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TUNISIE

En Tunisie, le président Essebsi s'oppose à la dépénalisation de la sodomie en Tunisie

Alors que la société civile tunisienne condamne de plus en plus ouvertement l’article 230 du code pénal, qui criminalise la pratique de la sodomie et le lesbianisme, le président Béji Caïd Essebsi s’est fermement opposé à sa suppression.

Le président tunisien Béji Caïd Essebsi lors d'une conférence de presse en Égypte, le 4 octobre 2015.
Le président tunisien Béji Caïd Essebsi lors d'une conférence de presse en Égypte, le 4 octobre 2015. Khaled Desouki, AFP
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La bataille pour les droits des homosexuels en Tunisie est loin d’être gagnée. Lors d’une allocution à la télévision égyptienne lundi 5 octobre, le président tunisien Béji Caïd Essebsi (BCE) s’est fermement prononcé contre la dépénalisation des pratiques homosexuelles. "Cela ne se produira pas !", a-t-il assuré, en référence à la suppression de l’article 230 du code pénal qui stipule que "la sodomie et le lesbianisme" sont passibles de trois ans de prison.

Une douche froide pour les défenseurs des droits LGBT et militants des droits de l’Homme qui luttent pour faire abroger l’article qu’ils jugent contraire à la Constitution tunisienne et au droit international. "La Constitution tunisienne défend le droit à la protection de la vie privée. Par ailleurs, elle instaure l’égalité devant la loi et par la loi de tous les citoyens, sans discrimination, ce que l’article 230 ne respecte absolument pas", explique à France 24 Amna Guellali, directrice de Human Rights Watch (HRW) Tunisie.

Le ministre tunisien de la Justice, Mohamed Salah Ben Aïssa, avait lui-même appelé à l’abrogation de l’article 230 en raison de son anticonstitutionnalité. "Après l'adoption de la nouvelle Constitution, il n'est plus admis de violer les libertés individuelles, la vie privée et les choix personnels, même sexuels", avait-il déclaré le 28 septembre. Mais lors de son allocution télévisée, le président Essebsi n’a pas hésité à désavouer son ministre. "Le ministre de la Justice n'engage que lui ! Sa demande n'engage pas l'État", a-t-il martelé.

Essebsi, "hyperprésident" ?

Alors que la Révolution de 2011 a paradoxalement entraîné un durcissement du discours homophobe en Tunisie, tout en permettant l’émergence d’une société civile combattive, qui lutte désormais ouvertement pour les droits des homosexuels, ces dissensions sont révélatrices des contradictions générales de l’État sur cette question plus que clivante.

Mais elles sont également le symptôme d’une "érosion du rôle du Parlement ", estime Amna Guellali. "Essebsi a prononcé un discours d’hyperprésident. Il fait des déclarations comme s’il était seul maître à bord, se substituant aux législateurs", explique-t-elle. Les ONG pro-LGBT dénoncent également un abus de pouvoir.

"En tant que président de la République, Essebsi n’a pas à intervenir dans le travail du Parlement", s’insurge auprès de France 24 Bouhdid Belhadi, chargé de communication de l’association Shams qui défend les minorités sexuelles et lutte contre l’homophobie. L'association Mawjoudin ("On existe"), a de son côté traité la déclaration du président par le mépris, en tweetant : "Concernant l'opposition d'Essebsi à la dépénalisation de l'homosexualité, monsieur le président, ceci n'entre pas dans vos prérogatives !"

L’obstacle du Parlement

"L’hyperprésident" est-il, en effet, sorti de ses prérogatives en affirmant qu’il ne réformera pas l’article 230 ? Si les initiatives législatives sont le fait du pouvoir exécutif et législatif, le Parlement est seul habilité à les adopter ou à les rejeter à la majorité. Une fois le texte adopté, le président de la République a la possibilité de le renvoyer à l'Assemblée pour une deuxième lecture ou encore de le soumettre au référendum. Il revient alors au Parlement ou au corps électoral de se prononcer.

Mais le juriste tunisien Yadh Ben Achour apporte une nuance. "La suppression d’une loi requiert un accord préalable du conseil des ministres et, seulement en cas d’accord, il soumet le projet au Parlement. Or, aucune proposition n’est transmise sans l’autorisation du président", explique à France 24 ce spécialiste du droit public tunisien.

Et quand bien même la proposition de suppression de la loi 230 arriverait devant le Parlement, elle n’aurait quasiment aucune chance d’être adoptée. Le parti au pouvoir, Nidaa Tounès, qui a remporté 85 des 217 sièges au Parlement lors des législatives de 2014, a fait alliance avec les islamistes d’Ennahda pour obtenir une majorité confortable. "Ils ont tout pouvoir pour bloquer la réforme", conclut Yadh Ben Achour.

Les espoirs déçus des progressistes

Les associations voient par ailleurs la déclaration d'Essebsi comme une trahison de l’homme qu’ils ont élu à la présidence en décembre 2014 sur un discours plus libéral et progressiste que celui de son prédécesseur, Moncef Marzouki, devenu président en 2011 à la faveur d'une alliance avec le parti islamiste Ennahda.

"BCE a fait campagne sur la nécessité de faire entrer la Tunisie dans la modernité et a capitalisé sur un discours progressiste. Mais en fait, même Ghannouchi [chef de file d'Ennahda, NDLR] est plus progressiste sur ces questions. Il est contre la pratique homosexuelle mais considère toutefois que l’islam n’a pas vocation à réglementer les mœurs des individus dans la sphère privée", rappelle Amna Ghellali.

>> À lire sur France 24 : "Présidentielle en Tunisie : "On attend une ère nouvelle"

"Essebsi s’est présenté comme un candidat libéral. Mais il a toujours ignoré les droits des LGBT, alors qu’il aurait dû donner l’exemple", accuse pour sa part Bouhdid Belhadi. Son association, Shams, la première qui défend ouvertement les droits LGBT (les autres luttent pour les droits des minorités), a néanmoins pu voir le jour en mai 2015, sous la présidence d’Essebsi et non sous celle de Marzouki.

Mettre fin à l’examen anal : une urgence

L'association Shams est montée au créneau lors de l’arrestation en septembre à Sousse, dans le centre de la Tunisie, de Marwan, un Tunisien de 22 ans accusé d’homosexualité. Il a été condamné le 22 septembre à un an d’emprisonnement, en application à l’article 230 du code pénal, après avoir subi un examen anal, un acte medico-légal qui a valeur de preuve devant la justice tunisienne de la pratique de la sodomie.

Shams

"Ces examens sont contraires à la dignité humaine. Ils sont intrusifs, invasifs et représentent un traitement cruel, inhumain et dégradant qui enfreint le droit international", s’insurge Amna Guellali. Elle rappelle qu’ils sont considérés comme un acte de torture par les Nations unies. '"Marwan est traumatisé", déplore-t-elle, plaidant pour l’interdiction de l’examen.

Le jeune homme est toujours détenu en prison en attendant l’appel de sa condamnation. Si les statistiques officielles n’existent pas, Amna Guellali estime qu’une dizaine de Tunisiens seraient actuellement incarcérés en raison de leur orientation sexuelle. Selon Shams, ils seraient une centaine.

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