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Affaires des sondages de l’Elysée : la carte de visite qui trahit Claude Guéant

Après Patrick Buisson, Pierre Giacometti, ancien directeur général d’Ipsos, a été mis en examen, mardi soir, pour recel de favoritisme dans ce dossier.

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Publié le 24 septembre 2015 à 13h38, modifié le 30 septembre 2015 à 11h35

Temps de Lecture 6 min.

L'ancien secrétaire général de l'Elysée Claude Guéant à son arrivée au palais de justice de Paris lundi 28 septembre.

Claude Guéant est arrivé légèrement en avance, un peu avant huit heures du matin, ce mercredi 3 juin. Ils sont six avec lui à avoir rendez-vous rue du Château des rentiers, dans le 13e arrondissement, pour répondre aux questions de la police financière parisienne. Tous se sont côtoyés à l’Elysée sous Nicolas Sarkozy. Il y a là, aux côtés de l’ancien secrétaire général, son successeur Xavier Musca, Jean-Michel Goudard, l’ami publicitaire de Nicolas Sarkozy, les experts en sondages Julien Vaulpré et Jean-Baptiste de Froment, et l’ancienne directrice de cabinet Emmanuelle Mignon.

Depuis la découverte par la Cour des comptes, en 2009, des contrats exorbitants de sondages passés sans appel d’offres, ils savaient qu’ils devraient, un jour, répondre à la justice. La lecture de leurs auditions, auxquelles Le Monde a eu accès, permet de retracer le circuit qui a conduit l’Elysée à privilégier les amis de la maison plutôt que le respect des comptes publics. Mais aussi de découvrir l’ampleur de la désorganisation qui prévaut à la Présidence de la République en ce début de mandat de Nicolas Sarkozy.

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Une marge de 1,4 million d’euros

Deux amis du chef de l’Etat manquent à l’appel, ce jour-là. L’un fut son conseiller politique, le second son stratège. Aucun n’avait de bureau à l’Elysée mais tous deux se sont copieusement enrichis grâce à ces contrats sur mesure. La présidence a ainsi reversé plus de 2,7 millions d’euros aux sociétés de Patrick Buisson et rémunéré 2,1 millions d’euros le cabinet Giacometti-Peron pour ses conseils. Les enquêteurs ont convoqué les deux hommes une première fois au cœur de l’été. Patrick Buisson a fait un bref passage devant le juge Serge Tournaire qui lui a signifié sa mise en examen notamment pour « détournement de fonds publics par un particulier », « recel de délit de favoritisme », et lui a donné rendez-vous début octobre. Pierre Giacometti, ancien directeur général d’Ipsos devenu consultant en stratégie d’opinions, a lui répondu pendant deux jours aux questions des policiers. Mardi 29 septembre, il était à son tour mis en examen pour recel de favoritisme.

Longtemps Claude Guéant s’est tenu à distance de cette affaire. Quatre jours après sa garde à vue, l’ex-secrétaire général de l’Elysée affirmait sur le plateau de BFM n’avoir « pas participé à la commande de ces sondages, [ni] vu tous les sondages ». Ce n’est pas sa signature mais celle d’Emmanuelle Mignon qui donne tout pouvoir à Patrick Buisson pour commander des sondages aux instituts de son choix. Lequel ne s’est pas privé : en deux ans, il a réalisé plus d’1,4 million d’euros de marge, comme l’a révélé L’Obs dans son édition du 24 septembre. La signature de la directrice de cabinet figure également au bas du contrat Giacometti auquel la Présidence a versé plus de 2 millions d’euros en cinq ans. Quant aux avenants, ils sont paraphés par Jean-Michel Goudard. Claude Guéant pouvait donc dormir tranquille.

C’était sans compter cette carte de visite venue le trahir et anéantir sa défense. Le petit carton blanc, dont Le Monde avait révélé l’existence le 31 juillet, était agrafé au rabat de la chemise qu’il a fait déposer sur le bureau de la directrice de cabinet, le 20 juin 2007. A l’intérieur, la convention Buisson. « Merci de mettre ce contrat à la signature et de faire retour d’un exemplaire à P. Buisson. CG. », est-il écrit. « C’est bien ma carte et mon écriture », a admis M. Guéant en garde à vue. « J’imagine [que] ce document est venu entre mes mains et je l’ai passé à la personne responsable. Je le répète : je n’ai pas négocié ce contrat. »

Lire le récit Article réservé à nos abonnés Les petites notes de Monsieur Buisson

« J’étais au ski à ce moment-là »

L’ancien secrétaire général a beau nier, à mesure que l’enquête progresse, son rôle se précise. Emmanuelle Mignon est « une excellente juriste », dit d’elle Claude Guéant, même si ces deux-là ne s’apprécient guère. La dame est aussi très prudente. Lorsque le contrat Buisson arrive sur son bureau, elle s’assure auprès du directeur des services financiers qu’il est en règle avec le code des marchés publics. Daniel Revel, déjà en poste sous Chirac, suggère de remplacer « la présidence de la République » par « le président de la République » mais n’y trouve rien d’autre à redire. Ce qu’ignore Emmanuelle Mignon, c’est que M. Revel comme tant d’autres, est persuadé que l’Elysée n’est pas soumis au code des marchés publics.

Le contrat de Pierre Giacometti a t-il suivi le même chemin que la convention Buisson ? Jean-Michel Goudard, le conseiller stratégie, l’ignore – « j’étais au ski à ce moment-là » – mais le publicitaire « voi[t] mal comment on peut engager un mec de ce niveau sans que le président ne soit au courant ». De fait, le circuit est identique : le président accepte le principe, Claude Guéant valide, puis transmet à Emmanuelle Mignon pour signature.

Les bases de cette deuxième collaboration ont été posées une semaine après l’élection, par courrier. Pierre Giacometti félicite Nicolas Sarkozy de sa « formidable victoire ». « Je suis très honoré de la confiance que tu m’as accordée tout au long de ces cinq ans […], je le suis plus encore lorsque tu m’as fait part de ta volonté de voir se poursuivre cette relation ». Six mois plus tard, le sondeur quitte Ipsos, lance son cabinet de conseil non sans avoir vérifié que la proposition du Président tient toujours. Bien sûr, répond Nicolas Sarkozy, qui lui dit de voir avec Claude Guéant.

« La cave présidentielle est la propriété du chef de l’Etat »

Cette affaire de sondages en dit long aussi sur le fonctionnement de la présidence sous la Ve République. Emmanuelle Mignon fait figure d’ovni à l’Elysée. Elle est la seule à penser que le code des marchés publics s’y applique comme ailleurs. D’ailleurs, lorsqu’elle demande au directeur financier de vérifier le contrat Buisson, elle ignore que ce dernier a pour seul bréviaire une note laissée par le chef du service financier du général de Gaulle. Les fonds de la présidence sont « gérés selon un mode extrêmement souple » et « sont en quelque sorte les héritiers directs de la cassette royale », est-il expliqué. Sur les marchés publics, la page 3 est limpide : la loi ne s’applique pas. Pour l’anecdote, c’est le même document qui explique que « la cave présidentielle est la propriété du chef de l’Etat ». Libre à lui de partir avec, à la fin du mandat, ou de la vendre à son successeur.

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A l’automne 2007, la directrice de cabinet décide de mettre de l’ordre dans cette maison qui n’a pas plus de service juridique pour employer mille salariés, que de directeur des achats pour gérer 30 millions d’euros de dépenses. Un conseiller d’Etat vient à son secours en confirmant que l’Elysée n’échappe pas à la règle de la mise en concurrence. Bernard Trichet, le successeur de Daniel Revel aux finances, tombe lui aussi des nues en découvrant le contrat « exorbitant » de Patrick Buisson « pour le moins bref et peu formalisé ».

La modernisation de « cette institution sans règle » prendra plusieurs mois. Il a fallu vaincre les résistances des « chefs de service [qui] ne connaissaient pas les procédures de marchés publics et ne semblaient pas, sauf pour un, avoir envie de rentrer dans cette démarche », se souvient le responsable des achats recruté en 2009. La loi est venue peu à peu remplacer la coutume. Le premier appel d’offres a concerné les meubles de la garden party. Une équipe a ouvert des enveloppes, comparé les prix et retenu la société la plus offrante pour organiser la réception. Une petite révolution sous la Ve République.

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