’affirmer que tous les gens qui sont dans les affaires sont des démons, simplement que tous ne sont pas des anges.

Il s’avère qu’il existe des gens dans le monde de l’entreprise qui sont prêts à faire tout ce qui leur est possible, y compris de frauder et de tuer des gens, afin de gagner un dollar. Et il nous faut des réglementations efficaces pour régler ce genre de comportement néfaste, encore plus parce que les gens des affaires qui ont le sens de l’éthique souffrent de cette compétition avec ceux qui sont moins scrupuleux. Mais on le savait déjà ça, pas vrai ?

En bien nous le savions autrefois, grâce aux muckrakers (ndlt : le terme est étroitement associé à un certain nombre d'écrivains américains importants apparus dans les années 1890-1930) et aux réformateurs de l’Ere Progressiste. Mais Ronald Reagan a insisté sur le fait que l’état est toujours le problème, jamais la solution, et c’est donc devenu le dogme de la droite.

Le résultat, c’est qu’une partie importante de la classe politique américaine a déclaré la guerre contre la moindre réglementation pourtant évidemment nécessaire. Dans les faits, il y a trop d’acteurs importants qui prétendent aujourd’hui que le monde des affaires ne peut pas faire quoi que ce soit de mal et que l’état n’a pas le droit de limiter les comportements inacceptables.

Juste une chose : cette semaine, Jeb Bush, qui a un talent assez incroyable pour mal choisir son moment, a choisi tu publier un éditorial dans le Wall Street Journal pour s’en prendre au fait que l’administration Obama a mis en place "toute une série de règles qui écrasent la créativité et qui tuent les emplois". Peu importe qu’il utilise mal les statistiques recueillies ou le fait que l’emploi dans le secteur privé a augmenté bien plus rapidement sous les mesures "tueuses d’emploi" du Président Barack Obama que sous l’administration de son frère.

Quelles sont donc ces réglementations terribles et injustifiées que Bush propose d’éradiquer ?

Bien entendu, la réglementation sur les émissions de carbone doit partir, parce que ne rien faire à propos du changement climatique est devenu un trait essentiel de l’identité républicaine. Et l’Obamacare aussi.

Mais Bush propose également d’en finir avec les règles sur la façon de disposer des cendres de houille, un produit dérivé des usines de charbon qui contient du mercure, de l’arsenic et d’autres produits contaminants qui peuvent causer de graves troubles de la santé s’ils touchent les nappes phréatiques ou s’ils se retrouvent en tant que particules dans l’air. Est-ce que le fait de tenter de limiter ces risques paraît une action arbitraire et sans intérêt ?

Puis il y a l’enseignement privé – tout un secteur miné par la fraude – parce qu’il est très difficile pour les étudiants de faire le bilan de ce qu’ils reçoivent - qui laisse bien trop de jeunes américains très endettés sans aucune perspective d’obtenir un meilleur poste. Mais Bush met en garde contre un grand nettoyage.

Ah oui, et il s’en prend à l’administration et sa façon de "réglementer internet en tant que bien public", ce qui peut sembler bizarre jusqu’à ce que l’on se rende compte que ce qui est en fait réglementé, ce sont les fournisseurs d’accès internet, qui n’ont peu ou pas de concurrence dans un grand nombre de marchés locaux. Ai-je mentionné qu’en Europe, là où les fournisseurs d’accès sont obligés faire avec la concurrence, le haut débit est bien plus rapide et bien moins cher qu’ici ?

Pour finir en beauté, Bush appelle de ses vœux un retour sur la réglementation financière, répétant cette affirmation tronquée qui veut que la loi Dodd-Frank encourage en fait les banques à devenir tellement importantes qu’elles ne peuvent pas s’écrouler. (Les marchés ne sont pas d’accord : à en juger par les coûts d’emprunts, les grosses banques sont perdantes, et pas gagnantes, depuis que la loi Dodd-Frank est entrée en vigueur). En effet, pourquoi pourrions-nous penser que le fait de laisser les banques sans surveillance puisse nous faire courir le moindre risque ?

Le truc, c’est que Bush n’a pas tort de suggérer qu’il y a eu un pas en arrière vers moins de réglementation sous Obama, un pas qui sera probablement poursuivi si un démocrate gagne l’an prochain. Après tout, Hillary Clinton a sorti un plan pour limiter le prix des médicaments au même moment où Bush a publié sa diatribe anti réglementation.

Mais le rebond réglementaire se produit pour une bonne raison. Nous avions peut-être trop de réglementation dans les années 1970 mais cela fait 35 ans que nous faisons confiance aux entreprises pour qu’elles fassent ce qu’il faut avec le minimum de surveillance, et cela n’a pas fonctionné.

Ce qui s’est produit récemment, c’est donc une tentative de redresser le déséquilibre, de remplacer l’opposition réflexe à toute réglementation par l’utilisation judicieuse d’une réglementation lorsqu’il y a de bonnes raisons de penser que les entreprises pourraient avoir un comportement destructeur. Verrons-nous cet effort se poursuivre ? L’élection de l’année prochaine nous le dira.

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