Les communs ©Fotolia - Julien Eichinger - Fotolia
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Des logiciels libres aux jardins partagés, de la cartographie à l'énergie renouvelable, en passant par les connaissances et les sciences ouvertes, les "communs" sont partout. Le projet de loi sur le numérique d'Axelle Lemaire veut leur offrir une reconnaissance juridique, les "biens communs" ont déjà leur Festival. Jusqu'au 18 octobre, Le Temps des Communs met en lumière ces initiatives gérées par des collectifs de citoyens. L'occasion de découvrir des modes de partage à l'opposé de "l'ubérisation" de la société. Dossier de Catherine Petillon avec vos réactions en ligne.

Communs communautés
Communs communautés
© Fotolia - Julien Eichinger

A chaque fois que j’utilise Wikipédia « je pense aux gens qui ont consacré de longues soirées à écrire ces articles. Et je me demande : * « * Qui sont ces gens ? Pourquoi font-il cela ? Quelle soif de connaissance et de partage, ils doivent avoir !” Et je me sens heureux qu’il y ait des gens qui fassent cela **», se réjouissait la semaine dernière l’écrivain Antoine Bello en donnant un an de ses droits d’auteur**à Wikipédia_* . Rares sont ceux qui n’ont jamais utilisé cette encyclopédie en ligne, qu'il nous appartient à tous de constituer, mais aussi de diffuser, utiliser, copier…Et dont les règles sont fixées par la communauté des utilisateurs. *« * *Wikipédia, c’est un commun moderne_ », résume Valérie Peugeot . La chercheuse – présidente de l'Association Vecam et membre du Conseil national du numérique- est l’une des instigatrices du Temps des communs. 15 jours de festival pour mettre à l’honneur dans sept pays francophones, des centaines d'initiatives qui reposent sur l'ouverture et le partage des biens. Leur particularité : reposer sur un mode de propriété et de gestion qui n'est ni public, ni privé mais « en communs ». Les projets vont des logiciels libres aux jardins partagés, en passant par l'énergie renouvelable et les sciences ouvertes, en somme, les "communs" sont partout.

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Gaël Musquet à la Fonderie
Gaël Musquet à la Fonderie
© Radio France - C.Petillon

C'est parce qu'en tant que fonctionnaire, il n'avait pas accès à des cartes à jour, dont il avait pourtant besoin pour installer un rond-point, que_* Gaël Musque_* t a découvert le site Open street map.

Il a alors cartographié la zone lui même.

Sept ans plus tard, il est le porte-parole d'Open Street map France, et chargé de mission à La Fonderie, l'agence numérique de la région Ile-de-France.

*« Wikipédia c’est l’encyclopédie nous on crée la carte du monde * », résume-t-il.

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Souvent, les données géographiques restent payantes et incomplètes. Alors chaque jour, sur le site Open street map, des habitants, des cyclistes - bref, des citoyens - tracent des milliers de km de routes, signalent des passages piétons, des défibrillateurs, ou leur arbre préféré. Résultat : une carte libre d'accès et utilisable par tous : un Samu qui veut améliorer ses secours, une entreprise qui développe un service ou une personne handicapée qui cherche à connaître les équipements adaptés.

C'est une manière pour les citoyens de pallier aux manques de l’Etat - qui n’a pas les moyens de tout cartographier - et des acteurs privés – qui n'ont pas forcément l’intérêt économiques de le faire.

Surtout, c'est constituer une ressource commune .

Les explications de Gaël Musquet :

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7 min

Champs communs
Champs communs
© Maxppp - Philippe Turpin

Les "communs", d'où ça vient ?
A l'image de Wikipedia et d'Open Street map, les "communs" sont définis par trois choses, avance Valérie Peugeot : « Une communauté qui cherche à répondre à un besoin social ; une ressource, qui est partagée selon un régime qui n’est la propriété ni privée ni publique mais "en commun"; et enfin une gouvernance, un ensemble de règles que la communauté élabore pour à la fois protéger cette ressource mais aussi la faire fructifier, la partager . » * Utiliser Firefox, participer à un jardin partagé, réutiliser des photos en *creative commons, tout cela, c'est donc participer aux communs. « Aujourd'hui, les gens font des communs sans le savoir », s’amuse Hervé le Crosnier , maître de conférence à l'Université de Caen et auteur d'En communs. Surtout, gérer des ressources - des terres ou des savoirs- hors du marché ou de l'Etat, c'est en fait aussi vieux que l'économie politique. «* Pour comprendre le terme, il faut revenir à la campagne anglaise qui jusqu'au XVIIIe siècle était pour l’essentiel ouverte, avec peu de champ clos, peu de propriétés privées marquées par des clotûres, * explique l'économiste Benjamin Coriat .* C'est de ces champs ouverts que les communautés villageoises tiraient leur subsistance, en les utilisant comme pâturage, en extrayant de la tourbe pour se chauffer. C’était les communs, les * commons». Ces terres étaient régies par des règles d'usage, jusqu'à ce que le mouvement des enclosures viennent les fermer.

C'est au numérique sur l'on doit la réapparition de ce débat vieux de deux siècles, et le « retour des communs », pour reprendre le titre de l’ouvrage de l’économiste (atterré) Benjamin Coriat.L'acte de re-naissance des communs dans le débat mondial, cela pourrait être en 2009, quand au lendemain de la crise financière de 2008, l’économiste et politologue américaine_[Elinor Ostrom](https://fr.wikipedia.org/wiki/Elinor%5FOstrom) *obtient le Prix Nobel d'économie *_ pour ses travaux sur la grouvernance des biens communs.

Ordinateur, communs
Ordinateur, communs
© Radio France - c. Petillon

« *La première raison, c’est la création même d’Internet, où l’on trouve une infinité de ressources informationnelles, culturelles, littéraires, artistiques... * », explique Benjamin Coriat.

La deuxième raison, * poursuit l'économiste, c’est que les communs d’avant étaient ce qu‘on appelle des biens rivaux. Le poisson que je pêche dans le lac, si je le mange, vous ne le mangez pas. Pour l’information, ce n’est pas le cas : si je lis un article de Wikipedia, je ne le détruis pas, il est aussi disponible pour vous. Tout cela est un support formidable pour le développement des communs.* »

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A qui appartient la connaissance ?
Seulement voilà, cette vision est loin de faire l'unanimité. Et les débats restent vifs autour des questions très concrètes qui se posent au quotidien. Est-il normal de devoir payer quand on chante "happy birthday" dans un film ? (cela ne fait qu'une semaine que ce n'est plus le cas, après que la Warner a perdu son procès). Les travaux de recherche scientifique doivent-ils être accessibles gratuitement ? Le journal d'Anne Franck doit-il entrer dans le domaine public ? Un auteur est-il lésé et la création menacée si un écrit, une musique ou un film est disponible gratuitement sur Internet ou si à l'inverse ces oeuvres ne sont que très difficilement accessibles. En somme, comment favoriser la circulation des savoirs tout en protégeant la rémunération des auteurs ?

Grotte de Lascaux
Grotte de Lascaux

Des questions qui suscitent des positions tranchées, comme le montre la vivacité du débat provoqué par le projet de loi numérique d’Axelle Lemaire.

Fait inédit, le texte propose de faire entrer les biens communs dans le droit. "Il faut s’en féliciter : les biens communs nourrissent depuis toujours les pratiques d’échange et de partage qui structurent la production scientifique et la création culturelle ", écrivaient 75 personnalités de la culture et de la recherche - et le Conseil national du numérique dans une tribune publiéee par Le Monde. En ligne de mire, les excès du droit de propriété, comme quand il y a quelques années le Conseil Général de Dordogne revendiquait le droit de reproduction des peintures de la Grotte de Lascaux. Ou encore les difficultés à accéder aux articles scientifiques, vendus très chers. Réplique quelques semaines plus tard des éditeurs dans une tribune au MondeLe remède proposé, la gratuité de l’accès à ces écrits, risque d’être pire que le mal, leur « captation abusive » »,

Ce que propose la loi Lemaire sur le numérique - *L'open access * : c'est-à-dire la libre utilisation de travaux universitaires, financés au moins pour moitié par les fonds public au bout d'un an pour les sciences, les techniques et la médecine, de deux ans pour les sciences sociales

**Le texte est actuellement soumis à la consultation citoyenne

**Pas plus de consensus à la Commission de réflexion sur le droit et les libertés à l'âge numérique qui, depuis juin 2004, rassemble députés et représentants de la société civile.

Si elle a adopté à l'unanimité l'essentiel de son rapport* remis jeudi 8 octobre * à l'Assemblée nationale, la dernière partie, consacrée aux communs, n'a pas réussi à mettre tout le monde d'accord.

«* Une avancée importante pour le droit de savoir et une occasion manquée pour les droits culturels* », résument sur Médiapart, Edwy Plenel et Philippe Aigrain, tous deux membres de la commission.

Un changement culturel pour les services publics
Ces nouveaux fonctionnements bousculent aussi bien les acteurs privés que les représentants des services public, pour qui l'ouverture est loin d'être une démarche évidente. «* Même dans le public beaucoup de gens ferment les choses à clés. Il suffit de voir les universités qui n’installent pas de plateforme pour que les cours des enseignants qui le souhaitent soient diffusés. Dans la majorité des cas, sur les sites Internet des collectivités locales, il est écrit "interdit de réutilisation", alors que les services publics qui y contribuent », souligne* Michel Briand, élu pendant près de 20 ans à Brestet membre du Conseil national du numérique* :*

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A Brest, « quand on a voulu favoriser l’usage des logiciels, on a créé le bureau libre, un cd de logiciels libres pour que tous les citoyens aient les logiciels de base? On a appris à travailler ensemble et à créer un commun, c'est-à-dire que ca appartenait à tout le monde. On disait : empruntez-le et copiez- le. On a ouvert Wiki Brest, sur le modèle de Wikipédia » :

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Ces difficultés à convaincre sur l'utilité publique de son travail avec Open street map, *Gaël Musquet * les a éprouvées en tant que fonctionnaire. « J*’allais parler du projet auprès des citoyens commes des institutions nternationales, mais je devais prendre des congés * ». Pour lui, la reconnaissance législative des biens communs pourrait encourager les collectivités à mettre du temps à disposition des fonctionnaires :

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Les communs : l’anti-uberisation

le Temps des communs
le Temps des communs

Si toutes ces initiatives existent, pourquoi les formuler et les rassembler dans une notion que peu de gens encore connaissent ?

« _Pour les protéger * , estime l'économiste *_Benjamin Coriat. **

L_e cas type, c'est le coivoiturage : ça a commencé avec des plateformes collaboratives de gens qui se rendaient services. Cela avait une vocation de bon voisinage et de mieux utiliser les ressources. Et puis Uber est arriv_ é.»

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Le mouvement des biens communs serait-il l’anti-ubérisation ? En tout cas, c'est bien une forme de transformation sociale de la société que dessinent ses promoteurs. « A la fin du XXe siècle, on était plutôt sur des formes de résistance par rapport aux excès du marché, sans être capables de construire les alternatives politique ou sociales. Là, des communautés se mobilisent pour résoudre des problèmes, sans attendre que le marché ou l'Etat ne le fasse. Et en même temps, elles proposent un nouvel horizon politique * *», * insiste Valérie Peugeot .« * Pour prendre un exemple d’actualité qui est celui des migrants, on voit bien qu’on a besoin de l'Etat mais aussi qu’un tas de communautés s’organisent pour pallier les carences de l’Etat. »

Peser dans l'imaginaire politique. _* Pourquoi formuler toutes ces intiatives dans une notion que peu de gens encore connaissen; et rrassembler sous un même vocable, comme le fait le Festival Le Temps des communs, des expériences très (trop ?) disparates ? On y trouve pêle-mêle les chercheurs qui veulent partager leurs résultats scientifiques, les programmateurs de logiciels, un retraité qui participent à des jardins partagés. Parce que ce qui les unit, c'est «le commun justement », estime *_Michel Briand .« Dans des situations de crise où on ne peut plus continer fonctionner à l'identique n'est plus possible, il faut dégager des choses qui regroupent, donnent un avenir. Les communs sont une des réponses aux crises de transitions énergétique, du numérique. Et ils sont les seuls capables de rassembler autour de mêmes valeurs des gens du privé, de l'économie sociale et solidaire ou du public

C'est l'enjeu de ces débats parfois trop rapidement ramenés à des questions techniques et juridiques. _« Les gens ne se rendent compte qu’on leur prend leur activité en commun que lorsque celle ci est mise en danger. * *Il est temps que les communs, qui sont partout, aient une visibilité qui leur permette de peser dans l’imaginaire politique, * *_insiste Hervé le Crosnier. * *La capacité à repenser le monde à partir de l’activité des gens, de ce qu’ils créent en commun de ce qu’ils partagent, peut radicalement changer la manière dont on va aborder les grandes questions de l’avenir- la question du climat, de la transition énergétique de l’accès à l’information et de l’organisation du savoir . »

Et voici vos réactions recueillies sur les réseaux sociaux :

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