INTOX. Lorsqu'il s'agit de taper sur les migrants qui arrivent en Europe, les pros de l'intox n'ont aucune limite. Pas même temporelle. Cette fois, c'est une info vieille de treize ans qui est réapparue sur Twitter, Reddit et des sites anti-immigration et anti-islam comme le suisse les Observateurs ou le Britannique This Is England. Ils relaient tous la même «information» : 1 000 réfugiés auraient forcé le passage pour entrer en Italie après avoir menacé de noyer leurs bébés.
«Chantage émotionnel», titre Les Observateurs. «Et s'ils traitent leurs propres enfants comme ça, comment vont-ils traiter les malheureux Britanniques qui vivront près de leurs appartements neuf payés par les contribuables ?» conclut sans mesure This Is Britain. Les deux articles laissent penser que l'événement vient de se produire. «Hier» pour Les Observateurs, «dans la nuit» pour This is Britain. Sauf que le premier a été publié le 21 septembre, et le second le 17. Sur Google, l'histoire a refait surface plusieurs fois en septembre, mais aussi en mai et même… en 2012.
DESINTOX. Une temporalité pour le moins confuse, d'autant plus que les deux articles ont en fait la même source : un article du Daily Mail titré «Des réfugiés autorisés en Italie après avoir menacé de noyer leurs bébés» et partagé sur les réseaux sociaux en septembre.
Mais il ne faut pas être un limier d'exception pour voir que cet article, qui paraît non daté sur le site du quotidien, cite le ministre de l'Intérieur italien, Claudio Scajola. Lequel n'a été à ce poste que de 2001 à 2002.
Les archives du quotidien le confirment : l'article a été publié le 19 mars 2002 et a donc été exhumé des tréfonds d'Internet pour alimenter les rumeurs sur les migrants, qui ne sont désormais plus seulement présentés comme des jihadistes mais aussi comme des (quasi) tueurs d'enfants.
A l'époque, il y a treize ans donc, l'affaire avait fait grand bruit. L'arrivée près des côtes siciliennes d'un millier de demandeurs d'asile kurdes, dont la moitié de femmes et d'enfants, avait éveillé une prise de conscience européenne sur le besoin d'une politique migratoire unifiée. La question d'un partage des réfugiés au sein des pays membres se pose alors. Le 20 mars 2002, l'Italie instaure même l'état d'urgence dans tout le pays afin de faire face à la vague migratoire. Tous les médias, y compris Libération, avaient relaté l'affaire. Tout en restant, pour la plupart, prudents sur l'histoire des migrants qui auraient menacé de jeter leurs enfants par-dessus bord, même si plusieurs médias citaient le témoignage en ce sens de garde-côtes.