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Turquie

Ankara: un double attentat qui menace l'unité de la société turque

Un président à l'assise politique fragilisée, des élections anticipées, Daesh aux portes du pays, le contexte politique turc était déjà tendu avant l'attentat qui a fait au moins 95 morts samedi. Il est maintenant explosif alors que les différents camps en présence se renvoient la responsabilité du massacre très probablement perpétré par deux kamikazes.

Deuil et colère. Alors que le double attentat qui a fait au moins 95 morts samedi pendant les préparatifs d'une manifestation pour la paix n'a toujours pas été revendiqué, les divisions de la société turque sont exacerbées. Tandis qu'aux cris de "Erdogan assassin" la responsabilité du gouvernement islamo-conservateur était pointée par les manifestants samedi soir, celui-ci a répliqué. Le Premier ministre Ahmet Davutoglu a évoqué trois pistes possibles.

Le chef du gouvernement a pointé du doigt trois mouvements susceptibles, selon lui, d'en être l'auteur: le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), le groupe État islamique (EI) et le Parti/Front révolutionnaire de libération du peuple (DHKP-C) d'extrême gauche.

Les pro-kurdes dans le viseur du gouvernement

Si les soupçons se portent naturellement sur Daesh, la difficulté pour le gouvernement est qu'"il n'a jamais reconnu un danger du groupe État islamique en Turquie", explique à BFMTV la politologue Maya Arakon, maître de conférences à Istanbul. Selon elle, "il y existe peu de chances que les auteurs de l'attentat soient connus".

Le chef du gouvernement a pointé du doigt trois mouvements susceptibles, selon lui, d'en être l'auteur: le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), le groupe État islamique (EI) et le Parti/Front révolutionnaire de libération du peuple (DHKP-C) d'extrême gauche.

Une "logique de guerre et de coup d'État"

Le 22 septembre, pour dénoncer une "logique de guerre et de coup d'État" deux ministres du gouvernement intérimaire avaient claqué la porte. Ils étaient issus du HDP, parti pro-kurde qui c'est une première, s'est imposé aux dernières élections comme la quatrième force du pays.

Car le nœud du problème est que l'exécutif turc n'opère pas de distinction entre les actions de guérilla menée par le PKK, opposé au pouvoir central et les combattants kurdes placés en première ligne face à Daesh à la frontière du territoire, comme Kobané. En Irak, l'armée frappe indifféremment les uns et les autres.

Le PKK a, pour sa part, annoncé une trêve, sauf en cas d'attaque de ses membres, après les attentats de la gare d'Ankara. Le HDP, dont une réunion de campagne avait déjà été visée par un attentat à la bombe deux jours avant les législatives de juin, a pointé du doigt la similitude entre l'attentat d'Ankara et celui du 20 juillet à Suruç, près de la frontière syrienne. Trente-trois militants de la cause prokurde avaient été tués. Le massacre avait été attribué au groupe État islamique. C'est dans la foulée de cet attentat que les affrontements entre les autorités turques et le PKK avaient repris.

La droite ultranationaliste du MHP en embuscade

Une autre pièce sur l'échiquier politique turc que le gouvernement se garde de bien de montrer du doigt est le MHP, parti nationaliste et troisième force du pays. Partisan du laissez-faire, le pouvoir en place "tolère depuis quelque mois un déchaînement des forces ultranationalistes turques", explique Alain Gresh, animateur du journal en ligne Orient XXI.

À trois semaines d'élections législatives anticipées, le gouvernement qui ne dispose pas de majorité absolue veut-il déstabiliser l'opposition de gauche en cristallisant les tensions autour de la question kurde? De son côté, la gauche représentée par le CHP, deuxième force politique du pays, accuse Recep Tayyip Erdogan de vouloir présidentialiser et islamiser le régime dans un pays à la tradition laïque pourtant bien établie. La révolte de la place Taksim de 2013, durement réprimée, aura laissé des traces.

David Namias avec Vincent Giraldo et Olivier Boulenc