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Pompiers chargés d'éteindre l'incendie de la crise, les banquiers centraux sont-ils en train de se transformer en pyromanes ? C'est en tout cas la crainte qu'expriment ouvertement de plus en plus d'économistes.
Le 17 septembre, la décision du comité de politique monétaire de la banque centrale américaine (Fed) de laisser une nouvelle fois ses taux d'intérêt proches de zéro, malgré l'amélioration continue de l'économie outre-Atlantique, n'a paradoxalement pas été bien accueillie sur les marchés. Au contraire. Cette procrastination de la Fed, qui avait annnoncé qu'elle remonterait le loyer de l'argent avant la fin de l'année, a exacerbé les angoisses des investisseurs. Malgré ses bons résultats, l'économie américaine serait-elle plus fragile qu'ils ne le croyaient, plus de 7 ans après l'effondrement de Lehman Brothers ? L'atterrissage de la Chine serait-il une véritable menace pour la croissance mondiale ? Loin de bénéficier de la décision américaine, les principales places boursières ont donc plongé au lendemain de la conférence de presse de Janet Yellen, la présidente de la Fed.
Indispensables pour éviter l'effondrement du système financier après l'éclatement de la bulle des subprimes, les politiques dites "non conventionnelles" d'injections massives de liquidités dans le système financier par les banques centrales jouent les prolongations. Si, comme la Banque d'Angleterre, la Fed pense à augmenter enfin ses taux après avoir stoppé ses achats massifs de dette publique et de crédits hypothécaires mi-2014, la BCE, elle, a commencé à injecter 60 milliards d'actifs par mois en mars 2015 dans l'espoir de contrer la menace de baisse des prix. Et ce montant pourrait encore augmenter dans les semaines à venir. Quant à la Banque centrale du Japon, elle achète même directement des actions pour faire grimper les cours !
Les pays émergents, victimes collatérales
"Quand on a mené une politique monétaire très expansionniste pendant très longtemps, c'est très difficile d'en sortir", explique Patrick Artus, directeur de la recherche économique chez Natixis. Pourquoi ? Parce que tous les acteurs, prêteurs comme emprunteurs, se sont habitués à obtenir de l'argent à des taux très bas. "Si on retire la liquidité du système, emprunter va devenir plus cher", ce qui peut poser des difficultés à ceux qui auront besoin de renouveler leur emprunt.
Ainsi de Patrick Drahi qui a profité de l'argent facile pour bâtir son groupe Altice dans les télécoms à coups de rachats, au prix d'une explosion de sa dette. Selon les calculs du cabinet Aphavalue, la dette du groupe pourrait atteindre 45 milliards d'euros pour un excédent brut d'exploitation de 9 milliards, soit un rapport de 1 à 5 alors que la limite jugée raisonnable est plutôt fixée à 3 ou 3,5. Toute la question est donc de savoir si Altice va dégager des résultats assez importants pour rembourser cette dette avant d'être obligé de la refinancer à des taux plus élevés.
De nombreuses entreprises de pays émergents, qui ont profité des taux bas pour emprunter en dollars américains et qui doivent faire face à l'envolée du billet vert alors qu'une partie au moins de leurs revenus est libellée en monnaie locale, sont particulièrement exposées.
Plus de munitions en cas de récession
Les banques centrales auraient donc peur de retirer le bol de punch qu'elles ont servi au système financier, de peur de le voir mal réagir à un sevrage trop brutal. La nervosité des marchés a ainsi clairement pesé dans la décision de la Fed de repousser l'échéance. Elle est sans doute un peu hantée par le souvenir de 1994. À l'époque, elle avait provoqué un krach obligataire en remontant trop brutalement ses taux : les investisseurs avaient tenté de se débarrasser de leurs titres de dette (des obligations publiques ou privées) qu'ils avaient achetés malgré leurs faibles rendements, ce qui avait fait s'effondrer leurs prix et remonter brutalement les coûts d'emprunt à long terme.
Mais cette prolongation des politiques monétaires inédites ne va pas sans poser problème. La banque centrale américaine pourrait se retrouver à court de munitions lorsque l'économie américaine retombera en récession, ses taux d'intérêt étant encore proches de zéro malgré le retour de la croissance depuis plusieurs années.
Les dommages collatéraux des politiques monétaires "non conventionnelles" se font déjà sentir. En maintenant des taux d'intérêt très bas et/ou en injectant des liquidités dans le système, les banques centrales augmentent la demande pour les actifs, comme les actifs financiers, ce qui fait monter leurs prix et tomber leurs rendements. Pour préserver leurs gains, certains investisseurs sont donc poussés à prendre plus de risques que d'habitude, par exemple en se portant davantage sur les actions.
Des effets controversés sur l'économie réelle
En revanche, l'argent déversé sur le système financier a du mal à irriguer l'économie réelle : même abreuvées de liquidités, les banques sont contraintes par les nouvelles normes prudentielles. Et elles assurent ne pas recevoir suffisamment de demandes de crédits, ou alors hésitent à prêter à des entreprises jugées trop fragiles. Résultat, elles ne prêtent pas davantage pour autant, mais stockent de la liquidité sur leurs comptes à la banque centrale !
Les risques de déflation, c'est-à-dire de baisse des prix, permettent aux instituts d'émissions monétaires de justifier leur fuite en avant dans leur politique exceptionnelle : leur objectif de maintenir l'inflation à 2 % est loin d'être atteint. Mais, pour Patrick Artus, ce thermomètre de l'état de l'économie est désormais cassé. "Autrefois, l'abondance de liquidités aurait généré de l'inflation. Aujourd'hui, elle permet d'acheter non pas des biens mais des actifs financiers et immobiliers", avertit l'économiste. Autrement dit, les banques centrales sont impuissantes et alimentent l'instabilité sur les marchés financiers et la formation de bulles financières. Les investisseurs se sont ainsi massivement portés vers les pays émergents avant de retirer brutalement leurs capitaux, les plongeant dans une crise profonde. Le même retournement s'est produit sur les marchés actions pendant l'été, quand les principales places financières se sont effondrées. Une telle "volatilité va détruire de l'investissement et la croissance, car on n'investit pas dans un monde volatile", prévient Patrick Artus.
"Des taux d'intérêt à zéro, cela veut dire que le risque vaut zéro et que le temps vaut zéro", abonde Alain Madelin. Pour l'ancien ministre libéral de Jacques Chirac, maintenir des taux d'intérêt à zéro pendant trop longtemps "fausse la fixation normale des prix en économie de marché".
Vers une "crise financière permanente" ?
Même les banques, pourtant sauvées par l'intervention exceptionnelle des banques centrales depuis 2008, commencent à se plaindre ! "Je ne suis pas un fana de ces politiques monétaires accommodantes. Cela crée des bulles. Je suis convaincu qu'on va avoir une série de crises financières avec des mouvements de houle violents sur les marchés", confie un grand banquier de la place de Paris, tout en assurant que les banques sont dorénavant immunisées car beaucoup plus solides. Patrick Artus parle même d'une "crise financière permanente" pour décrire la situation actuelle, même si les pays développés semblent pour l'instant épargnés : "Le real brésilien est à 4 dollars, alors qu'il était proche de 1,5 dollar il y a 5 ans, c'est cataclysmique."
Pour cet économiste comme pour notre banquier, si la Fed n'a pas remonté ses taux en septembre, c'est parce qu'elle a subi la pression d'autres acteurs du monde de la finance, grisés par la politique monétaire expansionniste. Nombreux sont en effet les acteurs financiers américains (fonds, fonds de pension, assureurs) qui ont pris beaucoup de risques pour trouver du rendement alors que les dettes publiques ne rapportent plus rien. Ils se sont "endettés énormément à court terme pour acheter des actifs illiquides (non revendables facilement", NDLR), considère Patrick Artus. Ils auraient donc milité contre le début de la normalisation de la politique monétaire américaine.
2 % d'inflation, un objectif hors d'atteinte
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Mais la Fed ne devrait pas être la seule à avoir des difficultés pour sortir de sa politique monétaire exceptionnelle. Selon Patrick Artus, la BCE et la Banque du Japon se condamnent à maintenir la leur pour encore longtemps en affichant leur volonté de revenir à leur objectif de 2 % d'inflation, une cible pourtant hors d'atteinte à cause de la baisse du prix des matières premières importées, en particulier du pétrole, qui pèse sur les prix.
Pour l'économiste Jean-Marc Daniel, se tourner vers les banquiers centraux à chaque fois que la croissance faiblit est une erreur fondamentale. Ce spécialiste de l'histoire économique cite volontiers Michel Chevalier, économiste français du XIXe siècle, pour qui le pire ennemi des économistes est l'alchimiste : celui qui croit que c'est en créant de l'or (et donc de la monnaie) qu'on crée de la richesse. Avec les politiques monétaires exceptionnelles, les banques centrales ont sauvé le système financier puis acheté du temps pour permettre aux économies de se relever de la crise. Mais elles ne peuvent maintenir un taux d'intérêt artificiellement bas, au risque de dérégler le système et de préparer la prochaine grande crise financière.
Je ne sais plus que comprendre !
Au départ, la monnaie, Billet de Banque, était sensée représenter un dépôt de valeur,... ex l’OR, dans une banque. La banque se portant garant de ce dépôt de valeur. Avec les banques centrales, la monnaie, gérée par une Banque Centrale est sensée traduire une relation entre les richesses crées sur sa zone économique et la monnaie émise, ou à émettre pour la création de cette richesse, crédit ! La monnaie d’un état deviens donc une créance de cette Banque centrale. La convertibilité n’étant qu’un remboursement de cette créance. Exemple, le Zimbabwe a imprimé des Dollars Zimbabwe sans créer les richesses équivalentes. D’oû l’effondrement de cette monnaie devenu simple papier…, monétaire…sans valeur... !
Ma question : Avec la planche à billet de la Federal Bank USA, comme celle de la Banque Centrale Européenne, ou d’autres encore, dans un environnement économique plutôt ‘’mou’’, càd sans grande création des richesses, QUE DEVIENNENT, QU’ELLE EST LA VALEUR SINCÈRE DE CES MONNAIES?
Où comment au final, les banques centrales permettent aux Etats de contourner la nécessité de l'équilibre budgétaire. Ce... qui se construit sur du vent (ou de la fausse monnaie) ne peut produire que des tempêtes... A lire, "la monnaie, histoire d'une imposture" de P. Simonnot et C Le Lien, une analyse parmi d'autres pour qui veut essayer de comprendre l'époque
Parlez-en aux U. S. A et au Japon ! Et les déficits, on en fait quoi ? Vu l'état du monde, on n'est plus à une catastrop...he près. Qui a dit : la cour est pleine. Et comme monsieur Hollande n'aime pas les riches, mais plus les taxes, on est sorti d'affaires... Louches.