L'immense cinéaste américain fait l'objet d'une exposition et d'une rétrospective à la Cinémathèque. L'occasion de revenir sur l'engagement de Martin Scorsese dans la création et la sauvegarde du patrimoine cinématographique.
Publié le 11 octobre 2015 à 10h00
Mis à jour le 08 décembre 2020 à 05h55
Pour rendre hommage au travail d'un cinéaste, l'usage veut que les cinémathèques ou les festivals lui consacrent une rétrospective, de préférence intégrale et au moyen de belles copies flambant neuves. Pour Martin Scorsese, cela ne suffit pas tout à fait. Crédité d'une soixantaine de films, courts métrages, documentaires, épisodes de séries télé, le réalisateur est aussi une des grandes figures de proue d'une cinéphilie mondiale, protéiforme, tout autant tournée vers le patrimoine que vers l'avenir. Saisir toutes les facettes de Scorsese, son implication dans la création au travers de ses projets mais aussi dans la sauvegarde de l'histoire du cinéma, est ainsi le principal enjeu de l'exposition que la Cinémathèque française consacre à cet infatigable ambassadeur.
Une culture cinéma colossale
Au travers de centaines d'interviews, Martin Scorsese a souvent expliqué à quel point sa culture cinématographique colossale avait nourri son oeuvre. Depuis sa prime enfance, quand ses parents l'emmenaient dans les salles de New York, voir les classiques et séries B, les films noirs et les néo réalistes italiens, les westerns, les chefs d'oeuvre et les navets, les bandes annonces et les films d'actualité, Scorsese n'a rien oublié. Il n'a cessé durant toute sa carrière, de rendre hommage à ces références en développant un style personnel, identifiable au premier coup d'oeil, traversé par des obsessions intimes et des thèmes qui ont pour origine le parcours d'un enfant d'immigrés italiens dans ce New York des années 1950 et 60. Parmi les innombrables influences qui ont nourri son imaginaire, certaines relèvent de l'évidence, comme celle d'Hitchcock. Et ce n'est certainement pas une coincidence s'il a voulu travailler avec le musicien Bernard Hermann (Taxi Driver), le chef décorateur Henry Burnstead (Les Nerfs à vif), ou les graphistes Saul et Elaine Bas (Le Temps de l'innocence, Casino), autant de grands artistes liés au maître du suspense.
Scorsese mène la révolte
Si les films en disent long sur sa cinéphile, le point sans doute le plus remarquable de sa carrière est sa capacité à mener également une activité fébrile sur le front du patrimoine cinématographique. Dans les années 1970, sa boulimie de films, partagée avec quelques amis, l'amène au constat que le cinéma, art du XXe siècle par excellence, est menacé par l'oubli et la détérioration des oeuvres. Que l'industrie, toute entière tournée vers la fabrication des succès lucratifs de demain, ne se préoccupe guère, sinon pas du tout, d'un corpus qui en constitue l'histoire et la source d'inspiration. Sans relâche, et sans jamais interrompre une carrière prolifique, Scorsese mène la révolte de tous ceux qui exigent que le cinéma prenne lui-même en main son patrimoine.
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Le premier acte de cette campagne au long cours est, à la fin des années 70, la mobilisation, artisanale et passionnée, de tous les cinéastes du monde autour de la qualité de la pellicule qui, pour des question de coûts de fabrication, était devenue un support fragile et condamnée à la détérioration rapide. De lettres enflammées aux laboratoires aux pétitions auprès des studios, Scorsese recueille le soutien de ses pairs, cinéastes contemporains (Woody Allen, Francis Ford Coppola…) mais aussi de grands anciens dont Frank Capra ou Joseph Losey, sans oublier Akira Kurosawa qu'il réussit à convaincre en dix minutes quand le cinéaste japonais est de passage à New York. La démarche porte ses fruits et l'industrie comprend que la question de la sauvegarde du patrimoine constitue bien un enjeu majeur de la création contemporaine. Nouvelle étape décisive, en 1990, avec le concours d'autres cinéastes (Stanley Kubrick, Steven Spielberg, Clint Eastwood...), Scorsese crée la Film Foundation, un programme de restauration de films dont les premiers bénéficiaires sont des classiques comme Eve de Joseph L. Mankievicz ou Qu'elle était verte ma vallée de John Ford. En 2007, il enfonce le clou en créant la World Cinema Foundation qui, dans le même esprit, finance la restauration de films appartenant au patrimoine mondial et menacés de disparition. C'est ainsi que cette nouvelle entité préserve et fait découvrir aux jeunes générations les Révoltés d'Alvarado de Fred Zinnemann et Emilio Gomez Muriel, Manille du Philippin Lino Brocka, ou encore la Servante, chef d'oeuvre du Coréen Kim Ki-young.

Jodie Foster, Robert De Niro et Martin Scorsese sur le tournage de Taxi Driver en 1976. © Martin Scorsese Collection, New York.
Une effervescence permanente
Entretemps, Martin Scorsese n'a pas cessé de tourner ses propres films et d'en produire beaucoup d'autres à un rythme qu'il n'est manifestement pas près de se calmer. Actuellement, il travaille simultanément au montage de sa série télévisée Vinyl, qui sera diffusée l'année prochaine sur HBO, et sur Silence, un film évoquant le périple de deux prêtres jésuites dans le Japon du XVIIe siècle. Et, bien entendu, il poursuit ses activités de producteur et de président de la World Film Foundation. Cette effervescence permanente est le trait qui le définit mais aussi ce qui le nourrit. Et sa capacité à réaliser à à produire de nouveaux films n'a d'égale que son appétit à découvrir et redécouvrir le cinéma des autres. Pour saisir toute la dimension du personnage, le témoignage le plus pertinent tient sans doute dans deux documentaires que Scorsese a réalisé dans les années 90. A la demande du British Film Institute pour célébrer le centenaire de la création du cinéma, il avait signé Un voyage avec Martin Scorsese à travers le cinéma américain, où il détaille une cinéphilie si personnelle, si intime que certains historiens l'ont jugé injuste tant il laisse en marge quelques grands noms sanctifiés d'Hollywood. En 1999, il réitère l'exercice en se consacrant aux réalisateurs italiens (Fellini, Antonioni, Visconti, Rosselini, de Sica) avec l'oeuvre desquels, compte tenu de ses propres origines, il entretient une relation passionnelle (Mon voyage en Italie). Plus encore qu'une célébration du cinéma, ces deux documentaires constituent une autobiographie. Il y évoque, sans compromis, tout ce qui constitue les fondements et les origines de son œuvre et de son identité d'artiste. A propos de son Voyage à travers le cinéma américain, il disait : « Je présume qu'aujourd'hui encore, l'histoire est un savoir qu'on apprend par les autres, c'est ce que j'ai appris en regardant les films. J'essaie seulement de dire : j'ai vu ces films. Ils m'ont profondément marqué. Allez les voir ».