Cet article vous est offert
Pour lire gratuitement cet article réservé aux abonnés, connectez-vous
Vous n'êtes pas inscrit sur Le Monde ?

Chats mignons, stars nues et Anonymous : la folle saga du controversé forum 4chan

Lundi, le fondateur du forum 4chan annonçait sa vente à un Japonais. Retour sur l’histoire de ce laboratoire fou d’Internet.

Par 

Publié le 22 septembre 2015 à 12h28, modifié le 23 septembre 2015 à 18h56

Temps de Lecture 7 min.

« La FIN est PROCHE !!! » Agitation sur 4chan. Lundi 21 septembre, « Moot », le fondateur du célèbre forum, a annoncé qu’il l’avait vendu à un Japonais, déclenchant de nombreuses interrogations et inquiétudes dans la communauté. Hiroyuki Nishimura n’est pourtant pas n’importe qui : c’est lui qui a lancé le premier forum à images de l’Internet, inspiré la création de 4chan et qui a, selon Moot, « inauguré l’ère d’une culture Web de l’anonymat au Japon ».

Un pedigrée qui ne suffit pas à rassurer les troupes anonymes de ce forum, l’un des plus populaires au monde. Pourquoi a-t-il acheté 4chan ? Quelles modifications compte-t-il apporter ? Va-t-il vendre les données des utilisateurs ? Renforcer la modération des contenus ? Les questions se bousculent sur la plate-forme, avec en toile de fond une crainte récurrente : 4chan risque-t-il de perdre son âme ? Une âme brouillonne et libertaire, fun et trash, terreau de la culture Web dans ce qu’elle a de meilleur et de pire. Un ovni du Net, ultra-populaire mais pauvre, capable de donner naissance aux LOLcats comme aux scandales de grande échelle qui ont émaillé son histoire.

Une copie de forums japonais

Christopher Poole a 15 ans lorsqu’il décide, en octobre 2003, de lancer 4chan, dans sa chambre d’adolescent de la banlieue de New York. L’idée n’est pas de lui : 4chan est largement inspiré de 2channel, un forum japonais lancé par Hiroyuki Nishimura en 1999, et de Futaba, un forum à images nippon lui-même inspiré de 2channel. « 3chan » étant déjà pris, Christopher Poole, qui utilise le pseudonyme Moot, opte pour le numéro 4.

Le concept : un « imageboard », forum où la grande majorité des messages sont accompagnés d’images – des photos, des détournements, mais aussi d’innombrables images d’héroïnes d’animés japonais. Le tout dans un design sommaire et sans hiérarchie, où les publications s’enchaînent, souvent sans lien les unes avec les autres. La seule organisation de ce fourre-tout réside dans ses « canaux », des sous-forums classés par thématique : musique, anime, jeux vidéo, sports, paranormal, gastronomie, politiquement incorrect, technologie et contenus adultes.

Un LolCat.

Mais celui qui fera la renommée de 4chan est le célèbre « /b/ », aussi appelé « random » (au hasard), où se côtoient des contenus de toute nature, du plus drôle au plus gore, et où sont nés quelques uns des mèmes les plus populaires de l’histoire d’Internet. Les LOLcats, des images de chats mignons et amusants qui pululent, encore aujourd’hui, sur la Toile, sont nés ici. Tout comme le « Rickroll », pratique aussi absurde que populaire, qui consiste, dans le fil d’une discussion, à envoyer un lien vers la chanson Never Gonna Give You Up de Rick Astley, sans aucune raison. L’ours Pedobear, parodie dessinée de pédophile, a lui aussi fait ses premiers pas sur 4chan.

L’idéal de l’anonymat

Mais au milieu de ce capaharnaüm se glissent aussi de nombreux contenus problématiques : photos pédophiles, incitations à la haine, provocations racistes ou appel à commettre des attaques informatiques. Le tout facilité par un des principes fondateurs de 4chan : l’anonymat. Tout internaute peut publier sur le forum sans avoir besoin de s’enregistrer et par défaut, chaque utilisateur apparaît sous le nom Anonymous  – 4chan a d’ailleurs été le berceau du mouvement du même nom.

Qui plus est, le site ne conserve aucune archive et les conversations sont effacées au fur et à mesure. « C’est un des rares sites qui ne possède pas de mémoire », résume Christopher Pool dans les colonnes de Forbes. « Tout ce qui est dit sur 4chan est oublié le lendemain. » Alors que de leur côté Facebook et Google exigent de plus en plus d’informations sur leurs utilisateurs, à commencer par leur état civil, le positionnement de 4chan prend des airs d’acte militant. Christopher Poole défendra d’ailleurs sa vision de l’anonymat sur Internet à plusieurs reprises :

« Zuckerberg a tort quand il affirme que l’anonymat conduit à la lâcheté. L’anonymat, c’est l’authenticité. Il vous permet de partager d’une manière totalement brute et entière. Le prix de l’échec est beaucoup trop grand quand vous contribuez [sur Internet] sous votre réelle identité. Nous croyons aux contenus plutôt qu’au créateur. »

Idem pour son choix de supprimer les contenus au fur et à mesure, qu’il explique ainsi au New York Times :

« Quand on est jeune, on dit des choses stupides, mais comme il n’y a pas d’enregistrement, personne ne peut vous reprocher à 30 ans quelque chose que vous avez dit ou fait quand vous en aviez 8. Mais en ligne, vous avez tous ces réseaux sociaux qui sont en train d’imposer une identité permanente et, en échange, nous sommes en train de sacrifier notre droit à la jeunesse. Dans dix ans, tout ce que vous dites et que vous faites sera visible en ligne, et je pense que c’est vraiment regrettable. »

Polémiques autour de la liberté d’expression

En 2005, 4chan gagne en popularité. Personne ne sait alors que Christopher Pool est à la tête de cet énorme forum, de plus en plus polémique – pas même ses parents chez qui il administre le site. « Moot » doit gérer seul cette masse de messages et les dérapages des utilisateurs qui se multiplient. En 2006, il cède sous la pression et décide de renforcer la modération pour lutter contre les contenus illégaux. Ce qui est loin de ne faire que des heureux : de nombreux utilisateurs fustigent une atteinte à la liberté d’expression et s’exilent sur d’autres forums, plus permissifs, comme 7chan.

Cela ne suffit pas à enrayer le succès grandissant du site. En 2008, Moot, à l’aube de ses 20 ans, sort de son anonymat. L’année suivante, il finit en tête d’un sondage en ligne mené par le Time sur la personnalité la plus influente de 2008 – les utilisateurs de 4chan ont massivement participé, et surtout, fabriqué des programmes permettant de voter automatiquement, faussant ainsi les résultats.

C’est que les anonymes de 4chan sont devenus experts en coordination, capables d’organiser en quelques minutes des actions de masse, comme des attaques de déni de service contre des sites de grandes entreprises, ou des chasses à l’homme pour tenter de retrouver, pêle-mêle, des personnes ayant maltraité des animaux ou les coupables de l’attentat de Boston. D’énormes scandales surgissent aussi sur le forum, comme la publication, quelques minutes en octobre 2012, d’un document secret du service de renseignement du ministère australien de la défense. Ou celle de photos de célébrités en 2014.

Plusieurs personnes sont arrêtées dans ces dossiers, comme dans d’autres. Malgré leur anonymat, ces utilisateurs ont été trahis par leur adresse IP. Dans certains cas, Moot a collaboré avec les forces de l’ordre pour leur fournir des informations. De quoi échauder encore plus les partisans d’une liberté absolue, d’autant que le fondateur de 4chan renforce encore sa politique de modération, bannissant l’apologie du harcèlement, la publication d’informations privées en ligne et s’engageant à respecter le droit d’auteur.

En 2014, de nombreux internautes se détournent de 4chan pour rejoindre 8chan, un forum libertarien encore plus sulfureux, et à l’humour tantôt antisémite, misogyne, djihadiste : au nom de la liberté d’expression, ils se gargariseraient de jouer avec tous les tabous. Avec comme détonateur le fameux GamerGate, un mouvement polémique qui avait notamment émergé sur le canal « /v/ » de 4chan, consacré aux jeux vidéo. Au menu : antiféminisme, provocations sur la place de la femme dans les jeux et campagne de harcèlement contre des féministes.

« Un hobby » coûteux

Christopher Poole, alias « Moot ».

Fatigué, Moot décide de prendre sa « retraite » en janvier. A 26 ans, Christopher Pool souhaite « passer à autre chose », écrit-il alors sur 4chan. Un départ préparé depuis deux ans, afin de laisser derrière lui, précise-t-il, une plate-forme en mesure de continuer à exister, tant d’un point de vue technique que financier et humain.

Ce qui n’est pas une mince affaire. Malgré son succès – 4chan revendique 20 millions de visiteurs uniques par mois et pas moins de 2 milliards de publications depuis sa création –, difficile de monétiser un tel site. La plupart des annonceurs ne veulent pas associer leur image aux contenus du forum, et hors de question de rendre l’accès payant aux utilisateurs, sous peine de tuer définitivement l’esprit 4chan.

Le Monde
Offre spéciale étudiants et enseignants
Accédez à tous nos contenus en illimité à partir de 9,99 €/mois au lieu de 11,99 €.
S’abonner

Pour « soutenir 4chan », le site propose à ses utilisateurs un « pass » à 20 dollars (18 euros) par an, leur facilitant la publication de contenu. Mais cela reste bien maigre pour rentabiliser un site de cette ampleur, extrêmement gourmand en bande passante. 4chan avait même dû lancer des appels à contribution pour réussir à subsister. « Je ne me fais pas vraiment d’argent, c’est un hobby », avait expliqué Christopher Poole dans une interview à Forbes en 2012, soulignant que le site fonctionnait sans salariés, si ce n’est un développeur à mi-temps pour l’aider à gérer la partie technique. Quant aux investisseurs, ils ne se sont semble-t-il pas pressés à la porte – Moot raconte au New York Times qu’à 17 ans, un e-commerce japonais de jouets avait proposé de lui racheter 4chan pour 15 000 dollars :

« Je leur ai dit que je ne souhaitais pas vendre, alors ils ont augmenté l’offre à 45 000 dollars. J’ai dit non. »

Une décennie plus tard, Christopher Poole a dit oui, à Hiroyuki Nishimura. Mais les termes du contrat n’ont pas été rendus publics. Sur 4chan, les spéculations vont de bon train sur l’avenir du site. Certains redoutent que le Japonais ne vende leurs données personnelles. D’autres s’inquiètent, naturellement, de la politique de modération qui sera appliquée. D’autres, encore, organisent des sondages pour trouver un surmon officiel au nouveau propriétaire du site : « Mootwo » ? « Hiroshima Nagasaki » ? « Hiroshimoot » ? Une chose est sûre : l’esprit 4chan est encore là.

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner

Voir les contributions

Réutiliser ce contenu

Lecture du Monde en cours sur un autre appareil.

Vous pouvez lire Le Monde sur un seul appareil à la fois

Ce message s’affichera sur l’autre appareil.

  • Parce qu’une autre personne (ou vous) est en train de lire Le Monde avec ce compte sur un autre appareil.

    Vous ne pouvez lire Le Monde que sur un seul appareil à la fois (ordinateur, téléphone ou tablette).

  • Comment ne plus voir ce message ?

    En cliquant sur «  » et en vous assurant que vous êtes la seule personne à consulter Le Monde avec ce compte.

  • Que se passera-t-il si vous continuez à lire ici ?

    Ce message s’affichera sur l’autre appareil. Ce dernier restera connecté avec ce compte.

  • Y a-t-il d’autres limites ?

    Non. Vous pouvez vous connecter avec votre compte sur autant d’appareils que vous le souhaitez, mais en les utilisant à des moments différents.

  • Vous ignorez qui est l’autre personne ?

    Nous vous conseillons de modifier votre mot de passe.

Lecture restreinte

Votre abonnement n’autorise pas la lecture de cet article

Pour plus d’informations, merci de contacter notre service commercial.