Lycée Charles-de-Gaulle, l'école française la plus select du monde

Chaque année, le proviseur du lycée français Charles-de-Gaulle à Londres refuse près de 600 candidatures. Pour le numéro de septembre 2015 de « Vanity Fair », le journaliste britannique Tim Bouquet a mené l’enquête sur cette école très « select » où ont étudié Jacqueline Bisset, Mika ou la fille de Madonna.
Lyce CharlesdeGaulles l'cole française la plus select du monde
Le lycée français Charles-de-Gaulle à Londres a célébré son centenaire en mai 2015.Jon ENOCH / AFP

Ce devait n’être qu’une simple formalité. Quand ce dirigeant d’un groupe de luxe s’est exilé à Londres en 2014, histoire d’en finir avec « le régime surfiscalisé de François Hollande », il ne doutait pas que son fiston de 12 ans serait accueilli à bras ouverts par le prestigieux lycée français Charles-de-Gaulle. Il a commencé par appeler le service des inscriptions. « Sorry but the lycée is plein à craquer », s’est-il entendu répondre. Pas découragé, il s’est alors comporté comme n’importe quel homme de sa condition : il a prié ses collaborateurs de lui trouver une place au plus vite. Ceux-ci ont aussitôt fait appel à un influent cabinet de relations publiques. « En principe, me raconte son président, avec les écoles privées anglaises, nous arrivons toujours à grappiller une place pour les enfants de nos clients, même quand elles affichent complet. » Il poursuit, désabusé : « Mais là, il n’y avait rien à faire. J’ai appelé des parents d’élèves, des enseignants, des donateurs, et c’était toujours la même réponse : “Non, non et non. No way !” Il aurait été plus facile de faire proclamer un nouveau pape à Rome. »

Voici donc le lycée français le plus select au monde. Situé au cœur du très chic quartier de South Kensington, à deux pas de l’ambassade de France et du Victoria & Albert Museum, l’établissement est aussi couru qu’une comédie musicale de West End un soir de première. Et pas seulement parce qu’il affiche des résultats dignes de Louis-le-Grand, avec quasiment 100% de réussite au bac, dont un bon tiers de mentions « très bien ». Ni parce que les actrices Anjelica Huston, Jacqueline Bisset ou Marie-Christine Barrault figurent au rang de ses illustres anciens. Son principal attrait, c’est qu’en attendant l’ouverture du futur lycée international Winston-Churchill en septembre, il reste le seul établissement homologué par l’Éducation nationale dans une capitale colonisée par des cohortes de banquiers, d’entrepreneurs et de cadres très supérieurs venus de l’Hexagone. Selon les estimations, il y aurait quelque 300 000 exilés français à Londres, plus d’habitants que n’en comptent des villes comme Rennes, Nantes ou Bordeaux. Dans l’histoire, la capitale anglaise n’a pas connu un tel afflux de Frenchies depuis la révocation de l’Édit de Nantes en 1685. Résultat : doté d’à peine 4 000 places, le groupe scolaire Charles-de-Gaulle (qui va de la maternelle au lycée) doit refuser plus de 600 candidatures à chaque rentrée. « Nous avons beaucoup d’effectifs, peut-être un peu trop, me confie le proviseur Olivier Rauch, un ancien professeur d’histoire-géographie de 58 ans à la mise toujours élégante. Dans un bâtiment destiné à accueillir 400 étudiants, nous sommes contraints d’en réunir près de 700. »

Pas étonnant que ce proviseur soit considéré comme l’homme-que-les-expatriés-veulent-avoir-comme-ami. Son lycée est situé dans l’un des quartiers les plus agréables de Londres, rebaptisé le « carré français » ou le « petit Paris ». Aux alentours, les bistrots portent des noms aux accents d’antan comme Raison d’Être ; il y a une librairie française, une épicerie fine appelée La Grande Bouchée, un café-crèmerie à l’ancienne, un artisan pâtissier (Maître Choux) originaire du pays basque et formé par Joël Robuchon. Le matin, dès huit heures, des dames tirées à quatre épingles déposent leur progéniture, tandis que le chauffeur attend au coin de la rue. À l’heure de la pause déjeuner, les adolescents s’en vont flâner sur Bute Street – surnommée ironiquement « Frog Alley » par les Anglais – où ils fument de manière langoureuse comme seuls les Français savent le faire, dans l’espoir, sans doute, d’être repérés par une agence de mannequins. Le code postal indique SW7 mais ses résidents vivent bien dans le XXIe arrondissement de Paris.

Pas de place contre une rolex
En mai 2015, le lycée célébrait son centenaire. On y trouvait tout le gratin de la communauté franco-­londonienne, composé en grande partie de parents d’élèves, ainsi que la princesse Anne, fille unique de la reine Élisabeth II et francophone réputée. Ce soir-là, l’ambassadrice de France, Sylvie Bermann, a évoqué sa fierté de célébrer « l’une des plus emblématiques écoles françaises à l’étranger ». « La création de ce lycée a été un acte fort dans la diffusion de notre culture à travers le monde », a-t-elle ajouté, sous les regards emplis de fierté des invités.

Si nous autres Anglais avons parcouru le monde en érigeant des statues de la reine Victoria et en construisant des chemins de fer, ou des chantiers navals, nos amis Frenchies ont surtout multiplié les écoles. Au dernier décompte, il existe 492 lycées français dans 135 pays, qui accueillent plus de 330 000 élèves. Tous sont gérés par l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE), qui dépend de la rue de Grenelle. « C’est un peu notre soft power à nous, me confie Olivier Rauch sans déplaisir. Bien sûr, ces cinquante dernières années, la langue française a perdu de son importance. Mais le meilleur moyen de lui garder du prestige, c’est de proposer une éducation francophone partout dans le monde. » À Londres, l’État est ainsi propriétaire des bâtiments du lycée Charles-de-Gaulle. Via l’AEFE, il finance aussi 35 % du budget annuel (40,8 millions d’euros) ; le reste provient des frais de scolarité qui s’échelonnent de 7000 euros en maternelle à 14.400 euros en terminale.

« Nos conditions d’inscriptions sont très strictes et d’une parfaite transparence », se flatte Olivier Rauch. Sont admis en priorité les enfants du corps diplomatique français et ceux du personnel du lycée. Viennent ensuite les frères et sœurs des rejetons déjà inscrits dans l’établissement. « Ceux qui arrivent d’un lycée français à l’étranger ont aussi de bonnes chances », indique le proviseur. En revanche, il reconnaît n’avoir parfois aucune place pour ceux qui débarquent de France. Sa boîte aux lettres a beau crouler sous les invitations des Français pleins-aux-as de Kensington ou de Chelsea, il ne délivre aucun laissez-passer. Même si on l’arrose de magnums de Roederer ? « Même pas, sourit-il. Chaque année, je reçois peut-être une trentaine de demandes de gens haut placés. Je réponds toujours que je ne fais que suivre le règlement. On n’est pas admis ici avec un gros chèque. » Lorsqu’il dirigeait autrefois le lycée français de Rabat, au Maroc, une femme avait tenté de lui offrir une Rolex pour « faciliter » l’inscription de sa progéniture à l’école. « J’ai immédiatement signalé ce cas à l’ambassade de France », se souvient-il, avant d’ajouter : « Et j’agirais de la même manière à Londres si ce type de comportement devait se reproduire. » Je lui demande cependant comment Madonna s’est débrouillée pour faire inscrire sa fille Lourdes en 1999. « Ça, c’était avant mon arrivée, je ne suis là que depuis 2012 », me répond-il, diplomate.

En réalité, le bon moyen d’obtenir une place, c’est de s’y prendre à l’avance, en inscrivant son enfant dans l’une des trois écoles primaires rattachées au lycée. Celles-ci sont situées dans les beaux quartiers de la capitale. Éric Albert, journaliste pour Le Monde et pour Le Temps de Genève a vécu douze ans dans East London, faubourg populaire jadis foyer des Huguenots. Il a récemment déménagé pour inscrire son fils de 9 ans, Tien, dans une école de Clapham, zone résidentielle et verdoyante au sud-ouest de la capitale britannique. « J’avais vraiment peur que Tien n’apprenne pas le français, avoue Éric Albert. La communauté francophone de Londres vient des quatre coins de la capitale pour se réunir au lycée Charles-de-Gaulle. » D’autres parents prennent parfois les devants de manière étonnante. « J’ai inscrit ma fille Sasha à l’école primaire française de Londres quand j’étais enceinte de cinq mois », me confie Maïa Morgensztern, ­rédactrice en chef de la French Radio London, une antenne francophone qui touche environ 100.000 auditeurs chaque semaine. Avec son mari Laurent Henrio, banquier à la Société générale, elle vit en plein South Kensington, à quelques minutes du lycée : « De ma fenêtre, j’aperçois les enfants qui vont à l’école. » Sasha, deux ans et demi, les rejoindra au mois de septembre. « J’étais un peu gênée de la mettre dans le système avant même qu’elle ne soit née. Mais la pression est immense. Je pensais qu’il y aurait de la place pour tout le monde. “Absolument pas !” m’ont dit d’autres parents. »

Quand la demande est trop forte, l’établissement doit parfois procéder à un tirage au sort d’un genre particulier. Virginie Royer, la présidente de l’association de parents d’élèves, m’en a expliqué le principe : avant les inscriptions, elle tire au hasard un bulletin sur lequel est inscrit un jour de l’année. Si l’enfant est né aux alentours de cette date, ses parents ont une chance de voir leur candidature retenue. Sinon, ils peuvent toujours essayer de falsifier l’acte de naissance. La date du 19 février est sortie des urnes lors du dernier tirage. « Je reçois encore des appels de parents qui pensent que je peux truquer la date pour leur faire plaisir, me confie Virginie Royer en souriant. Mais je n’ai pas ce pouvoir et ils s’en rendent vite compte ! »

BEN STANSALL / AFP

Le lycée le jour du deuxième tour de l'élection présidentielle française de 2012. L'école sert aussi de centre de vote. (AFP)

Un trois-pièces pour 13.000 euros
À la longue, on finit par se demander ce que ce lycée a de si spécial. Ses pelouses ne sont pas aussi soignées que celles des collèges Eton et Winchester, deux des fleurons de l’enseignement britannique. Les équipements sportifs restent rudimentaires, comme ce gymnase tout droit sorti des années 1950. La décoration est minimaliste : murs ternes et peintures écaillées. Les hommes d’affaires qui s’entre-tuent pour y inscrire leur descendance pourraient s’offrir les meilleures écoles britanniques, avec uniforme obligatoire, des dizaines d’options LV1, baccalauréat international et piste d’atterrissage pour hélicoptère. Mais ils veulent le Charles-de-Gaulle pour une raison simple : c’est un club privé qui parle leur langage. « Nous comprenons le programme scolaire et ça nous rassure », précise l’un des parents. Par ailleurs, ils sont convaincus que le système académique français est plus rigoureux que celui des Britanniques et des Américains : plus d’heures de cours, plus de devoirs, moins d’interrogations sous forme de QCM. La majorité de l’enseignement est dispensée en français, mais les élèves qui désirent suivre un parcours anglophone peuvent intégrer la section dite « british » à partir de 14 ans. La discipline est sévère. Les élèves s’entassent poliment dans des classes pleines à craquer et écoutent sans moufter. Ceux qui ont le mauvais goût d’arriver après 8 h 30 ne peuvent entrer en classe et ratent le premier cours.

Ces désagréments n’ont cependant pas l’air de déranger Maxence et Gauthier, 17 ans tous les deux, hormis peut-être l’indigence des locaux sportifs. « On est un peu jaloux des terrains de sport anglais », me disent-ils. Les deux camarades viennent de créer le journal de l’école, Le Lycéen. Je leur demande s’ils ne trouvent pas le lycée un peu trop bondé et moyennement fun. Ils me répondent d’un haussement d’épaules, comme si là n’étaient pas les questions. Puis ils me font visiter l’école, de la cour baptisée « l’Entente cordiale » au bâtiment Molière, en passant par les salles d’examens. Avec impatience, ils évoquent déjà les business schools et les universités américaines qu’ils souhaitent rejoindre après le lycée. Ils le savent : les élèves de Charles-de-Gaulle n’ont aucun mal à intégrer l’école de leur choix après le bac.

Pour remettre un semblant d’égalité chez les expatriés français à Londres, l’AEFE a décidé d’ouvrir un second établissement dès la rentrée : le lycée international Winston-Churchill, 1100 places disponibles, 2 hectares de terrains de sport, des laboratoires scientifiques dernier cri, des studios de musique et une salle de théâtre. L’été dernier, un cocktail de présentation a réuni les principales fortunes françaises du Royaume-Uni à Thurloe Square, au cœur de Kensington, là où le moindre trois-pièces coûte 13.000 euros par mois à la location et la première maison à vendre se négocie à partir de 10 millions. La nourriture était exquise, les compositions florales superbes et les serveurs, de toute évidence, top models à leurs heures perdues. Les hommes étaient tout en mocassins Berluti et costumes d’été Brioni ; les femmes, perchées sur des Louboutin, portaient avec élégance et désinvolture des sacs à main Balenciaga. Un sujet en particulier occupait la conversation : l’emplacement du lycée Winston-Churchill. À Wembley, loin, très loin de Kensington. « Mais qui peut bien vouloir envoyer son enfant là-bas ? » s’exclama une femme, parlant au nom de la communauté. « Personne », répondit une autre. Avant de lâcher : « Wembley, c’est où ce trou ? »

Cet article a été publié dans le numéro de septembre 2015 de Vanity Fair France*.*

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