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Anciens malades alcooliques, ils sont aujourd'hui délivrés de leur addiction grâce au baclofène. Militant pour la reconnaissance de ce traitement dans l'alcoolisme, les responsables de l'association Baclofène* signent aujourd'hui un ouvrage complet tant sur la maladie que sur ce traitement révolutionnaire. Plus qu'un livre, c'est un véritable document. L'interview de la présidente, Sylvie Imbert.
Le baclofène comme traitement de l'alcoolisme a été longtemps diabolisé, depuis que son efficacité a été découverte en 2004 par le Pr Olivier Ameisen . Dénigré par les spécialistes , "alors qu'il constitue un grand progrès, le baclofène a surtout été promu par les patients qui en ont bénéficié et par les médecins qui en ont observé directement l'efficacité", précise le Pr Bernard Granger , responsable de l'unité de psychiatrie et d'addictologie de l'hôpital Tarnier. "Très fier" d'avoir préfacé l'ouvrage de l'association, il observe, enthousiaste, que parmi ses 250 patients, "plus d'un malade sur deux retrouve sa liberté à l'égard de l'alcool, y compris à long terme." Ce qu'il n'avait jamais constaté avec aucun autre traitement. Aujourd'hui, l'efficacité de la molécule est reconnue par les autorités de santé, mais le combat n'est pas terminé.
Paris Match. Guérie de votre alcoolisme en 2009 grâce au baclofène, vous titrez votre ouvrage “Les alcooliques ne sont plus anonymes”. En quoi l’alcoolisme, grâce au baclofène, n’est plus la “maladie de la honte” ?
Sylvie Imbert. En fait, l'alcoolisme n’a jamais été considéré comme une “vraie” maladie, y compris par ceux qui en sont atteints. Boire en cachette, mentir, se détruire, faire souffrir son entourage alors qu’il suffirait de ne pas le faire… Il y a de quoi avoir honte. Les proches, eux, ne comprennent pas. “Comment peux-tu te mettre dans des états pareils ? Tu es si gentil quand tu n’as pas bu …” Alors quand on en est alcoolo-dépendant, on se cache, on biaise, on triche. “Je bois trop, oui, mais pas vraiment plus que d’autres.” Et puis est arrivé le baclofène et tout a changé. L'efficacité remarquable de ce médicament sur l'alcolodépendance apporte la preuve qu'il s'agit bien d'une maladie neurobiologique, souvent héréditaire, et non d'un vice ou d'un défaut de volonté. Les personnes comprennent aujourd'hui qu'elles étaient malades et non déviantes, qu’elles avaient la volonté de guérir mais pas les moyens de le faire. Dans ces conditions, on peut sortir du bois et témoigner de sa guérison.
Vous rassemblez de nombreux témoignages ainsi que des informations complètes tant sur la maladie alcoolique que sur le baclofène. A quel public s’adresse votre livre?
A tout le monde! Aux malades souffrant d’alcoolisme et d’addiction en général. A l’entourage des malades afin qu'il comprenne la souffrance que représente cette maladie, l’espoir qu'il y a dans ce traitement, et qu'il incite la personne à se soigner. Et enfin, aux soignants (médecins, pharmaciens, etc.). Notre souhait est que ce médicament soit prescrit correctement. Nous ne sommes pas médecins mais nous avons une bonne expérience de ce traitement à travers le suivi de milliers de malades via notre association. Ce livre est le fruit de notre expérience, il donne des clefs qui, nous l’espérons, seront utiles à tous ceux qui veulent se lancer avec succès dans la prescription de ce médicament ou dans l'accompagnement des malades.
A quoi ressemble une guérison sous baclofène?
On augmente progressivement la posologie jusqu’à trouver la dose “seuil”, celle qui supprime totalement le besoin de boire et rend indifférent à l’alcool. Au prix souvent d'effets secondaires plus ou moins gênants, mais tous transitoires, une fois cette dose atteinte, l’addiction disparaît! Le comportement vis-à-vis de l’alcool redevient normal: la personne est alors libre de ne plus boire du tout, sans aucun effort de volonté, ou de boire de façon conviviale et ponctuelle sans risquer de rechuter. Tous racontent la même chose : l’étonnement et le bonheur de cette liberté retrouvée. On peut par la suite diminuer prudemment les doses tout en conservant les bénéfices acquis.
Quelles croyances et dogmes autour de la maladie ce médicament a-t-il fait tomber ?
A mon sens, il a fait tomber une croyance, celle qui veut que l’alcoolisme soit une maladie dont on ne peut pas guérir, et un dogme, celui de l’abstinence obligatoire et à vie. Jusqu’à il y a peu, la seule façon de se tenir à l’écart de l’alcool (sans en guérir) était l’abstinence. A grand renfort de volonté, les malades arrivent à s’abstenir de boire quelques jours, mois ou années, puis pour la majorité d’entre eux,ils replongent suite à un incident dans leur vie. Il n’y a donc pas de guérison, juste des pauses dans la maladie, et un épuisant combat.
C'est ce qui explique que la plupart des malades ne se soignent pas?
Les traitements conventionnels reposent presque tous sur l'abstinence et ont peu évolué. On donne des molécules (Aotal ou Revia) qui diminuent le “craving” (le besoin irrépressible qui pousse à boire), on sèvre les malades dans des cures, on les accompagne un peu dans des post-cures, puis on les relâche dans la vraie vie, où la plupart rechutent. D’abord, ils se sentent bien incapables d’être abstinents puisque le propre de cette maladie est de ne pas pouvoir s’arrêter de boire. C’est terrifiant de se dire que l’on va être obligé de renoncer à quelque chose qui est perçu comme vital! Et puis ils savent que cela marche très mal et ne sont guère enchantés à l’idée de devoir enchainer les traitements et les cures pour peut être parvenir à un résultat positif au bout de X années.
Qu'en est-il du Selincro, médicament sorti des laboratoires en 2014, quelques mois après l'autorisation du baclofène dans le traitement de l'alcoolisme…
Le Selincro propose une nouvelle approche. Conçu spécialement pour réduire les risques par diminution d'alcool, il ne vise plus l'abstinence. Si le baclofène n’existait pas, cette nouvelle approche serait acceptable. Il vaut sans doute mieux diminuer sa consommation d’alcool que ne rien faire … Mais depuis le baclofène, cette approche est selon moi complètement dépassée. A quoi bon réduire de quelques verres sa consommation quand on peut arriver à la contrôler sans effort autre que celui de prendre correctement et patiemment un traitement ?
A l'heure de la perte de confiance des Français à l'égard des médicaments, l'histoire du baclofène est singulière! Les malades alcooliques n’ont pas attendu le feu vert des autorités de santé pour prendre ce traitement…
Si vous aviez une maladie grave, potentiellement mortelle, et un espoir de guérison à portée de main, attendriez-vous plusieurs années le feu vert des autorités de santé? Si nous l'avions attendu, les essais en double aveugle n’auraient pas démarré, ce médicament n’aurait pas bénéficié d'une Recommandation temporaire d'utilisation (RTU) qui, malgré ses travers, signe la reconnaissance de son efficacité, et nous serions toujours alcooliques!Il ne faut pas oublier que dans cette histoire, les oppositions ont été et sont encore nombreuses, tant ce médicament dérange. Pour de multiples raisons, bon nombre de “spécialistes” ont tout fait pour freiner l’avancée de ce traitement. Ce sont les malades, aidés de quelques médecins pionniers et de tous ceux qui ont accepté de prescrire le baclofène, hors Autorisation de mise sur le marché (AMM), qui ont fait bouger les choses face à des opposants puissants, médiatisés, et présents dans les sphères habilitées à donner leurs avis “éclairés” sur l’alcoolisme.
La RTU, depuis 2014, encadre officiellement et temporairement la prescription de baclofène ainsi autorisée. En attendant une Autorisation de mise sur le marché, à l'issue des essais cliniques. Où en est-on?
Il faudra probablement attendre début 2016 pour connaître les résultats des deux essais cliniques (Alpadir, Bacloville). Mais je n’ai aucune crainte, les résultats seront suffisamment probants pour qu’Ethypharm (le “petit” laboratoire français qui s'est intéressé au baclofène) obtienne une AMM pour son médicament. En attendant, les malades galèrent encore pour se faire prescrire correctement, c'est-à-dire à la dose dont ils ont besoin, le traitement baclofène. Bien des médecins et/ou pharmaciens ignorent que la prescription de doses supérieures à 120mg/j n’est pas réservée aux addictologues.
Vous avez suivi des milliers d’histoires de malades à travers votre association. Sait-on combien aujourd’hui sont libérés de leur dépendance à l'alcool grâce au baclofène ?
Nous avons réalisé trois enquêtes, entre 2012 et 2015, auxquelles 2500 personnes ont répondu. Parmi elles, 70% de celles qui ont terminé le traitement indiquent avoir atteint l’indifférence à l'alcool, à une dose moyenne de baclofène de 182 mg par jour. Nous ne prétendons pas que ce pourcentage est complètement fiable, puisque n’ont répondu que ceux qui le souhaitaient. Malgré tout, nous constatons que nos chiffres rejoignent ceux que le Dr Renaud de Beaurepaire et le Pr Bernard Granger ont obtenus à travers leurs cohortes de patients. Avec un taux de guérison, a minima de 50%, le baclofène est aujourd'hui de très loin le traitement le plus efficace dans l’alcoolodépendance.
Votre livre est aussi un immense hommage à Olivier Ameisen, le médecin qui a découvert l'action révolutionnaire du baclofène sur l'alcoolisme en 2004, disparu brutalement en 2013… Qu’auriez-vous envie de lui dire aujourd’hui, au nom de tous ceux qui arrivent sur le forum de votre association?
Olivier Ameisen a été le déclencheur de toute cette histoire. Sans lui, sans sa guérison, sans son livre**, sans son obstination à réitérer ses propos malgré les obstacles, rien n’aurait été possible. Je l’ai connu personnellement, nous nous téléphonions souvent, et son décès m’a profondément attristée. J’ai perdu un ami à qui je dois la liberté. Chaque fois que je viens à Paris, je vais me recueillir sur sa tombe. Je lui raconte les histoires du forum, la vie et la joie retrouvées des uns, les déboires ou tracas des autres, le combat qui continue… J’espère simplement qu’il entend mes paroles et que cela le conforte dans l’utilité extrême du combat qui fut le sien et qui est désormais le nôtre…
* Sylvie Imbert, présidente de l'association Baclofène , Yves Brasey, vice-président, et Claude Goffart, secrétaire, sont les auteurs de "Baclofène: la fin de notre addiction".
** «Le dernier verre», d'Olivier Ameisen, éd. Denoël.