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Les pétroliers qui ont reculé face à l’Arctique

Shell n’est pas la première à abandonner les forages dans cette région souvent présentée comme une terre promise pour les compagnies pétrolières, mais qui s’avère des plus hostiles.

Par  et

Publié le 28 septembre 2015 à 18h06, modifié le 29 septembre 2015 à 07h04

Temps de Lecture 6 min.

La plate-forme de Shell, “Polar Pioneer”, à Seattle, en juin, avant son départ pour l'Alaska.

Un net revers pour Shell, une grande satisfaction pour les défenseurs de l’environnement. La principale compagnie pétrolière européenne a annoncé, lundi 28 septembre, qu’elle allait cesser toute exploration au large de l’Alaska, mettant un terme à des forages violemment contestés par les écologistes. Elle n’est pas la première à reculer en Arctique, une région souvent présentée comme une terre promise pour les compagnies pétrolières mais qui s’avère des plus hostiles.

  • Pourquoi l’Arctique attire-t-elle les convoitises des pétroliers ?

Les forages dans le Grand Nord se sont révélés envisageables d’un point de vue économique au milieu des années 2000, quand le baril de pétrole a commencé à dépasser la barre des 50 dollars. Les politiques nationalistes de pays producteurs comme la Russie ou le Venezuela et les problèmes de sécurité en Irak et au Nigeria ont en outre compliqué l’accès aux principales ressources, et ce, alors que la demande en énergie ne cessait de grimper. Dans le même temps, la fonte de la banquise, ouvrant deux nouvelles routes maritimes (le passage du Nord-Ouest, côté canadien et celui du Nord-Est, côté sibérien), et les avancées technologiques, comme la fracturation horizontale, permettant aux gisements offshore d’être exploités via des puits sur la côte, ont attisé les convoitises des Etats frontaliers et des groupes pétroliers.

L’engouement pour cette contrée encore largement inexplorée a particulièrement bondi en 2008, lorsqu’une étude de l’Institut de géophysique américain (USGS) a chiffré ses gisements potentiels : l’Arctique renfermerait 13 % des ressources mondiales non découvertes de pétrole (90 milliards de barils, soit trois ans de consommation mondiale) et 30 % de celles de gaz naturel (47 000 milliards de m3), essentiellement en Russie et en Alaska. Depuis, les permis d’exploration offshore se multiplient, y compris dans les zones les plus difficiles.

Pourtant, la part des hydrocarbures en provenance du Grand Nord dans la production énergétique mondiale devrait sensiblement baisser d’ici à 2050, estiment le Bureau central de statistique et le Centre de recherches sur le climat norvégiens, dans une étude publiée en 2012. La production de pétrole dans l’Arctique devrait ainsi représenter 8 % de la production mondiale en 2050, contre 10 % en 2010, même si elle doublera en valeur absolue sur cette période. Pour le gaz naturel, la baisse devrait être encore plus prononcée, avec une part tombant de 27 % à 22 %. Un recul qui s’explique tout d’abord par l’essor des hydrocarbures non conventionnels, comme le gaz de schiste en Amérique du Nord, et le développement de la production de gaz conventionnel au Moyen-Orient, deux sources bien moins onéreuses à exploiter que les hydrocarbures de l’Arctique.

  • Quels sont les obstacles au forage en Arctique ?

Malgré ce potentiel, les obstacles à la ruée vers les terres polaires sont nombreux. Le premier écueil est technique. Compte tenu du climat hostile, avec des tempêtes fréquentes, mais aussi de l’éloignement, travailler en Arctique, à de très grandes profondeurs, s’avère très ardu. Shell avait eu l’occasion de le constater en 2012. A l’époque, le pétrolier avait connu une série d’avaries sur trois de ses plates-formes, dont l’une s’était échouée sur une plage et avait dû être remorquée pendant une semaine entière. Ces accidents à répétition n’avaient pas fait de victime ni de dégât sur l’environnement, mais avaient néanmoins relancé les inquiétudes des écologistes comme des autorités. Des enquêtes avaient été lancées sur les activités du groupe, et Shell avait dû suspendre ses opérations pendant plus d’un an.

« Le recul de Shell, qui était en avance dans ce domaine, est très révélateur des difficultés à forer en Arctique. Les pétroliers ne peuvent opérer que quelques mois, en été, les opérations sont très coûteuses, en raison des nombreuses précautions à prendre, et ils ont rarement eu à résoudre des problèmes tels que des icebergs à la dérive qui menaceraient les plates-formes », analyse Denis Florin, associé chez Lavoisier Conseil, cabinet spécialisé dans l’énergie.

Un ours polaire construit par Greenpeace face au siège de Shell à Londres, le 25 septembre.

Deuxième écueil, l’Arctique constitue une zone fragile, scrutée de près par les organisations de défense de l’environnement et les dirigeants politiques. Certains écologistes en ont fait leur combat principal, afin de protéger cet océan où la vie marine est spécialement dense. Ils veulent notamment empêcher qu’un accident provoque une pollution des fonds côtiers, qui resterait active durant des décennies. En juillet, lorsque Barack Obama avait donné son feu vert aux forages de Shell, Greenpeace avait dénoncé d’« immenses risques pour les populations de l’Arctique, la faune et notre climat ». En poursuivant l’exploration au nord du cercle arctique, Shell se serait donc exposé à un « environnement de régulation difficile et imprévisible », comme l’expliquent ses dirigeants, tout en ternissant sa réputation auprès d’une partie de la population.

Le troisième obstacle, le plus décisif peut-être, est économique. En un an, les cours mondiaux du pétrole ont été divisés par deux. A 45 dollars par baril de brut américain, comme aujourd’hui, tenter d’extraire le pétrole situé dans des zones aussi complexes et risquées que l’Arctique n’a plus de sens. Or, après avoir cru à une remontée rapide des cours, les professionnels se préparent désormais à une longue période de prix bas.

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« Forer en Arctique avec de tels risques environnementaux est devenu anachronique, à une époque où l’on a des solutions bien plus pérennes en termes de transition énergétique, dénonce de son côté Sébastien Blavier, responsable de la campagne climat et énergie de Greenpeace France. C’est pourquoi nous demandons une sanctuarisation de l’Arctique au niveau de l’ONU et la mise en place de cadres réglementaires dans les pays concernés. »

  • Où en sont les opérations de forage des pétroliers ?

L’abandon de Shell ne signe, cependant, pas le retrait complet des pétroliers, qui restent une demi-douzaine à tenter d’explorer la zone. Pour l’instant, le géant russe Gazprom est le seul à exploiter le pétrole arctique, dans le champ de Prirazlomnoye, en mer de Pechora, dans le sud-est de la mer de Barents. L’italien ENI espère démarrer dans quelques semaines l’exploitation du champ Goliat dans la même zone, avec le Norvégien Statoil. Il a déjà subi deux ans de retard et son coût a grimpé de plus de 50 % par rapport à l’estimation initiale. La Norvège mise également sur la mer de Barents, où Statoil exploite déjà le gisement gazier Snohvit, en partenariat avec Engie (ex-GDF Suez).

Toutefois, les projets de forage prennent du retard, et plusieurs pétroliers se sont déjà cassé les dents. Illustration de ces difficultés, l’avenir de l’énorme projet gazier Chtokman, dans les eaux russes de la mer de Barents, reste très incertain, près de vingt-cinq ans après sa découverte. Gazprom et son partenaire français Total n’ont pas réussi à trouver un accord qui permettrait de développer de manière viable ce gisement susceptible de contenir 3 900 milliards de mètres cubes de gaz, l’équivalent d’un an de la consommation mondiale.

Le russe Rosneft ne devrait pas reprendre ses forages en mer de Kara, au nord de la Russie, avant 2020, en raison des conditions climatiques extrêmes et du retrait de son partenaire américain ExxonMobil, après les sanctions liées au conflit ukrainien. Autre abandon : en 2009, après cinq ans de recherche, les pétroliers britannique et russe BP et Rosneft ont décidé de stopper l’exploration sur le site de Sakhaline-4, après avoir échoué à trouver des réserves significatives. De la même façon, le britannique Cairn Energy n’est pas parvenu, au Groenland, à découvrir des volumes de pétrole suffisants pour être commercialisés, après avoir déboursé un milliard de dollars dans un programme d’exploration de deux ans.

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