AboUn sociologue dénonce l'âgisme
Pour Jean-Jacques Amyot, «les vieux sont discriminés, stigmatisés et dévalorisés».

Des visages de seniors débordant d'énergie. Et des slogans du type: «Y a pas d'âge pour aimer», «pour se marrer» ou encore «pour bouger». A l'occasion de la Journée internationale de la personne âgée, le Gérontopôle Fribourg – qui réunit dix organisations actives dans le domaine du vieillissement – a choisi de diffuser des messages optimistes. Sa campagne de sensibilisation n'en est pas moins revendicatrice: il s'agit de lutter contre «l'âgisme». Soit les préjugés et les discriminations dont souffrent les aînés – par analogie au sexisme ou au racisme.
Spécialiste de ce phénomène pernicieux, le sociologue français Jean-Jacques Amyot lui a consacré une conférence hier à Fribourg. Il dirige l'Office aquitain de recherche, d'information et de liaison sur les personnes âgées, à Bordeaux. Interview.
Comment se manifeste l'âgisme aujourd'hui?
Il suffit d'écouter les conversations. Il y a eu un accident de la route, on présume que c'était un vieux au volant. Le type qui vous embête à la caisse du supermarché parce qu'il est trop lent, c'est forcément un vieux. Et quand une personne âgée fait quelque chose de bien, à l'image de cette dame qui a réussi sa thèse de doctorat à 102 ans, on se dépêche de la sortir de la normalité en disant que c'est une exception. On tombe tous dans ce piège des idées reçues, comme avec les femmes ou les handicapés. Cela vient du fait que l'on ne peut penser que par catégories, c'est humain. Il faut donc apprendre à les relativiser.
Vous dénoncez une vision épidémique de la vieillesse. Pourquoi?
Parce que, au contraire des femmes ou des handicapés, le groupe de la vieillesse est inflationniste. Les vieux sont partout, toujours plus nombreux, comme s'ils étaient contagieux. Et on voit apparaître des discours terriblement violents à leur égard: des limites d'âge pour la conduite automobile, des restaurants et des boutiques réservés aux personnes âgées, des restrictions des droits civiques, des expulsions de logements jugés trop grands, etc. Une université américaine vient de mener une étude pour déterminer si les vieux sentent mauvais… Bref, on stigmatise une population à qui on demande en plus d'être autonome car elle nous coûte trop cher.
Vous évoquez le permis de conduire. Si on envisage des mesures pour les seniors, ce n'est pas sans raison. Il y a des accidents…
Mais ils ne sont pas forcément liés à l'âge. Je n'ai pas encore 60 ans et j'ai des problèmes de vue. Je dois commettre 20 infractions par jour à moto… Je trouverais normal qu'on doive repasser son permis tous les 10 ans. Vouloir fixer une limite d'âge me paraît stupide.
Les gens vivent plus longtemps et en meilleure santé qu'autrefois. Cela devrait être bénéfique…
Sauf qu'on s'est habitué à cette situation nouvelle, qui nous a fait gagner trente ans d'espérance de vie sans incapacité au XXe siècle. Et on se focalise sur les dernières années, là où les difficultés apparaissent. On en veut à la médecine qui nous promettait le gène parfait de la longévité. La vieillesse est ainsi perçue comme une catastrophe, au sens premier du terme: rien ne se passe comme prévu.
Que peuvent y faire les politiques?
Rendre les maisons de retraite plus ouvertes, en respectant la liberté de mouvement de chacun. En France, 120'000 personnes ne sortent jamais de leur institution. Cela revient à un système d'incarcération. Et mon expérience dans la lutte contre les maltraitances me montre que dans tout milieu fermé il y a danger.
L'âgisme n'est-il pas aussi dans l'esprit des aînés eux-mêmes?
Tout à fait. Je le vois dans les cours de préparation à la retraite que j'anime depuis trente ans. Les gens ont peur d'être inutiles, ils se sentent vieux dans le regard des autres. Nous sommes dans une société qui dévalorise l'âge. Comme on se définit socialement avant tout par le travail, il n'est pas évident de réaffirmer son identité une fois qu'on ne travaille plus. Cela prend du temps.
Il est possible de bien vivre sa retraite, tout de même?
Bien sûr. Il faut prendre cet âge comme une période de crise, un an ou deux pour se réorganiser, reconstruire des réseaux relationnels. Et faire de vrais projets. La vieillesse, ce n'est pas une année sabbatique ou des grandes vacances. C'est 25 ou 30 ans d'espérance de vie. Je côtoie des milliers de retraités à l'Université du temps libre (ndlr.: l'équivalent français de l'Université populaire): ils se font plaisir en prenant des cours, en voyageant, en faisant du sport ou du bénévolat. Mais là encore, ils ont tendance à se sentir moins bons, moins efficaces que les personnes plus jeunes. Sans compter qu'on leur reproche parfois d'avoir trop de temps libre pour faire tout ça… Les stéréotypes sont tenaces.
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