C’est un fait que plus personne - ou presque - ne nie : nos rejets massifs de dioxyde de carbone dans la fine atmosphère terrestre contribuent à perturber le climat et à réchauffer lentement la planète. Ces émissions, provenant principalement de la combustion de pétrole, de charbon ou de gaz naturel, seront au cœur des discussions durant la conférence climat de Paris de décembre. L’enjeu de cette COP 21 sera donc de prendre la suite du protocole de Kyoto et de parvenir à une baisse des émissions pour la décennie 2020-2030.
Lorsqu’on parle d’émission zéro, il faut distinguer deux choses : les émissions zéro "nettes" et les émissions zéro "brutes". La première (dite "zero net emissions" en anglais) consiste en de faibles émissions, en partie compensées par des technologies à émissions négatives (capture et stockage du carbone, plantation d’arbres, etc.). Les émissions zéro "brutes" correspondent à une absence stricte de rejets de gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère.
Dans le cas d’émissions zéro "nettes", on parle de neutralité carbone car les rejets de CO2 sont théoriquement absorbés par les puits de carbone. Les émissions des autres GES (méthane, N2O, etc.) ne sont pas compensées. Dans le cas d’émissions zéro brutes, on parle alors de neutralité climatique.
Zéro émissions, un objectif politiquement complexe
Techniquement, à long terme, la décarbonisation totale d’une grande partie des économies du monde est faisable. Les technologies sur lesquelles reposent les énergies renouvelables progressent et réduisent toujours plus les coûts d’investissement et de l’électricité. Économiquement, les énergies renouvelables sont de plus en plus compétitives face aux énergies fossiles, qui ont longtemps eu le monopole de la rentabilité. C’est d’autant plus le cas lorsque l’on prend en compte le coût important des subventions allouées aux énergies fossiles. Mais pour les entreprises pétrolières, comme Shell, le temps nécessaire à la réalisation de cet objectif est plus de l’ordre des 80 ans que des 35 ans (2050).
Pourtant, l’ambition est nécessaire pour atteindre la cible d’un réchauffement de la planète limité à 2°C à la fin du siècle. Le rapport du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) publié l’an dernier explique très bien la nécessité de couper nos émissions pour éviter des changements irréversibles. Mais pour la scientifique en chef de l’organisation, Jacqueline McGlade, "les incertitudes se sont déplacées de la science au politique. (...). L'incertitude principale aujourd’hui concerne notre capacité à mettre en place des politiques suffisamment ambitieuses entre 2020 et 2030 – c’est-à-dire dans la fenêtre de tir". Autrement dit, les difficultés pour passer à une économie bas-carbone sont principalement politiques.
Pour réduire à zéro nos émissions de CO2 dans un délai suffisant, les négociateurs tentent de pousser les États à prendre des objectifs à long-terme (2050) dans la réduction de leurs émissions. Selon l’ONG Track0, 131 pays (sur les 196 parties présentes à l’ONU) soutiennent l’inscription de tels objectifs dans l’accord prévu à Paris en décembre 2015. Au premier titre desquels les pays pauvres et l’Alliance des petits États Insulaires. Car ce sont eux qui sont les plus exposés aux changements climatiques, bien plus que les pays industrialisés du Nord.
Au sein des pays développés cependant, la question a beaucoup progressé depuis l’échec de Copenhague en 2009. En juin dernier, poussé par la chancelière allemande Angela Merkel, le G7 a admis la nécessité de réduire de 40 à 70 % les émissions mondiales en 2050 (par rapport à 2010) et a affirmé vouloir y prendre part.
Les États-Unis et l’Union européenne ont d’ores et déjà annoncé leurs objectifs pour 2050 au sein de leurs contributions climatiques (dites INDC), mais font exception parmi les gros émetteurs de gaz à effet de serre. De nombreux autres pays émetteurs, souvent très dépendants des énergies fossiles, sont réticents à l’idée de s’engager sur le long-terme. Le Japon, la Chine et la Corée du Sud, même s’ils en reconnaissent la nécessité, n’ont pas fixé de tels objectifs. Parmi les pays ayant publiés leurs INDC, l’Australie et le Canada n’ont, eux, ni annoncé d’objectifs à long-terme ni soutenu l’idée en elle-même.
Khalid Abuleif, à la tête de la délégation saoudienne pour le climat, a exprimé son opposition à l’objectif d’émissions zéro "nettes" en 2050. Lors de la COP 20 à Lima en décembre 2014, le représentant du plus grand exportateur mondial de pétrole brut a qualifié d’"irréaliste" un tel objectif "étant donné les technologies actuelles et le modèle économique dominant".
Que prévoit le texte de l’accord de Paris ?
Le brouillon de l’accord de Paris, dont la dernière version publiée date d'aujourd'hui, lundi 5 octobre, contient plusieurs options.
Dans la partie Atténuation, le premier article laisse entre crochets et donc en discussion, le fait d’avoir ou un "pic des émissions globales de gaz à effet de serre" ou "zéro émissions nettes" ou "un pourcentage qui reste à définir de réduction des émissions de gaz à effet de serre" ou une "transformation globale bas carbone" ou "une transformation globale basse émission" ou encore une "neutralité carbone" ou "une neutralité climatique"… et aucune date n'est mentionnée.
Les plus ambitieux de ces objectifs imposeraient aux pays développés de réduire totalement leurs émissions de CO2 d’ici à 2050, voire d’atteindre des émissions négatives en 2100. Quant aux pays en développement, le texte rappelle à plusieurs reprises l’importance du droit au développement, la différenciation des responsabilités et des capacités des États.
En l’état actuel de l’accord, de nombreuses options très variées restent sur la table et il est difficile de dire quelles seront les options retenues par les négociateurs pour présenter un texte synthétique susceptible d’être négocié par les 196 parties de la CCNUCC (Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique) dès l’ouverture de la COP 21 le 30 novembre prochain.
La réussite d’un accord à Paris en décembre prochain ne dépendra pas seulement de la réduction des émissions de GES des pays les plus développés, mais tiendra également à la question épineuse du financement international et des transferts de technologies qui conditionnent les efforts de bon nombre d’économies émergentes polluantes. Là-encore, beaucoup d’incertitudes subsistent à moins de deux mois de l’ouverture de la conférence. Et si l’optimisme n’est pas interdit, l’échec, lui, n’est cette fois pas permis.