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Médecine : les stratégies des étudiants pour contourner le « numerus clausus »

Alors que les facultés sont bondées en première année, un nombre croissant de jeunes tentent leur chance dans d’autres pays d’Europe aux universités moins sélectives.

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Publié le 02 octobre 2015 à 16h53, modifié le 18 février 2016 à 19h38

Temps de Lecture 5 min.

En 2015, le numerus clausus fixant le nombre d’admis en deuxième année de médecine a été fixé à 7 492 places. Le taux d’échec a dépassé les 77 %.

Dossier spécial études de santé. « Etudes médicales sans concours en France » : c’est sous ce slogan que devait avoir lieu, ce lundi 5 octobre, la rentrée au Centre libre d’enseignement supérieur international (Clesi), à Béziers. La formation, en dentaire et kinésithérapie, y coûte quelque 10 000 euros par an. Son succès comme sa pérennité sont très incertains mais sa promesse a de quoi tenter plus d’un des 50 000 étudiants inscrits, en cette rentrée, en première année commune aux études de santé (Paces).

Cette année de fac, qui donne accès aux études pour devenir médecin, dentiste, pharmacien, sage-femme et désormais masseur-kinésithérapeute – est une telle « machine à produire de l’échec », selon les mots de président du Syndicat des jeunes médecins généralistes, Théo Combes, qu’un nombre toujours plus important d’étudiants tâche de la contourner grâce aux accords de mobilité au sein de l’Union européenne.

En 2015, le numerus clausus fixant le nombre d’admis en deuxième année de médecine a été fixé à 7 492 places. Le taux d’échec a dépassé les 77 %. « Une boucherie pédagogique », reconnaît Frédéric Dardel, président de l’université de Paris-V.

Pour le concours 2016, alors que les amphithéâtres de Paces, en cette rentrée, ne désemplissent pas, seulement 5 places supplémentaires ont été accordées pour toute la France en médecine, soit un total de 7 497. Et le numerus clausus stagne ou diminue en pharmacie (3 097), odontologie ou « dentaire » (1 198 places) comme en maïeutique (1 012 places). Qui plus est, il faut, cette année, soustraire plusieurs dizaines de places au concours classique, puisqu’elles seront attribuées d’office à une expérimentation d’admission parallèle d’étudiants titulaires d’une licence scientifique. La compétition pour accéder en deuxième année s’annonce donc encore plus âpre.

Sans restriction à la liberté d’installation, les déserts médicaux se sont développés

Pour échapper à cette broyeuse de vocations, un nombre croissant d’aspirants s’échappent de l’Hexagone. Direction des établissements moins sélectifs et surtout membres de l’Union européenne, jusqu’à la fin du second cycle (la sixième année), avant de revenir effectuer leur internat en France. Deux cent quatre-vingt-seize étudiants, dont on ne sait s’ils sont tous Français, sont ainsi venus en France passer l’internat de fin de sixième année, en hausse de plus de 30 % par rapport à 2014.

Les filières permettant d’échapper à la sélection française sont de plus en plus connues, et le mouvement promet de s’amplifier dans les années à venir. À Cluj-Napoca, en Roumanie, où les cours sont en français, près de 500 étudiants de l’Hexagone sont inscrits en médecine, et autant dans d’autres filières de santé, et l’objectif d’un retour au pays pour l’internat.

La forteresse du numerus clausus se fissure de partout. De Lettonie et nouvellement de la Croatie arrivent de futurs médecins, d’Espagne viennent des dentistes. En maïeutique, « près de 20 % des sages-femmes nouvellement inscrites à l’ordre ont fait leurs études à l’étranger. Elles viennent souvent de Belgique », constate Marianne Benoît Truong-Canh, vice-présidente du Conseil national de l’Ordre des sages-femmes. « Dans ce contexte, un numerus clausus en France a-t-il encore un sens ? », interroge Patrick Bouet, président de l’ordre des médecins.

Droit à la mobilité des praticiens européens

Originellement, le numerus clausus était censé fixer le déploiement de praticiens selon les besoins des populations et limiter une trop vive concurrence. Néanmoins, sans restriction à la liberté d’installation, les déserts médicaux se sont développés. l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), on dénombre à Paris 798 médecins pour 100 000 habitants.

Dans le département de l’Eure, ils sont 180 pour le même nombre d’habitants. Au Sud, sous une ligne droite imaginaire tracée entre Bordeaux et Valence, les dentistes ne manquent pas (67 à 89 praticiens pour 100 000 habitants, selon un rapport de l’Observatoire national de la démographie des professions de santé de 2013), mais ils sont deux à quatre fois plus rares en Picardie ou dans la région Centre. Idem en maïeutique : « En Ile-de-France et dans le Nord-Pas-de-Calais, le nombre de sages-femmes est insuffisant, regrette Marianne Benoît Truong-Canh. Dans la région Centre, la situation est même catastrophique. »

Les professionnels de la santé s’accordent pour estimer que le numerus clausus a changé de rôle. Aujourd’hui, « il sert à limiter le nombre d’étudiants car les capacités de formations sont saturées », résume froidement le docteur Théo Combes. « Faute de moyens, nous sommes obligés de conserver un filtre pour maintenir la qualité des formations », confirme Claude Leicher, président du syndicat de médecins MG France.

Chaque pays n’a pas les mêmes exigences en matière de formation

Pour pallier le manque de soignants sur les territoires ruraux ou périurbains les plus désertés par les professions médicales, « le recrutement de médecins étrangers ou formés à l’étranger peut être une solution transitoire », admet le docteur Combes, « même si le problème est aujourd’hui celui de la répartition entre les spécialités. Il faut revaloriser celle de médecin généraliste ».

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Les soignants qui ont évité la sélection de la Paces sont-ils aussi bien formés que ceux qui ont suivi leur cursus en France ? Lors de l’épreuve classante nationale de 2015, qui donne accès l’internat, « un étudiant formé à la faculté de Cluj-Napoca a terminé 180e sur environ 8 000, ce qui le classe parmi les meilleurs », pointe Patrick Bouet, président du Conseil national de l’ordre des médecins. Interrogé par Le Monde. fr, le centre national de gestion des praticiens hospitaliers, qui publie le classement, déclare ne pas disposer des universités d’origine des candidats, hormis pour les dix plus mal classés. Le fait est que neuf d’entre eux avaient étudié à l’étranger : cinq en Roumanie, trois en Italie, un en Espagne.

Si le droit européen à la mobilité permet aux praticiens d’exercer dans toute l’Union, chaque pays n’a pas les mêmes exigences en matière de formation. « Pour parvenir à une harmonisation des diplômes, l’Europe a choisi un nivellement par le bas, s’inquiète Patrick Bouet, au point que le Conseil de l’ordre doit mettre en place un contrôle des compétences requises pour les médecins étrangers autorisés à exercer en France. »

Même constat en maïeutique : « En 2014, 180 sages-femmes de l’Union européenne ont été admises à pratiquer en France. Mais il suffit de 3 015 heures pour qu’une formation soit reconnue au niveau européen, alors que les sages-femmes françaises en suivent entre 7 000 et 8 000 et doivent avoir participé à 100 accouchements. Le décalage est trop violent », dénonce Marianne Benoit Truong-Canh.

Une école de santé sans concours

C’est dans ce contexte qu’avait ouvert, en 2012, le Clesi, à Toulon puis à Béziers. Recrutant sur dossier, il dispensait deux années de formation sur place avant d’envoyer ses étudiants à l’université privée Fernando-Pessoa, au Portugal, qui délivre un diplôme valable dans toute l’Europe. Condamné à la fermeture à la rentrée dernière, le Clesi a engagé des recours suspensifs qui lui permettent de nouveau d’accueillir des étudiants. L’université Fernando-Pessoa a mis fin au partenariat, mais l’établissement français fait état d’accords avec d’autres facultés européennes. L’ordre des dentistes et les principaux syndicats, vent debout, viennent de nouveau d’exiger de la ministre de l’éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem la fermeture du Clesi.

Le ministère déclare au Monde.fr qu’il condamne « ces formations privées qui n’ont jamais reçu les agréments d’ouverture et qui font payer des étudiants pour suivre des formations qui ne donnent accès à aucun diplôme reconnu ». En attendant que les actes succèdent aux mots, les étudiants et leurs familles continuent de payer, et d’espérer.

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