La cinéaste Chantal Akerman est morte hier à l’âge de 65 ans. Retour aujourd’hui sur son tout premier film, Saute ma ville , un court métrage de 13 minutes, plus tragique que comique, réalisé en 1968.

Chantal Akerman a 18 ans lorsqu’elle réalise Saute ma ville , film dont elle est l’unique interprète, sans parole.
On l’entend seulement chantonner, pas des chansons douces, mais plutôt des airs de fanfares à trombones et grosses caisses, ou ceux de grandes symphonies tragiques. Elle chantonne la mâchoire crispée, comme si elle faisait sortir des notes de musique pour ne pas laisser sortir un cri de colère, d’angoisse ou de douleur.
Saute ma ville est un film tragi-comique. Aujourd’hui, il est surtout tragique, parce qu’il raconte l’histoire d’une femme qui se suicide.
Treize minutes en noir et blanc, pendant lesquelles on voit Chantal Akerman, jeune fille frêle aux cheveux coupés au carré, rentrer chez elle dans une tour HLM de Bruxelles s’enfermer dans la cuisine balancer son chat sur le balcon scotcher la porte et la fenêtre vider les placards pour en répandre le contenu sur le sol, puis l’étaler à grande eau cirer ses chaussures en les gardant aux pieds, puis déborder sur les chevilles, puis les mollets… Là c’est comique, burlesque, ça ressemble aux films de Charlie Chaplin ou de Buster Keaton.
Et puis elle s’assied par terre. Filmée en plongée, elle semble encore plus isolée. Son chant devient plus calme, plaintif, il dit l’ennui, le désespoir, annonce l’ultime tempête, peut-être.
Elle se relève s’étale de la mayonnaise sur le visage en dansant grimace allume le gaz, pose doucement sa tête sur la gazinière attend. Le film s’achève sur un plan noir, et le bruit de plusieurs explosions. La jeune fille a fait sauter la tour HLM, la ville, le quotidien aliénant des tâches ménagères, et elle avec.
Un film qui préfigure l’ensemble de l’œuvre de la cinéaste
Chantal Akerman disait elle-même que *« tout y était. Tout ce qu’elle traiterait d’une manière ou d’une autre après – * dans ses fictions, ses essais filmiques, ses documentaires, ses installations vidéos – tout était déjà là, dans * Saute ma ville ». * Ce premier court métrage est un film de révolte, féministe, qui préfigure *Jeanne Dielman, 23, Quai du Commerce, 1080, Bruxelles », * son grand chef-d’œuvre réalisé en 1975.
Elle disait aussi que *Saute ma ville * aurait pu faire d’elle une réalisatrice de films comiques, burlesques, comme Charlie Chaplin. Mais il y a chez la cinéaste une forme de frénésie, d’humour triste, trop caractéristiques de la souffrance psychiquepour être tout à fait drôles. L’humour de Chantal Akerman dans ce film fait penser à celui de l’artiste suisse Zouc. C’est un humour inquiétant, parce qu’il ne dit pas seulement la folie qui est en chacun de nous, il dit la détresse, la possibilité du basculement, du passage à l’acte, tragique.
Reste une absente dans ce premier film, la mère de Chantal Akerman, personnage central de son œuvre, que l’on verra au cœur de No Home Movie*, * le dernier film de la cinéaste présenté cet été au festival de Locarno, et qui sortira en salles prochainement.
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