«Avec nous, ce ne serait jamais arrivé.» L'avantage du refrain du Front national, c'est que l'argument sécuritaire peut se recycler à chaque fait divers ou attentat. Le policier blessé à l'Ile-Saint-Denis ? Pas de ça avec le FN. C'est Florian Philippot qui l'a dit, ce jeudi matin, sur Public Sénat. Mais ça marche aussi avec les attentats. Une dizaine de jours après les tueries de janvier, Marine Le Pen disait : « Nous n'avons pas peur de dire que, si les mesures que nous proposons avaient été appliquées, très probablement, les attentats n'auraient pas eu lieu ». Assurer que des drames auraient été évités demande pas mal d'impudence. Et beaucoup de mauvaise foi. Démonstration en trois exemples.
1) Si le FN avait été au pouvoir, le policier de L’Ile-Saint-Denis ne serait pas entre la vie et la mort, car son agresseur, étant fiché «S», n’aurait pas eu de permission de sortie
INTOX. Après la fusillade de Saint-Denis (un agent de police grièvement blessé par un détenu en cavale après une permission), Christiane Taubira avait à peine eu le temps d'envisager de modifier le cadre législatif sur les sorties des détenus que le FN donnait déjà des leçons sur l'air du «yakafokon». Dans un communiqué, Marine le Pen donnait la solution : «Le Front National demande de voter en urgence l'interdiction de tout aménagement de peine, sortie avancée ou permission de sortie aux individus fichés S en période Vigipirate». Et deux jours plus tard, le numéro 2 du FN, Florian Philippot, reprenait sur le plateau de Public Sénat : «Cette fusillade est une honte, c'est la honte du laxisme d'Etat, des politiques de Taubira-Cazeneuve et des politiques précédentes. […] Nous, nous avons une proposition très concrète et pragmatique : en période Vigipirate, les fichés «S» ne peuvent pas bénéficier de sorties ou d'aménagement de peine. […] Nous sommes en période Vigipirate, donc ça aurait eu un impact.»
DÉSINTOX - Passons rapidement sur le fait que le détenu a obtenu une permission pour régler la succession de son père, décédé récemment, et que c'est un motif de sortie prévu par le Code de procédure pénale (sur décision du juge d'application des peines). Passons rapidement aussi sur le fait que la laxisme de la politique de Taubira et Cazeneuve n'est pas ici en cause puisque le cadre de ces permissions n'a pas été modifié depuis 2004.
Quand bien même le FN au pouvoir aurait goupillé une interdiction de permissions aux fichés «S» (fichier listant les individus surveillés au nom de la sûreté d'Etat) en période vigipirate, cela n'aurait rien changé. Car Philippot ignore visiblement que le détenu (décédé dans l'altercation) n'était pas encore fiché «S» quand il a obtenu sa permission de sortie. La fameuse fiche a été émise par le ministère le 28 mai, le lendemain du jour où il aurait du rentrer de permission, et ce afin de afin de favoriser son signalement. Pour reprendre la formule de Philippot, cela n'aurait donc eu aucun impact. Raté.
2) Si le FN avait été au pouvoir, les frères Kouachi n’auraient pas pu commettre l’attentat de Charlie Hebdo car ils auraient été déchus de la nationalité française et expulsé.
INTOX. Au lendemain des attentats de Charlie Hebdo et de l'Hyper Cacher, Nicolas Bay assène sur Europe 1: «Il aurait fallu déchoir de leur nationalité française les frères Kouachi puisqu'ils étaient binationaux et qu'ils avaient commis des délits. Ils auraient dû être expulsés du territoire national.» Et de repartir dans l'accusation de laxisme, répétée quelques jous plus tard dans une tribune publiée sur Boulevard Voltaire : les frères Kouachi étaient «franco-algériens, nés sur notre sol mais de parents étrangers».
DÉSINTOX. Honte à l'inertie des gouvernants! Si le FN avait été aux manettes, les possibilités offertes par la loi auraient permis de faire décamper les frères Kouachi avant qu'ils ne sévissent. Sauf que Nicolas Bay semble bien mal renseigné sur les conditions requises pour priver un individu de sa nationalité. Comme Désintox l'avait rappelé, la déchéance de la nationalité française, procédure extrêmement rare, est très réglementée. L'article 25 du Code civil pose plusieurs conditions. La première : la déchéance n'est possible que pour les Français ayant «acquis la qualité de Français» au cours de leur vie. On ne peut pas retirer la nationalité française à un individu né français. Le texte précise même qu'il faut être français depuis moins de dix ans pour pouvoir être privé de sa nationalité française. Un délai porté à quinze ans pour un «crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation», comme le terrorisme. Or Chérif et Saïd Kouachi étaient Français de naissance : ils sont nés dans le Xe arrondissement de Paris, de parents français, explique le ministère de l'Intérieur, contacté par Désintox, qui ne précise pas si le père et la mère sont nés en métropole ou en Algérie (qui était un département français avant 1962). Impossible donc de les priver de leur nationalité française.
Surtout, l'intéressé doit également avoir une autre nationalité pour être privé de la nationalité française, puisque le Code civil interdit de créer des apatrides. Nicolas Bay ne l'ignore pas, puisqu'il explique précisément que les Kouachi auraient dû être déchus, car binationaux. Or, les frères Kouachi ne l'étaient pas, binationaux. Ramtane Lamamra, le ministre algérien des Affaires étrangères, avait en effet déclaré quelques jours après la tuerie de Charlie Hebdo, que les frères Kouachi ne s'étaient «jamais préoccupés d'avoir des documents algériens», et même qu'ils n'avaient jamais mis les pieds sur le territoire algérien. Leur père en revanche avait un passeport algérien. Chérif et Saïd Kouachi auraient donc pu revendiquer leur nationalité algérienne via le droit du sang, mais ils n'ont jamais fait les démarches nécessaires à l'obtention de cette nationalité. Contactée par Désintox, l'ambassade d'Algérie nous avait confirmé que les deux frères n'avaient pas de double nationalité. Encore raté.
3) Si le FN avait été au pouvoir, les frères Kouachi n’auraient pas pu commettre les attentats de Charlie Hebdo, car ils n’auraient pas eu la nationalité française
INTOX. C'est l'autre argument que le FN aime à sortir de sa manche à propos des frères Kouachi. Attention nuance : il ne s'agit plus de dire qu'ils auraient été déchus de la nationalité, mais qu'avec le FN, ils n'auraient même pas eu la nationalité française. C'est Marine Le Pen qui s'est faite spécialiste de cet argument. Voilà ce qu'elle disait, toujours au lendemain des attentats : «Je supprimerai le droit du sol, car je pense que la nationalité s'hérite ou se mérite, qu'on ne peut pas l'acquérir de manière automatique, sans qu'on ait demandé leur avis aux Français, ce qui vous pousse à voir devenir français des gens qui ont un casier judiciaire long comme le bras, les Kouachi, les Coulibaly, qui ont obtenu la nationalité française par automaticité.»
DÉSINTOX. Cet argument aussi, comme le précédent, tombe à plat. Conditionner l'octroi de la nationalité au moment de la majorité à la virginité du casier est bien un axe du programme de Marine Le Pen (voir son discours de campagne de Marseille). Mais cela n'aurait pas eu l'effet annoncé par Marine Le Pen. Car les frères Kouachi, à 18 ans, n'avaient pas de casier. Ni long ni court. Saïd Kouachi n'a jamais été condamné. Cherif Kouachi l'a été majeur. Et même dans une France FN, où l'on promet de n'accorder la nationalité française aux jeunes nés en France de parents étrangers que s'ils ont des casiers vierges, cela n'aurait donc rien changé. Les frères Kouachi seraient donc devenus français. Toujours raté.