Christiane Taubira veut révolutionner la justice du quotidien

Christiane Taubira veut révolutionner la justice du quotidien

    C'est une réforme qu'on n'attendait pas. Et la première depuis bien longtemps qui s'attache à revoir la justice du quotidien. Christiane Taubira a clos samedi un débat de deux jours consacré à la justice du XXIe siècle, donnant le top départ à la réforme du même nom. Le projet, qui s'appuie sur les conclusions rendues par quatre groupes de travail composés de professionnels du monde judiciaire, vise à simplifier l'accès aux tribunaux, clarifier le travail des juges et accélérer les procédures.

    Un vaste chantier lancé par la ministre de la Justice. Elle nous dévoile en exclusivité ses intentions.

    Quel est le but de cette future réforme ?

    CHRISTIANE TAUBIRA. L'ambition et la méthode sont inédites. Cette réforme judiciaire est la plus ambitieuse depuis 1958. Ces dernières années, des modifications successives ont rendu la justice de plus en plus compliquée. Cette fois, nous voulons repenser le système judiciaire dans sa globalité : améliorer son fonctionnement, son efficacité et, finalement, le service rendu au citoyen. La méthode ensuite : au lieu de demander à mon ministère d'élaborer seul un projet, j'ai réuni l'ensemble des acteurs du monde judiciaire en groupes de travail qui ont planché pendant dix mois et présentent aujourd'hui 268 propositions. Je fais le pari de l'intelligence collective.

    A qui cette refonte judiciaire est-elle destinée ?

    C.T. - Notre volonté est de rendre service au citoyen de la meilleure façon possible. Cela passe aussi bien par un accès facilité à la justice, une meilleure compréhension des décisions et une accélération des procédures. Nous voulons tout remettre à plat.

    Saisir la justice n'est pas simpleâ?¦

    C.T. - Nous développons déjà des guichets uniques de greffe au sein des tribunaux, qui donnent accès à toutes les informations pratiques en fonction du besoin. Avec cette réforme, nous voulons aller plus loin en proposant un guichet universel qui recueillera toutes les démarches entreprises par le justiciable, quelle que soit la juridiction â?? civile, sociale, familialeâ?¦ â?? concernée. Ce nouveau service fournira également les explications sur le fonctionnement et les suites de la procédure. Une fois celle-ci engagée, il ne sera plus nécessaire de se déplacer jusqu'au tribunal, si ce n'est le jour de l'audience.

    Comment Internet peut-il faciliter la vie des justiciables ?

    C.T. - Il faut d'abord développer les plates-formes d'information en ligne afin de répondre facilement aux principales questions que se posent les justiciables. Ensuite, les messages électroniques peuvent par exemple servir à renseigner l'horaire de passage prévu à l'audience. Aujourd'hui, on vous demande d'être présent pour 13 heures, même si votre affaire passe à 20 heures. Internet peut aussi servir à suivre en temps réel l'évolution de sa procédure, sans avoir besoin de prendre un jour de congé pour aller se renseigner au tribunal. Je souhaite généraliser le traitement numérique de certaines démarches juridiques, comme par exemple les suites d'une plainte en ligne.

    N'y a-t-il pas trop de types de tribunaux ?

    C.T. - Il faut repenser les sites judiciaires. Entre les tribunaux d'instance, de grande instance, les juridictions sociales ou familiales, il y a un effort de lisibilité à faire. Pour ma part, je suis favorable à un tribunal de première instance qui centraliserait l'ensemble des démarches, quelle que soit la nature du contentieux, afin de rendre précisément plus lisible le service de la justice. Il y a des réticences autour de cette question, et le débat doit avoir lieu, mais je crois qu'on doit vraiment trouver la bonne taille pour une juridiction unique.

    Comment rendre plus compréhensible le travail des juges ?

    C.T. - Les magistrats utilisent parfois un langage spécifique, c'est vrai. Il faut faire un effort pour rédiger les jugements de façon plus accessible, et être plus pédagogue. Mais c'est un travail délicat, car il faut en même temps garder une terminologie juridique rigoureuse pour ne pas fragiliser les décisions.

    Peut-on se passer du juge, en matière de divorce par consentement mutuel, par exemple ?

    C.T. - Deux groupes de travail font des propositions contradictoires sur le sujet, c'est donc une question qui fait débat. Il ne s'agit pas de gagner du temps ou des effectifs puisqu'une audience de divorce par consentement est très courte. Mon souci est que le citoyen participe à la décision qui va avoir un effet sur sa vie. Il faut savoir que les juges valident en la matière environ 95% des dossiers qui leur sont présentés. Dès lors qu'il y a entente entre les parties, faut-il systématiquement engager une procédure impliquant un juge? Le débat doit avoir lieu, ce n'est pas encore l'heure de trancher. Par ailleurs, si l'on renforce la médiation dans les procédures familiales, il faut que chaque partie dispose d'un délai de réflexion et puisse en tout état de cause saisir un juge si elle le souhaite.

    Faut-il dépénaliser certaines infractions pour désengorger les tribunaux ?

    C.T. - Notre réflexion ne porte pas sur la dépénalisation, mais sur la transformation de certains délits en contraventions, afin d'accélérer les procédures. En matière de délit routier par exemple, quelqu'un qui est arrêté deux fois pour conduite sans permis mais qui n'a pas provoqué d'accident comparaît devant le tribunal correctionnel. Cela n'a pas grand sens. J'ai conscience que c'est une question sensible, car certains peuvent croire que le message envoyé est celui d'une plus grande indulgence. Il faut en discuter. De même, le rapport Nadal préconise la contraventionnalisation de l'usage de stupéfiants. Il n'y a aucune raison de ne pas en débattre.

    A quelle échéance cette réforme verra-t-elle le jour ?

    C.T. - La synthèse des travaux et les premières pistes de réforme seront envoyées dans les juridictions et discutées en assemblées générales. Une concertation avec les professionnels du droit et les organisations syndicales sera engagée. Je souhaite qu'avant juin 2014 les premières mesures consensuelles soient mises en Å?uvre. Je réfléchis également à des expérimentations.