
RUGBY - Un match crucial, mais sans couperet à la fin. En remportant ses trois premiers matchs face à l'Italie (32-10), la Roumanie (38-11) puis le Canada (41-18), le XV de France a validé sans trop trembler son billet pour les quarts de finale de la Coupe du monde de rugby. Ce dimanche 11 octobre (17h45), c'est une tout autre opposition qui attend les Bleus, puisqu'ils rencontreront le leader de leur groupe, l'Irlande.
L'enjeu de cette confrontation? La première place de la poule D (Irlande et France sont à égalité, mais le XV du Trèfle a un meilleur goal-average), pour une question d'honneur et surtout dans l'optique des quarts: le premier évitera la Nouvelle-Zélande et affrontera l'Argentine. Pour autant, les Pumas sont-ils vraiment des adversaires plus abordables? Et si, exceptionnellement, une défaite française était souhaitable?
Voici quelques raisons de (plus ou moins) bonne foi qui font qu'on ne vous en voudra pas trop de supporter les Irlandais ce soir:
Que l'on ne s'y trompe pas, il ne s'agit pas de dévaloriser la Nouvelle-Zélande. Jusqu'à preuve du contraire, les All Blacks restent les grands favoris de la compétition. Avec des monstres sacrés comme Dan Carter, Richie McCaw ou Kieran Read et de jeunes prodiges comme Julian Savea et Brodie Retallick, les Néo-Zélandais restent des références absolues, même s'ils n'ont pas forcé leur talent lors de la phase de poules.
Mais si les Bleus perdaient ce dimanche face à l'Irlande, ils s'assureraient une affiche à la saveur particulière le 17 octobre. Une saveur de revanche, quatre ans après la finale perdue à l'Eden Park d'Auckland (8-7), mais qui rappellerait aussi de bons souvenirs, comme la demi-finale d'anthologie de la Coupe du monde 1999 et surtout le quart de finale remporté en 2007 au Millenium Stadium de Cardiff... là où se jouerait le match du samedi 17.
Christophe Dominici, France-Nouvelle Zélande...par GQFrance
La mythique demi-finale face aux All Blacks en 1999
A l'inverse, un match contre l'Argentine ne serait pas synonyme de qualification aisée, loin de là. Les Pumas ont fait forte impression lors de leurs trois premiers matchs en résistant aux All Blacks (16-26) puis en écrasant la Géorgie (54-9) et les Tonga (45-16). Ils ont aussi souvent posé des problèmes aux Bleus, prenant un malin plaisir à les battre en terre européenne: par deux fois lors de la Coupe du monde 2007 et encore en novembre dernier au Stade de France.
"Les Argentins ont cette aptitude à nous pourrir le jeu, ils l’ont très bien fait pas le passé. C’est l’une des équipes qu’on ne bat quasiment jamais, peut-être moins que les All Blacks", résume l'ancien international français Jean-Baptiste Elissalde, "pas certain qu’on ait plus facilités à battre l’Argentine que la Nouvelle-Zélande" même si la Nouvelle-Zélande est "plus complète, propose plus de formes de jeu et d’alternance".

L'Argentine triomphe après sa dernière victoire au Stade de France
Autre raison de supporter l'Irlande, quelques points communs avec la France dont une hostilité partagée pour l'Angleterre. "On apprécie nos cousins italiens [...], on apprécie les Celtes et leur convivialité", racontait en 2011 le sélectionneur Marc Lièvremont, mais "parmi toutes ces nations, on a quand même un énorme point commun : on n'aime pas les Anglais! On a quitté Dublin [...] sous les encouragements de tous les Irlandais qui disaient: 'par pitié, battez les Anglais'".
Peut-être est-ce une stratégie de déstabilisation que de nous caresser dans le sens du poil. Toujours est-il que les Irlandais ont visiblement été impressionnés par les premiers matchs des Français. "La France est une équipe incroyable, qui a du talent, du physique, des compétences avec des qualités techniques derrière, a notamment lancé Paul O’Connell. Ils jouent avec beaucoup de passion et pour nous, c'est toujours un grand défi" selon le respecté capitaine irlandais.

Frédéric Michalak et Paul O'Connell, futurs coéquipiers à Toulon
Même son de cloche du côté de Ian Madigan, qui voit en son homologue demi d'ouverture, Frédéric Michalak, "un magicien toujours capable de sortir un lapin de son chapeau". "Son palmarès parle pour lui", lance-t-il encore admiratif. Même Mathieu Bastareaud, qui ne fait pourtant pas toujours l'unanimité en bleu, est "un joueur intelligent" et "très, très fort", "un leader qui sonne la charge" selon le 3e ligne Sean O'Brien. Plutôt sympa.
Par ailleurs, il sera possible de supporter l'Irlande tout en soutenant aussi (un peu) la France, et ce grâce à Simon Zebo. Cet ailier ou arrière de 25 ans est né à Cork, dans le sud de l'île verte, d'une mère irlandaise et d'un père français, originaire de Martinique. Il possède la double nationalité et aurait ainsi pu choisir d'évoluer sous le maillot bleu, mais ayant passé tout sa vie en Irlande, la question ne s'est pas vraiment posée.

Simon Zebo, le plus français des Irlandais
Cela a assez été dit et répété, mais le XV de France n'a pas vraiment séduit depuis l'arrivée de Philippe Saint-André à la tête de la sélection en 2011. Si l'équipe s'est montrée solide et a pu compter sur des buteurs précis - ce qui n'a pas toujours été le cas -, elle n'a pas vraiment impressionné et il reste encore difficile à cette heure de jauger véritablement son niveau, notamment en cas de confrontation avec une "grosse équipe".
L'Irlande correspond à ce profil. Les vainqueurs des deux derniers Six Nations se présenteront dimanche en favoris, et ont davantage convaincu ces dernières années, même si leur match face à l'Italie (16-9) a été décevant. Malgré cette victoire étriquée, "l'Irlande peut s'appuyer sur une base solide", note Rugbyrama. "Sa conquête est l'une des meilleures de la planète [...] En touche, elle affiche un 100% de réussite depuis le début de la compétition", rappelle le site spécialisé.
La victoire écrasante des Irlandais face au Canada
On peut aussi noter 591 passes réussies par l'Irlande lors de ses trois premiers matches (435 pour la France), près de 95% de mêlées gagnées (contre 79%) et seulement 28 pénalités concédées (contre 39). En résumé, personne ne vous en voudra de supporter l'Irlande si vous aimez le beau jeu, avec "beaucoup de vitesse, de fluidité et de précision dans le jeu de ligne" apprécie le Français Wesley Fofana, qui a connu le coach de l'Irlande à Clermont.
Au-delà du match, c'est le spectacle qui donne envie de soutenir l'Irlande, avec 40.000 supporteurs vêtus de vert attendus à Cardiff et un hymne exceptionnel. D'accord, "La Marseillaise" avec son côté guerrier sied bien aux valeurs de combat du rugby. Mais si vous n'êtes pas fans de "l'étendard sanglant" et du "sang impur", "Ireland's Call" pourrait aussi vous plaire. D'abord par ses paroles, écrites spécialement en 1995 pour le XV du Trèfle et qui appelle à l'unité du pays, mais aussi sa musique pour le moins entraînante:
L'hymne irlandais lors d'un match face à la France en 2011
En gagnant ses trois premières rencontres, le XV de France s'est redonné un peu de confiance. Avant cela, les Bleus restaient sur sept défaites lors de leurs dix derniers matchs. Cependant, le niveau de leurs adversaires (une Italie diminuée ainsi qu'une Roumanie et un Canada qui restent limités) ne doit pas forcément inciter à l'euphorie. Et s'ils avaient besoin d'un petit avertissement avant de se frotter à l'élite du rugby mondial?
En 2011, le XV de France était passé à côté de son premier tour. Inquiétés par le Japon (victoire laborieuse 47-21), les Bleus avaient ensuite passé facilement l'obstacle canadien (46-19) avant d'être balayés par les Néo-Zélandais (37-17) puis de s'incliner face aux Tongiens (14-19), une véritable humiliation. Mais, avec la même équipe, ils étaient ensuite parvenus à battre l'Angleterre et le Pays de Galles, échouant de peu en finale face aux All Blacks.

Après un 1er tour raté, les Bleus ont atteint la finale du Mondial 2011
"On a l'impression de se retrouver en 2011 avec beaucoup d'incertitudes, note justement Maxime Mermoz. Mais on était allés jusqu'en finale car l'équipe avait su se ressaisir avant les quarts", rappelle le centre toulonnais, non retenu pour cette Coupe du monde mais qui a participé à la précédente édition en Nouvelle-Zélande. Et si une défaite face à l'Irlande permettait de remobiliser les troupes et de se mettre en "mode commando"?
Autre "avantage" d'une défaite face à l'Irlande (sans souhaiter une déculottée non plus...), cela permettrait de voir à nouveau "PSA" élever la voix. Le sélectionneur français, pas connu pour ses coups de sang à l'inverse de l'un de ses prédécesseurs, Bernard Laporte, a remonté les bretelles de ses joueurs après leur première mi-temps médiocre contre la Roumanie. Cela a-t-il eu de l'effet? Les Français ont en tout cas creusé l'écart et inscrit trois essais en seconde mi-temps.
Le coup de gueule (sans le son) de "PSA" dans les vestiaires