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Chronique

Pourquoi les pays émergents n'émergent plus

Hier, on redoutait leur formidable avancée. Aujourd'hui, on s'inquiète de leurs faiblesses. Les pays émergents ont profité de la crise financière en attirant les capitaux. Ce cycle s'est refermé. Le suivant reste à inventer.

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Par Jean-Marc Vittori

Publié le 29 sept. 2015 à 01:01

Ils allaient nous submerger. Souvenez-vous de ce vent de panique qui soufflait, il n'y a pas si longtemps, sur les vieilles nations du Nord... Elles qui avaient commencé à s'industrialiser au XIXe siècle seraient condamnées à l'oisiveté, bientôt menacées de servage par un Sud en pleine conquête. Mais, depuis, tout a changé. Les pays émergents qui inquiétaient hier par leur dynamisme échevelé inquiètent aujourd'hui par leur langueur inexorable. Janet Yellen, la présidente de la banque centrale des Etats-Unis, a argué de leur fragilité pour ne pas relever son taux d'intérêt directeur. Comme l'avait demandé le FMI, qui ne cesse de réviser à la baisse leurs prévisions d'activité. Pour la première fois depuis quinze ans, l'écart entre le taux de croissance des pays émergents ou en développement et le taux des pays avancés tombe cette année au-dessous de 2 %. Le revenu par tête progresse à peine plus vite au Sud qu'au Nord - car les chiffres chinois sont sans doute surévalués et la population progresse plus vite chez les émergents que chez les émergés.

Ce rapprochement peut surprendre. Après tout, les pays développés accélèrent depuis trois ans. Les pays émergents devraient être les mieux placés pour en profiter, en leur vendant davantage de marchandises. Or ils ne cessent de ralentir, depuis 2010. C'est tout simplement que la mécanique de transmission entre les différentes régions du monde change au fil du temps. Des années 1950 jusqu'à la fin des années 1980, les pays développés ont connu en moyenne une croissance plus forte que les autres. Leurs populations sont passées des champs aux usines, avec de forts gains de productivité. Et leurs institutions - gouvernement, marché, justice - étaient plus efficaces. Puis les pays en développement ont accéléré à leur tour : ils se sont industrialisés, l'immense Chine s'est ouverte au reste du monde, les grandes entreprises ont réorganisé leur production aux quatre coins de la planète en profitant d'une forte baisse des coûts de transport (conteneur pour les marchandises, Internet pour l'information). La mondialisation a battu son plein dans les années 1990 et au début des années 2000.

La crise financière a cassé cette mécanique commerciale. Dans un premier temps parce que le crédit, rouage essentiel du commerce international, s'est grippé. Dans un second temps, parce que les pays avancés ont sombré en 2009 dans la récession la plus profonde depuis près d'un siècle. Les pays émergents, eux, ont évité la récession. Ils ont même creusé l'écart comme jamais dans l'histoire. En 2013, leur production dépassait de 49 % leur niveau atteint sept ans plus tôt contre seulement 7 % pour les pays avancés ! De quoi déprimer ceux qui les colonisèrent autrefois...

Les experts ont parlé de « découplage ». C'était une vérité étroite. Les achats des pays avancés se sont certes calmés sans apparemment freiner l'ardeur des émergents. Mais la Chine, devenue grande puissance économique, premier pays à faire un plan massif de relance, dès octobre 2009, a continué de faire ses gigantesques courses.

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Un autre canal de transmission a joué un rôle majeur : la finance. Les taux d'intérêt ayant été ramenés au voisinage de zéro dans les pays occidentaux, les investisseurs sont partis chercher du rendement ailleurs. Des centaines de milliards de dollars et d'euros ont alors convergé vers les économies émergentes. Dans des pays assoiffés de croissance, ces capitaux ont donné un formidable coup d'accélérateur, jusqu'à provoquer la surchauffe de moteurs peu habitués à une alimentation aussi riche. L'inflation a dérapé, les déficits courants se sont creusés, la dette totale des pays émergents a doublé en six ans.

Or les deux canaux qui ont dopé les pays émergents sont en train de se boucher. D'abord, la remontée à venir des taux d'intérêt aux Etats-Unis rend les pays du Sud moins attirants aux yeux des investisseurs. Un simple mot a donné un aperçu de ce violent effet de bascule en mai 2013. Ben Bernanke, alors président de la Fed, avait évoqué la modération (« tapering ») des achats d'actifs par la banque centrale américaine. Des dizaines de milliards avaient aussitôt fui le Brésil, la Turquie ou l'Afrique du Sud, faisant s'effondrer parfois de plus de 20 % ou 30 % les devises des pays concernés. Ensuite, l'économie chinoise ralentit fortement. Sa croissance n'avait jamais été aussi faible depuis trente ans. Ce qui réduit son appétit féroce pour les matières premières, appétit qui avait gonflé les prix de ces produits souvent exportés par des émergents. Une nouvelle mécanique apparaît : l'affaiblissement du prix des produits de base, qui pénalise les pays exportateurs de ces matériaux, profite aux pays développés en libérant du pouvoir d'achat !

Les pays émergents gardent évidemment un immense potentiel. Le rattrapage est en effet le plus puissant moteur de croissance, comme l'a montré la France pendant ses Trente Glorieuses ou la Chine depuis les années 1980. Mais ils ont un triple défi à relever. Ils doivent désormais gérer un excès de dette, comme les pays avancés. Ils doivent aussi faire progresser la qualité de leur production, jouer d'autres atouts que des bas salaires. Dans un monde où le commerce mondial n'est plus moteur, ils doivent enfin développer leur marché intérieur ou régional. Comme l'écrit l'économiste américain (d'origine turque) Dani Rodrik, « la politique sociale et la stratégie de croissance vont devenir bien plus complémentaires ». A coeur vaillant, rien d'impossible. Mais la tâche est immense.

Jean-Marc Vittori

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