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Crime

Des réfugiés syriens de Jordanie préfèrent retourner en Syrie plutôt qu'aller en Europe

La situation se détériore en Jordanie pour les réfugiés syriens, surtout pour ceux qui ne vivent pas dans les camps de réfugiés. De plus en plus décident de rentrer dans leur pays pourtant toujours en guerre.
Des réfugiés syriens assis sur une remorque au camp de Zaatari en Jordanie. (Photo par Jamal Nasrallah / EPA)

Les réfugiés syriens installés en Jordanie quittent le pays en nombre. Ceux qui peuvent se le permettre rejoignent Istanbul en avion, et payent ensuite des passeurs pour tenter de rallier la Grèce sur des embarcations de fortune. Mais de plus en plus d'entre eux entament un voyage bien plus périlleux : ils rentrent chez eux, en Syrie.

Le 22 septembre, le directeur du Haut-Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies (HCR), Andrew Harper, a tweeté une photo de deux jeunes enfants syriens. Sous la photo, Harper explique que les deux bambins font partie des 340 réfugiés syriens qui ont quitté la Jordanie pour la Syrie ce jour-là.

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Le HCR comptabilise le nombre de Syriens qui quittent le camp de Zaatari, en Jordanie, pour rejoindre la Syrie par les bus qui circulent quelques jours par semaine. 340 personnes qui s'engagent dans ce dangereux périple, en l'espace d'une seule journée, c'est un nouveau record. Cela fait plusieurs mois que l'on observe une baisse du nombre d'arrivées depuis la Syrie et une augmentation des départs depuis la Jordanie — ce qui signifie que la population syrienne en Jordanie diminue.

Il est difficile de savoir combien de Syriens vivent en Jordanie. Le HCR a recensé environ 630 000 personnes, mais des études suggèrent qu'il pourrait y avoir près d'un million de Syriens dans le pays. Pour deux Syriens installés dans un camp de réfugiés, 8 autres vivent dans une des villes jordaniennes, où ils louent de miteux pied-à-terre et tentent de trouver un peu de normalité dans une situation qui l'est de moins en moins.

Today 340 — Andrew Harper (@And_Harper)September 22, 2015

Les camps jordaniens offrent une assurance : il y a de quoi manger, de l'aide médicale, des écoles et de nombreuses ONG pour aider. Au camp de Zaatari, un esprit de communauté s'est créé, les gens se sont construit une sorte de rue marchande — ce qui permet de faire vivre une économie informelle, mais prospère. Au camp d'Azraq, c'est tout le contraire. Peu de gens s'y sont installés, il n'y a pas de marché — donc pas de business — et d'après des réfugiés interviewés, il n'y a pas plus d'espoir.

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Mais le vrai désespoir, on le voit en dehors des camps, où les réfugiés doivent se débrouiller tous seuls.

Contrairement au Liban, les Syriens n'ont pas le droit de travailler en Jordanie sans permis de travail — qui sont particulièrement compliqués à obtenir. De fait, nombre de Syriens travaillent dans l'économie informelle, dans les magasins, les restaurants et les garages pour survivre. Ils gagnent très peu d'argent et doivent éviter de se faire repérer par les autorités : des Syriens qui se sont fait attraper en train de travailler sans permis ont été arrêtés, emprisonnés et déportés.

Les services de police, de sécurité et de renseignement jordaniens sont d'une grande efficacité et recherchent activement des Syriens qui ne respectent pas les lois du travail jordaniennes. Les Syriens qui travaillent illégalement expliquent qu'ils sont terrifiés. Mais s'ils ne travaillent pas, ils vont mourir de faim ou vivre dans la rue.

Une vue d'ensemble du camp de réfugiés syriens de Zaatari, près de la ville de Mafraq en Jordanie, le 19 septembre 2015. (Photo par Jamal Nasrallah / EPA)

« Je n'en peux plus d'être ici, il faut que je sorte de Jordanie. J'ai peur en permanence de me faire attraper en train de travailler, » explique à VICE News, Waleed [son nom a été changé]. Il vient de Busra Al-Sham, une ville du sud de la Syrie, et vit en Jordanie depuis 3 ans. Il est diplômé en management et travaille 6 jours par semaine, 10 heures par jour, dans un supermarché d'Amman, la capitale jordanienne. Il gagne chaque mois 250 dinars jordaniens (315 euros).

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Waleed veut à tout prix rejoindre l'Europe et songe à payer un passeur pour y parvenir. Il devra alors acheter un billet d'avion direction Istanbul, puis payer près de 3 000 euros pour avoir une place sur un bateau. Les risques sont minimes comparés au néant de sa vie en Jordanie. Il dépend d'une aide qui diminue chaque mois et contemple un futur qu'il compare à faire du surplace.

« Je veux juste me construire une vie meilleure et un futur en pouvant être à nouveau actif, » dit-il.

La vie de Waleed et celles de nombreux autres Syriens se sont sérieusement compliquées en août, quand le Programme Alimentaire Mondial (PAM) des Nations unies a été contraint de couper dans les budgets. De fait, les quelque 229 000 personnes qualifiées de « vulnérables » par le PAM ne reçoivent plus d'aide alimentaire depuis le 6 août dernier. Les 211 000 personnes « extrêmement vulnérables » reçoivent eux encore 10 dinars par mois.

Jonathan Campbell, le coordinateur du PAM pour l'Opération Réfugiés Syriens en Jordanie, estime que la suspension de l'aide alimentaire peut expliquer en partie pourquoi les réfugiés syriens repassent la frontière dans le sens inverse.

« L'aide doit continuer d'affluer pour éviter que les gens soient contraints de partir — et les réductions actuelles sont une des raisons pour lesquelles les gens quittent la Jordanie. Nous devons continuer de garantir les bons alimentaires et les autres aides indispensables. Les gens ne peuvent pas nourrir leurs familles sans rien, » explique Campbell.

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De plus en plus de familles de la classe moyenne, ou ceux qui n'ont pas épuisé toutes leurs économies, se procurent un passeport syrien — sans que l'ambassade ne pose de questions — pour se rapprocher de l'Europe. Ceux qui ne peuvent pas se permettre de payer un billet d'avion et d'allonger les billets devant les passeurs, regardent à nouveau vers la Syrie.

« On s'est imaginé un meilleur futur. »

Malgré les bombardements incessants, notamment sur les zones civiles tenues par l'opposition, de nombreux Syriens voient les récents gains de territoires par l'Armée Syrienne Libre (FSA) dans la province de Daraa (près de la frontière avec la Jordanie) comme le signe d'un retour à la normale. Environ 65 pour cent de la province frontalière est sous le contrôle de l'opposition, et pour le moment, l'organisation terroriste État islamique n'y est pas installée. De plus en plus désespérés et pauvres dans un pays riche qui apparaît chaque jour plus hostile, certains réfugiés Syriens prennent le risque de retourner en Syrie.

Au début du mois de septembre, le Premier ministre britannique David Cameron a insisté sur le fait d'offrir plus de soutiens aux pays qui accueillent les réfugiés. Le Royaume-Uni est un des plus gros donateurs du Programme d'Alimentation Mondial en Jordanie et des ONG présentes dans le pays. Mais après 4 ans d'une crise migratoire, qui semble s'aggraver, envoyer plus d'aide pourrait ne pas servir à grande chose. Les gens veulent du travail. Les images que diffusent les chaînes d'informations de familles syriennes qui arrivent en Allemagne inspirent des familles qui songent à faire de même.

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« Les réfugiés sont de plus en plus à l'étroit ici. Les Syriens dits ordinaires ressentent vivement la détérioration du système d'aide qui était censé répondre à la crise. Les gens subissent les réductions du PAM, ont perdu l'aide médicale et sont contraints de travailler illégalement, » explique Adam Coogle d'Human Rights Watch.

« Les gens se disent que pour protéger leurs familles et se créer un semblant de futur, ils doivent essayer quelque chose de radical. Pour nombre d'entre eux, il s'agit d'essayer de rejoindre l'Europe par la mer, » explique Coogle.

Pour certaines familles plus chanceuses, l'espoir est venu par le biais du relogement ou d'une offre venant d'un pays tierce. Iman, mère de deux enfants et enceinte qui vit à Irbid, attend un appel de l'ambassade canadienne pour qu'on lui dise que son mari et ses enfants peuvent venir passer un entretien. Un groupe d'une église de l'Ontario a accepté de soutenir et de financer la famille pour s'installer au Canada. Les papiers administratifs ont été signés, envoyés et acceptés. La famille espérait pouvoir commencer la nouvelle année scolaire au Canada. Au lieu de ça, ils attendent encore.

« Les enfants demandent sans cesse, quand est-ce qu'on va au Canada ? On s'inquiète de ce retard. Les jours passent si lentement quand on attend, » confie Iman. Si le groupe qui les soutient leur assure que tout est sur la bonne voie, Iman s'inquiète que quelque chose vienne faire capoter leur rêve.

« Si cela ne marche pas, nous serons dévastés parce qu'on s'y était préparés psychologiquement. On s'est imaginé un meilleur futur. »

En repensant à la violence et à la peur qui l'ont poussée à rejoindre la Jordanie, et ces journées sombres de l'été dernier quand son mari a failli prendre le bateau pour l'Europe, Iman doit se contenir. Si l'option canadienne ne fonctionne pas, la seule alternative qui pourrait leur rester serait celle de rentrer en Syrie.

Suivez Sara Williams sur Twitter : @saraewilliams