Le bloc-note de Michèle Cotta

Un réformateur ça va. Deux, n'est-ce pas trop ?

Le couple exécutif idéal Hollande-Valls est devenu un trio avec Emmanuel Macron. Pas sûr que la majorité socialiste s’y retrouve

Emmanuel Macron

par Michèle Cotta

Hollande-Valls, c’était un duo complémentaire. Sur le fond, pas tellement de problèmes entre les deux têtes de l’exécutif : quelles qu’aient été les grandes envolées de la campagne électorale de 2012, et quelles que soient les difficultés des rapports entre Président et Premier ministre sous la Ve République, il est clair qu’entre François Hollande et Manuel Valls, une sorte de vraie complicité existait, et existe toujours. Sur la définition d’un socialisme moderne, sur ses évolutions nécessaires et aussi sur ses archaïsmes, sur l’Europe et ses conséquences, sur la façon de gouverner enfin, les deux hommes avaient trouvé une sorte d’équilibre.

Le premier en 2012, François Hollande avait défini les conditions du nécessaire dialogue social, invité – le plus souvent sans succès – les syndicats à participer, comme en Allemagne, à l’invention d’une social-démocratie à la française. Puis il avait lancé la Banque publique d’investissement, et en janvier 2014, le CICE et le pacte de responsabilité. Le second, d’entrée de jeu, avait assuré au patronat qu’il aimait l’entreprise et les entrepreneurs. On connaissait, parce qu’il les avait fait connaître en 2011, au moment de la primaire socialiste, ses positions sur les 35 heures, dont, iconoclaste, il jugeait alors qu’elles avaient été malfaisantes pour le marché du travail.

“Il est clair qu’entre François Hollande et Manuel Valls, une sorte de vraie complicité existait, et existe toujours. Sur la définition d’un socialisme moderne, sur ses évolutions nécessaires et aussi sur ses archaïsmes,”

Hollande était connu comme un maître dans l’art d’arrondir les angles, Valls, mâchoire serrée, dans un visage rarement éclairé d’un sourire, se battait sur tous les terrains. Pour gouverner sa majorité, divisée entre frondeurs et orthodoxes, il naviguait entre les récifs : route difficile, qui, par deux fois, l’a amené à engager, contre sa propre majorité, la responsabilité du gouvernement pour faire accepter des textes dont il savait qu’ils divisaient les socialistes. Mettant un certain nombre de ses convictions dans sa poche par souci d’efficacité politique, il n’a jamais un seul instant tiré la couverture à lui, même au moment où les sondages le portaient aux nues. Bref un couple Président-Premier ministre idéal, auquel ne manquait cependant que l’inversion de la courbe du chômage : s’il y a eu des tirages entre eux, personne ne l’a su. Et personne n’a douté non plus de la sincérité de Valls lorsqu’il a écarté publiquement toute idée de se lancer dès 2017 dans la campagne présidentielle, au cas où…

Exécutif à trois

Mais voilà qu’un troisième personnage s’est immiscé dans l’intimité du couple exécutif. Jeune, séduisant, n’ayant pas peur de son ombre, ayant derrière lui quelques expériences rares chez un socialiste – philosophe à 20 ans et banquier d’affaires à 30 –, il n’est pas tenu à la réserve nécessaire chez un Premier ministre. De cette liberté, il joue et il jouit pleinement. Il a l’oreille du Président et ne s’embarrasse pas des contraintes parlementaires et politiques dont Manuel Valls, lui, est bien obligé de tenir compte. Il ne se prive donc pas de parler des 35 heures, et de s’interroger, comme il l’a encore fait dimanche dernier, sur la “trop grande rigidité dans la définition horaire”, de réfléchir tout haut au statut des fonctionnaires, et sur le périmètre d’intervention de l’État. D’une déclaration à l’autre du ministre des Finances, le duo exécutif est bel et bien devenu un trio, tandis que le Premier ministre et le Premier ministre bis tentent, par un vocabulaire légèrement différent, de se démarquer l’un de l’autre : le premier se veut “social-réformiste”, le second tenant d’un libéralisme social, dont il assure qu’il est “de gauche”.

“Il n’est pas tenu à la réserve nécessaire chez un Premier ministre. Il a l’oreille du Président et ne s’embarrasse pas des contraintes parlementaires et politiques dont Manuel Valls, lui, est bien obligé de tenir compte”

Il n’est pas sûr que, même si François Hollande s’en accommode, même si Manuel Valls affiche publiquement – bien obligé – sa solidarité avec le patron de Bercy, la majorité socialiste s’y retrouve. Lorsque Martine Aubry, avec sa brutalité, sort du silence qu’elle s’est imposé pour dire : “Macron, ras le bol”, elle traduit sans détour les réticences de bien des députés. Au moment où se joue une partie électorale qui s’engage mal pour les socialistes, les interventions du jeune ministre, qui ne perd jamais son sourire éclatant, justifient, même si c’est une conduite suicidaire, le refus du Front de gauche, des communistes, et même d’une partie des verts, de participer à tout rapprochement avec les socialistes sortants.
Un réformateur à Matignon, ça va. Deux, n’est-ce pas trop pour une majorité si divisée ?

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1 commentaire sur “Un réformateur ça va. Deux, n'est-ce pas trop ?”

  1. On se lamentait, déplorant l’absence de réformateurs. Trois se révèlent, et l’excès provoquerait autant de gêne que le manque ?! Le dernier, presque un bambin (trente-sept ans, vous rendez-vous compte), toujours sourire, fait fi des circonlocutions habituelles, par exemple : « Ce qu’on appelle de manière un peu vieillotte le “socialisme de l’offre”, c’est faire attention à la répartition de la charge entre les différents acteurs de l’économie. […] Ce “socialisme de l’offre” suppose donc de revisiter un des réflexes de la gauche, selon lequel l’entreprise est le lieu de la lutte des classes et d’un désalignement profond d’intérêts. […] La gauche moderne est celle qui donne la possibilité aux individus de faire face, même aux coups durs. Elle ne peut plus raisonner en termes de statuts. La société statutaire où tout sera prévu va inexorablement disparaître. » [Octobre 2013, « Médiapart »]. Viser ainsi un des « réflexes de la gauche » ancrés dans la tête de si nombreux militants peut les décoiffer. Et les conduire, en se recoiffant, à mettre en ordre (et à jour) leurs idées. Le mal n’est pas si grand lorsqu’on fait le point. Réfléchir avant d’agir vaut mieux que de tonner (« Réforme : tonner contre », aurait pu écrire Flaubert). Enfin, chacun verra. Qu’une trinité exécutive pose des problèmes va sans dire. Les amateurs du théâtre de boulevard n’en seraient pas étonnés, eux qui jugent la qualité d’un auteur à sa façon de faire fonctionner un trio, en côtoyant le drame, mais sans jamais y choir. Dans la pièce que vous évoquez, Madame, le rire ne saurait être convié, car c’est « du lourd », comme l’on dit désormais. D’ailleurs, le « ras le bol » d’une grande sociétaire l’attesterait, si besoin était. Mais, si l’on veut faire avancer l’intrigue au mieux des intérêts des parties prenantes, peut-être conviendrait-il que les regards s’élèvent, et portent vers le but à atteindre, sans faire de la moindre phrase (de quelque bouche qu’elle jaillisse) un casus belli. Des combats intestins, les citoyens de ce bord politique n’ont-ils pas eu leur content ? Si l’on pouvait leur montrer un chemin praticable, sans doute se garderaient-ils d’observer acidement qu’il eût été plus sage de le faire plusieurs printemps avant celui de 2017. « Plusieurs » s’emploie à partir de trois…