Affaires des primes en liquide : Claude Guéant devant la justice

L'ex-directeur de cabinet au ministère de l'Intérieur est jugé à partir d'aujourd'hui pour avoir touché de l'argent puisé dans les frais de la police. Un système opaque totalement repensé depuis.

Affaires des primes en liquide : Claude Guéant devant la justice

    Ils ont tous les deux dirigé la police nationale. L'un fut même le « premier flic de France ». Les voilà pourtant sur le banc des prévenus. Claude Guéant, l'ancien bras droit de Nicolas Sarkozy Place Beauvau puis à l'Elysée, comparaît à partir d'aujourd'hui devant le tribunal correctionnel de Paris aux côtés de Michel Gaudin, un autre proche de l'ancien président de la République. Les deux hommes â?? qui seront jugés en compagnie de trois autres hauts fonctionnaires â?? sont soupçonnés d'avoir dévoyé le système des frais d'enquête et de surveillance (FES), le fonds de primes en liquide de la police. Entre le 1er juillet 2002 et le 30 mars 2004, Michel Gaudin, alors directeur général de la police nationale (DGPN), est accusé d'avoir détourné 210 000 â?¬.

    « Je suis un homme honnête. Je n'ai perçu que ce à quoi j'avais droit »

    Claude Guéant est poursuivi pour complicité de ce « détournement de fonds publics » mais aussi pour recel : chaque mois, alors qu'il était à l'époque directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy au ministère de l'Intérieur, il s'octroyait 5 000 â?¬. Une somme notamment utilisée pour acheter des meubles ou des produits électroménagers. « Je suis un homme honnête. [...] Je n'ai perçu que ce à quoi j'avais droit », se défend Claude Guéant. Depuis la révélation de ces pratiques en tout cas le système a été entièrement remis à plat.

    La circulation d'argent en liquide dans la police est l'héritage d'un texte ancien de 1926. A l'origine, il s'agissait de rembourser les fonctionnaires contraints d'effectuer des dépenses ne rentrant pas dans leurs frais de mission lors de leurs déplacements. Avec le temps, l'emploi des FES a été plus large : recueil de renseignements, rémunération des informateurs, achats de moyens d'investigation et surtout primes exceptionnelles.

    La distribution de ces sommes en liquide était centralisée au niveau de la Direction générale de la police. Laquelle se chargeait de ventiler les sommes aux différents services mais de manière totalement discrétionnaire. Dans un rapport de décembre 2013, la Cour des comptes a taclé l'opacité d'un tel système. Sur la période 2002-2012, le budget des FES s'élevait en moyenne à quelque 12,9 Mâ?¬ par an.

    L'affaire Guéant a tout fait voler en éclats. Sitôt la révélation des faits au premier semestre 2013, Manuel Valls, alors ministre de l'Intérieur, demande un rapport à l'inspection générale de l'administration (IGA). Le directeur de la police de l'époque rédige quant à lui une série de circulaires pour encadrer l'utilisation de ces fonds. Le versement de primes est alors banni. Les FES ne doivent plus que servir à régler des achats impossibles à programmer (un repas pris pendant une planque, un billet de train acheté en urgence...). Une traçabilité complète des dépenses est également exigée. D'ici quelques semaines, un décret gravera dans le marbre ces nouvelles règles.

    « Ce n'était ni légal ni fiscalisé »

    Le futur texte entrera en vigueur au 1er janvier 2016. « On a changé de culture. La société n'accepte plus que la police se partage 10 Mâ?¬ en liquide chaque année sans réel contrôle, estime-t-on Place Beauvau. Mais nous avons souhaité que le système soit encore réactif. » Les situations permettant le recours aux FES sont listées : infiltration, protection des personnes, récolte de preuves sous pseudonyme, achat d'équipement en urgence ou nécessitant l'anonymat, frais de mission et même frais engagés pour faire cesser un crime ou un délit (dans les cas d'extorsion ou de chantage par exemple). En parallèle, la délivrance de ces sommes est rationalisée et leur emploi plus contrôlé. A la clé, une baisse substantielle du budget.

    Sur le terrain, ces réformes font grogner. Surtout la disparition des primes. « C'était un moyen de récompenser le travail bien fait, en rétribuant l'investissement des collègues qui avaient réalisé une belle affaire », explique Jean-Paul Mégret, le secrétaire national du Syndicat indépendant des commissaires de police (SICP). « Les sommes étaient faibles : quelques dizaines d'euros par fonctionnaire, ajoute un commissaire chevronné. Mais symboliquement, ça représentait beaucoup. » Au ministère, on assume totalement : « Ce n'était ni légal ni fiscalisé. »

    La présentation obligatoire d'une facture pour obtenir un remboursement fait également grincer des dents. « Une inflation de lourds contrôles et de paperasserie », s'agace le Syndicat des cadres de la sécurité intérieure (SCSI) dans un communiqué. « Je ne me vois pas demander une facturette à un de mes gars qui s'est acheté un sandwich alors qu'il a passé la journée à planquer dans une poubelle, renâcle Jean-Paul Mégret. On a beaucoup perdu en souplesse. » Un officier soupire : « Guéant nous a causé un préjudice énorme. »