Le vaudou ne meurt jamais

Le vaudou ne meurt jamais

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02 oct. 2015 à 19:32Temps de lecture
Paul Krugman

Donald Trump a donc dévoilé son programme d’impôts. Il s’avère qu’il offrirait de larges baisses d’impôts pour les riches tout en faisant flamber les déficits.

Cela contraste avec le programme de Jeb Bush qui offrirait de larges crédits d’impôts pour les riches tout en faisant flamber les déficits, ainsi qu’avec le programme de Marco Rubio qui offrirait de larges crédits d’impôts pour les riches tout en faisant flamber les déficits.

Pour ce que ça vaut, il semble que le programme de Trump creuserait un trou dans le budget encore plus important que celui de Jeb. Jeb justifie son programme en affirmant qu’il doublerait le taux de croissance de l’Amérique ; The Donald, hum, fausse le tout en affirmant qu’il triplerait le taux de croissance. Mais vraiment, pourquoi s’attarder sur les détails ? Tout ceci n’est que du vaudou. La question à se poser c’est pourquoi tous les candidats républicains se sentent obligés d’en passer par là.
L’on pourrait penser que cette obsession de baisser les impôts pour les riches est défendable, de façon sensée. Enfin l’on pourrait penser ça si l’on a passé les 20 dernières années dans une grotte (ou un groupe de réflexion conservateur). Sinon, vous seriez bien conscients que les supporters des baisses d’impôts ont un historique tout à fait remarquable : ils ont eu tort sur tout, année après année.

Certains lecteurs se souviennent peut-être des prévisions de l’apocalypse économique en 1993, lorsque Bill Clinton releva le taux d’imposition au sommet. Ce qui se passa au contraire fut un essor durable, surpassant les années Reagan sur tous les plans.

Pas découragées, ces mêmes personnes prédisaient de grandes choses aux baisses d’impôts de George W. Bush. A la place, nous avons eu une relance très poussive suivie par un crash économique catastrophique.

Plus récemment, les suspects habituels ont prédit encore une fois l’apocalypse en 2013, lorsque les impôts sur le 1 pourcent le plus riche ont fortement augmenté, à cause de l’arrivée à expiration des baisses d’impôts Bush et la mise en place de nouveaux impôts pour aider à financer la réforme de santé. Ce qui s’est produit à la place, ce sont des taux de croissance de l’emploi jamais vus depuis les années 1990.

Puis il y a eu les récentes preuves au niveau des états. Le Kansas a fait baisser les impôts, dans ce que son gouverneur de droite a appelé "une expérience en temps réel" de politique économique ; la croissance de l’état est à la traîne depuis. La Californie s’est dirigée dans la direction opposée en augmentant les impôts ; elle est récemment en tête de la croissance de l’emploi dans tout le pays.
C’est vrai, l’on peut trouver des experts auto-proclamés en économie qui prétendent avoir trouvé des preuves que de faibles taux d’impôts mettent un coup de fouet à la croissance économique, mais de tels experts s’avèrent être invariablement des salariés de groupes de pression de droite (et ont cette habitude intéressante de se tromper sur les chiffres). Des études indépendantes sur cette corrélation entre les taux d’imposition et la croissance économique, par exemple du Congressional Research Service, ne trouve aucun rapport du tout. Il n’y a aucune proposition sérieuse pour défendre l’idée d’une obsession de baisse de l’impôt.

Cependant, les baisses d’impôts sont populaires sur le plan politique, pas vrai ? En fait non, du moins lorsqu’il s’agit des baisses d’impôts pour les riches. Selon Gallup, seuls 13% des américains sont convaincus que les personnes aux revenus supérieurs paient trop d’impôts, alors que 61% pensent qu’ils n’en paient pas assez. Même parmi des gens qui se revendiquent républicains, ceux qui disent que les riches devraient payer davantage sont deux fois plus nombreux que ceux qui pensent qu’ils devraient payer moins.

Chaque républicain qui voudrait devenir président est donc lié à une politique qui est à la fois de la mauvaise économie et fondamentalement impopulaire. Que se passe-t-il ?

Eh bien voyons la trajectoire de Marco Rubio, qui pourrait bien être désormais le nominé républicain le plus probable. L’année dernière, il soutenait un plan de baisse d’impôt mis en place par le Sénateur Mike Lee qui était soi-disant à destination des classes moyennes et des plus pauvres. En fait, les bénéfices étaient fortement à visée des hauts revenus – mais il fut quand même sévèrement critiqué par la droite parce qu’il donnait trop aux familles classiques tout en ne faisant pas suffisamment de baisses pour les revenus les plus hauts.

Rubio est donc revenu avec un plan qui élimine les impôts sur les dividendes, les plus-values et les héritages, fournissant ainsi une aubaine gigantesque aux très riches. Et tout à coup, il s’est mis à engranger beaucoup de buzz parmi les donateurs républicains. Ce nouveau plan ajouterait des milliers de milliards de déficit, ce dont les républicains se soucient, soi-disant, mais peu importe.
En d’autres termes, c’est clair et plutôt net : les républicains soutiennent de fortes baisses d’impôts pour les riches parce que c’est ce que souhaitent les donateurs riches. Il ne fait aucun doute que la plupart de ces donateurs a réussi à se convaincre que ce qui est bon pour eux l’est aussi pour l’Amérique. Mais fondamentalement, il s’agit de gens riches qui soutiennent des politiques qui les rendent encore plus riches. Tout le reste n'est que rationalisation.

Bien entendu, une fois que les républicains se seront mis d’accord sur un nominé, une armée de mercenaires sera mobilisée pour obscurcir cette vérité criante. Nous verrons des affirmations selon lesquelles il s’agit surtout de baisses pour la classe moyenne, que cela fera de grandes choses pour la croissance économique, et voyez donc – des emails ! Et au vu des conventions du journalisme de type "il a dit / elle a dit", cette campagne d’obscurantisme pourrait bien fonctionner.

Mais n’oubliez jamais qu’il s’agit en fait d’une guerre des classes supérieures contre les classes inférieures. Cela peut paraître simpliste mais c’est ainsi que va le monde.

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