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Madagascar, terminus des cyclones

Intensification des tempêtes, disparition de la mangrove, dégradation du récif et des sols… la Grande Ile est un concentré des dérèglements climatiques. Une injustice de plus pour ce pays, parmi les plus pauvres de la planète.

Par  (envoyé spécial dans la région de Tuléar (Madagascar))

Publié le 07 octobre 2015 à 11h47, modifié le 12 octobre 2015 à 11h21

Temps de Lecture 12 min.

Un pêcheur de la région de Tuléar, dans  le sud de l’île.

La chaleur et les années pèsent sur son frêle corps à la peau plissée. Accroupi, presque prostré, entre quelques épis de maïs mal en point de son carré de terre, Rebokane Mahatsanga ne sait plus trop quel âge il a. « Je crois que je vais bientôt avoir 100 ans », glisse-t-il, les yeux mi-clos. Ici, les anniversaires ne se fêtent pas vraiment, « plutôt un truc de l’ex-colonisateur français », nous dit-on. Alors à quoi bon compter si méticuleusement ?

A une poignée de kilomètres au sud de Toleara (Tuléar), dans le village de Bekoake dépourvu d’eau courante et d’électricité, ce petit paysan ne retrouvera pas non plus l’année, 2013, ni le nom du cyclone tropical Haruna. Mais sa mémoire a retenu l’essentiel : ce matin-là, il n’avait « jamais vu ça ». « La vague d’eau est arrivée et a détruit toutes les cultures et les maisons, explique dans un dialecte local le vieil homme. J’ai dû me réfugier en haut d’un talus, et attendre jusqu’au soir que le niveau redescende. »

En ce mois de février, il y a deux ans, le passage d’Haruna tue vingt-six personnes dans la région. Plusieurs dizaines de milliers d’habitants perdent leur toit, souvent de simples cases à la structure en bois et aux murs en paille ou boue séchée. Des puits, seuls accès à l’eau potable dans certains villages, sont contaminés, provoquant des épidémies dans la population.

« Dragon »

Un tiers de la sixième ville de Madagascar (250 000 habitants), située à l’extrémité sud-ouest de la fameuse route nationale 7, à 900 km de la capitale, se retrouve sous les eaux. En cause, la digue protégeant du fleuve Fiherenana qui a cédé à quelques dizaines de mètres de la parcelle de Rebokane Mahatsanga. Le cultivateur sait ce qu’il s’est passé : « Il y a un dragon qui s’est allongé dessus, et elle a craqué. » A l’écoute autour de l’aîné, certains villageois acquiescent, d’autres, plus jeunes, sourient.

Rebokane Mahatsanga, âge indéfinissable, cultivateur de maïs et de manioc dans le village de Bekoake.

Posée entre le canal du Mozambique et le large de l’océan Indien, la Grande Île est le terminus des cyclones et tempêtes tropicales qui naissent sur la façade ouest de l’Australie. Dix-sept des vingt-deux régions du pays sont classées à haut risque cyclonique. Avec le réchauffement climatique, ces perturbations venteuses ne sont pas plus fréquentes selon les météorologistes – trois en moyenne chaque année –, mais plus intenses. Auparavant, des cyclones avec des rafales de 80 km/heure ne survenaient que tous les dix ans. Depuis 2005, ils réapparaissent tous les deux ans.

« Nous avons réparé la digue qui était vétuste mais, en cas de nouvel Haruna, je ne serai pas très serein, car nous avons fait avec les moyens que nous avions, c’est-à-dire pas grand-chose », confie, dans son bureau, à Toleara, Lydore Solondraza, directeur de l’administration générale et territoriale de la région Atsimo-Andrefana.

Jeune fille du village de Bekoake.

Exercices de simulation

Sous le portrait officiel du président malgache, Hery Rajaonarimampianina, élu démocratiquement début 2014, après cinq années d’instabilité politique à la suite d’un coup d’Etat, le haut fonctionnaire hésite à en dire plus. « Nous sommes un peu délaissés par le pouvoir central, vous savez, nous sommes loin de Tana [Antananarivo, la capitale] », finit-il par lâcher.

Le responsable a réussi à obtenir un Zodiac, un seul, et l’installation en 2014 de trois capteurs en amont du fleuve. « En cas de montée des eaux, je reçois automatiquement un SMS, et je lance aussitôt les opérations de prévention. » En début d’année, la tempête tropicale Fundi qui a balayé la région de Toleara a encore fait 5 morts.

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La Croix-Rouge locale essaie tant bien que mal de pallier les insuffisances de l’Etat. « Nous faisons des exercices de simulation dans 36 villages et 6 communes de la région, et nous allons construire dix abris anticycloniques collectifs », liste Lucianno Rafalimonona dans une gargote, un verre de jus de papaye à la main. Comment juge-t-il l’efficacité des autorités ? Le secouriste ne prononcera pas le mot corruption. Simplement : « Parfois, nous ne savons pas trop où va l’argent… »

L’équation climatique de Madagascar est un casse-tête. L’Etat est l’un des plus pauvres de la planète, mais il a été classé comme le troisième pays au monde le plus exposé aux risques climatiques extrêmes. De quoi entraver un peu plus son développement.

Microcosme

« Nos émissions de gaz à effet de serre sont marginales à l’échelle mondiale, nous sommes même un puits de carbone avec nos forêts, mais nous devons affronter les effets néfastes des actions des pays pollueurs, qui ne veulent toutefois pas nous aider », constate, amer, Hery Rakotondravony, directeur du Bureau national de coordination des changements climatiques à Madagascar. La Grande Île a émis en 2013, 2,1 millions de tonnes de CO2. Une goutte d’eau comparé aux pays industrialisés comme la France et ses 344 millions de tonnes de CO2 rejettées dans l’atmosphère.

Le négociateur malgache se rendra à Paris en fin d’année pour la conférence des Nations unies sur le climat (COP21). Il y présentera une facture de 42 milliards de dollars (38 milliards d’euros), presque quatre fois le produit intérieur brut annuel de Madagascar, pour que le pays africain parvienne à s’adapter et atténuer les effets du changement climatique.

C’est à partir des années 1950 que le réchauffement a commencé dans la partie sud de Madagascar ; des années 1970 pour la partie nord. Ecartelée entre excès et rareté d’eau, entre bande côtière et arrière-pays, la région de Toleara représente un microcosme de la variété des dangers climatiques qui menacent le pays.

Ralahay, 30 ans, cultivateur de manioc dans le village de Marotijery, entre Anakao et Betioky, dans le sud-ouest de Madagascar.

A commencer par ces pluies qui ne tombent plus comme avant. « Avant, la saison des pluies commençait vers la fin octobre et allait jusqu’en mars, mais ces derniers temps elle se concentre de plus en plus de janvier à février, constate Razafisoa Ratalata, chef traditionnel du village d’Ambiky. Nous ne savons plus quand planter ou ensemencer, il est difficile d’anticiper pour gérer au mieux la récolte. » Selon les cultures, le décalage du calendrier est de un à presque trois mois.

« Stopper cette sédimentation »

Ces pluies sont aussi plus intenses, augmentant ainsi les risques d’inondations. Le responsable local marche sur une digue en terre, près de l’embouchure du fleuve Onilahy. A droite, des rizières aux pousses verdoyantes, à gauche, du baiboa, mélange d’alluvions et de terre, charrié par le cours d’eau quand il déborde.

Il s’arrête à l’ombre d’un arbre. « Notre communauté l’a construite en 2008 grâce à de l’argent de la Banque mondiale, le but était de stopper cette sédimentation qui croît à cause de la déforestation et l’érosion en amont du fleuve, ce qui empêche ensuite de cultiver, raconte ce père de cinq enfants. L’eau peut passer par-dessus la digue, mais au moins le sable et tout le reste est bloqué. » En 2013, Haruna avait plongé l’endroit sous 1,50 mètre d’eau.

C’est l’un des joyaux de la riche biodiversité malgache qui est aussi menacé d’asphyxie. Au nord de Toleara, 120 hectares de mangrove s’étirent sur sept kilomètres. La pirogue zigzague entre les pieds des palétuviers. Une fois descendue de l’embarcation, Lara Danhaive gribouille un schéma avec des flèches. « Le fleuve Fiherenana charrie les sédiments jusqu’ici, mais il y a aussi le vent du large qui pousse les dunes vers la mangrove et menace de l’étouffer », explique la responsable de l’organisation non gouvernementale belge Honko.

En hauteur, des sisals apparaissent sur une colline de sable qui se déverse en partie au pied de la mangrove. « Nous en plantons un maximum pour tenter de fixer les dunes », précise la jeune femme.

Pour réparer les dégâts de la déforestation longtemps pratiquée par les habitants en quête de bois de construction et de charbon de bois, la petite équipe a également replanté 24 hectares de mangrove depuis 2008.

Récif corallien fragilisé

« Avec tous ces sédiments que charrie le fleuve sans compter les cyclones dévastateurs , le récif corallien est également fragilisé, prévient Lara Danhaive, biologiste de formation. L’eau trouble, ainsi que la montée du niveau de la mer, empêche le récif de recevoir suffisamment de lumière du jour pour se développer. »

Des jeunes femmes dans un champ de maïs prés du village de Bekoake, à 7 km de Toleara. Toutes les maisons du village ainsi que les champs de manioc, de maïs et coton alentours ont été détruits par le cyclone Haruna en février 2013.

Au large de la cité balnéaire s’étend le troisième récif le plus long du monde, sur près d’une vingtaine de kilomètres. « Le réchauffement de l’océan menace de blanchir les coraux de Toleara, et en même temps cette évolution peut permettre au contraire de développer celui de l’extrême sud du pays qui souffre d’eaux trop froides », fait remarquer Paubert Mahatante, de l’Institut halieutique et des sciences marines de Toleara.

L’universitaire, qui est en train d’achever une thèse sur l’adaptation au changement climatique dans la région, lance toutefois une mise en garde. « Aujourd’hui, la tendance est de conclure que tout ce qui se passe est lié au changement climatique. Mais attention, prévient-il, si c’est souvent un facteur aggravant, ce n’est pas toujours la cause principale. »

Ces pêcheurs traditionnels de poulpes, mollusques et crustacés, rencontrés les pieds dans l’eau à proximité du village de Botsibotsiky, sont pointés du doigt. Dans le seau de Nente Mahay, de gros coquillages ressemblant à des bernard-l’hermite, qu’il est allé décrocher du récif à 4 mètres sous l’eau avec son masque et son tuba.

Nente Mahay, 18 ans, pêcheur de coquillages dans le village de Botsibotsiky, à environ 17 km de Tulear, sur la côte sud-ouest de Madagascar.
Colette, 50 ans, pêcheuse de concombres de mer dans le village de Botsibotsiky.

« L’endroit se dégrade, confirme le garçon de 18 ans, des pêcheurs retournent les pierres et tapent dessus avec des pieux pour trouver des coquillages, mais ceux-ci ne peuvent alors plus se reproduire. » Que faut-il faire ? « Une campagne de sensibilisation a été réalisée, mais les gens, de plus en plus nombreux ici, ont faim. »

« Ailleurs, dans le monde, ils essaient de dompter la nature. Ici, nous n’en avons pas les moyens »

Assis à une terrasse à Toleara, Paubert Mahatante rouvre son ordinateur : « Vous voyez cette courbe ? Depuis une trentaine d’années, avec le changement climatique, le vent a tendance à devenir de plus en plus permanent, ce qui affecte le littoral », constate-il.

A une heure de 4 × 4 au sud de Toleara, les habitants de la presqu’île de Sarodrano, village de pêcheurs construit sur le sable et bordé par une eau turquoise, peuvent en témoigner. Assise à l’ombre d’un séchoir en bois à algues, Vierge, qui n’a pas de nom de famille, doit avoir plus de 70 ans.

« Dans ma famille, nous sommes trois à avoir dû reconstruire nos maisons à un autre endroit à cause du sable qui les envahissait. » Sur le toit de son logement fait de plaques de tôles, elle a posé des grosses pierres pour éviter les mauvaises surprises. Mais le sable s’accumule de nouveau tout autour de sa fragile demeure.

A quelques centaines de mètres, Andrea Baccaredda Boy a, lui, dû déplacer son restaurant il y a deux ans, malgré une construction sur pilotis. Devant un plat d’aiguillettes, cet Italien préfère prendre la chose avec philosophie : « Ailleurs, dans le monde, ils essaient de dompter la nature. Ici, nous n’en avons pas les moyens. »

Région la plus sèche du pays, le Grand Sud de Madagascar va avoir de plus en plus chaud. Une hausse de 1,6 à 2,6 °C d’ici au milieu de siècle est annoncée. Surtout, les périodes de sécheresse vont s’allonger, alors que 30 % à 60 % de la population locale souffre déjà régulièrement du kere, « la faim » en langue locale.

« Le bon Dieu n’est pas content »

Il faut rouler longtemps sur une piste poussiéreuse et cabossée, passer à côté de tombeaux funéraires donnant l’impression que les gens sont plus riches morts que vivants pour enfin atteindre le village d’Ampotake, de 280 âmes. Le vaste réservoir communautaire en bords en terre est vide. Ici, il ne tombe en moyenne que 500 millimètres d’eau par an.

La saison des pluies n’arrivera que d’ici quelques semaines, mais Kireta Madiotsara est inquiet. Ce paysan emmène le visiteur voir son champ de manioc d’à peine un demi-hectare. A un quart d’heure à pied, la terre est rouge, les feuilles du tubercule sont rares. « Il y a de moins en moins de pluies régulières, j’ai peur de perdre ma récolte », se désole celui qui remplit quatre charrettes à zébus de manioc les bonnes années.

Pourquoi pleut-il moins ? « Les gens ne respectent plus les tabous et les traditions : les femmes mettent désormais des shorts au lieu des jupes, les hommes se percent les oreilles, le bon Dieu n’est pas content », conclut Kireta Madiotsara, 20 ans, qui n’a pu aller à l’école que deux ans et qui sèche sur le nom de l’actuel président du pays.

Les villageois s’adaptent. Ils stockent précieusement de l’eau dans un trou creusé dans un baobab pour éviter qu’elle s’évapore. En ce mois d’octobre, où la saison sèche se termine, la température approche les 40 °C. La coopération allemande a aussi apporté il y a trois ans une citerne pour mieux récupérer l’eau, désormais à l’abri des excréments du bétail.

Devant chez Arleta, la cinquantaine, neuf chèvres, une poule et un bidon en métal de 200 litres d’eau, acheté dans un village voisin. Avec la hausse de la demande, le prix ne cesse d’augmenter. Désormais 7 000 ariarys, soit presque deux euros. « Quand ça va très mal, nous mangeons des racines pour faire la soudure avec la prochaine récolte, mais je ne déménagerai pas, c’est ici le village de mes ancêtres », insiste la mère de quatorze enfants. Lors des famines, le Programme alimentaire mondial (PAM) livre un sac de riz par foyer par mois.

« Les habitants vendent de plus en plus leur bétail et leurs biens, ils piochent trop dans les ressources de la nature »

A Betioky, chef-lieu de district et ville d’arrêt des taxis-brousse, Monjes Randrianantenaina interrompt sa sieste du début d’après-midi pour sortir un grand cahier. « Depuis 1933, les pluies ont baissé de 27 % à 33 % dans les environs, lit le météorologiste local, et, pendant l’année, les courbes sont de plus en plus irrégulières. »

Alors que trois quarts de la population vivent de l’agriculture, il craint les conséquences de ce changement climatique : « Les habitants vendent de plus en plus leur bétail et leurs biens, ils piochent trop dans les ressources de la nature et certains d’entre eux migrent, ce qui crée des conflits avec d’autres communautés. »

Une plantation de patates douces, dans le lit du fleuve Fiherenana, près du village de Bekoake, à 7 km de Toleara.

Souvent en ordre dispersé, des ONG internationales mettent en avant des solutions dans la région : creuser davantage de puits, augmenter les rendements des cultures avec une gestion durable de la terre, utiliser des semences qui résistent mieux à la sécheresse, développer des sources de revenus alternatifs à l’agriculture.

A Antananarivo, deux jeunes Malgaches s’enthousiasment au siège du Bureau national de gestion des risques et des catastrophes. Devant un ordinateur portable, ils tracent du doigt des lignes sur la carte de Google Earth. « Nous pourrions dévier ce cours d’eau pour le faire venir ici grâce à la dénivellation ou construire un pipeline de quelques centaines de kilomètres jusque-là, imagine Sitraka Ranveliarivao. Il nous faudrait juste un peu d’argent, mais ce serait vite rentabilisé, et cela changerait tellement la vie des gens ! »

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