
Une fois encore, Narendra Modi a jeté toutes ses forces dans la bataille, tenant meeting sans compter ses heures et affichant son portrait sur de gigantesques panneaux électoraux en lieu et place du candidat local de sa formation, le Parti du peuple indien (BJP, droite nationaliste hindoue). Les élections législatives partielles qui démarrent lundi 12 octobre dans l’Etat de Bihar et qui s’étaleront jusqu’au 5 novembre constituent pour le premier ministre indien, près de dix-huit mois après son accession au pouvoir, un rendez-vous politique crucial.
Une victoire en solo du BJP serait inédite dans cet Etat du nord-est du sous-continent qui est, avec ses 104 millions d’habitants, le troisième plus peuplé du pays mais aussi le plus pauvre : 40 % de la population y vit avec moins de 1,25 dollar par jour.
La question religieuse au centre des débats
Les dernières heures de campagne n’ont pas été glorieuses et les sondages sont extrêmement indécis. Narendra Modi et les adversaires locaux du BJP se sont accusés mutuellement d’être « le diable » et « le démon » mais c’est la question religieuse qui a fini par monopoliser les débats, après le lynchage à mort, fin septembre, d’un musulman soupçonné à tort par ses voisins hindous d’avoir mangé de la viande de bœuf dans l’Etat voisin de l’Uttar Pradesh.
« M. Modi a prononcé des discours d’une grande platitude avant de faire monter la température entre communautés à propos de la vache. Ses amis du BJP ont assuré les électeurs qu’en cas de victoire de la gauche, des abattoirs de bovins seraient ouverts dans tous les districts du Bihar, ce qui n’a aucun sens puisque la loi l’interdit depuis 1955 », relève Apoorvanand Jha, professeur d’hindi à l’université de New Delhi et originaire du Bihar.

Dans ce contexte, il ne faut pas s’étonner que le All India Majlis-e-Ittehadul Muslimeen (AIMIM), jeune parti musulman d’Hyderabad qui s’est implanté l’an dernier à Bombay, ait décidé de présenter des candidats au Bihar, estime Tarushikha Sarvesh, chercheuse à l’Institut des sciences sociales Govind Ballabh Pant d’Allahabad. « La question n’est plus d’être pour ou contre la laïcité, ce scrutin va conduire à une polarisation des suffrages autour de critères religieux », prédit-elle.
Taux de croissance de 11 %
Cette thématique aura occulté en tout état de cause l’analyse du bilan du dirigeant sortant du Bihar, au pouvoir depuis 2005. Selon une enquête du Centre d’étude des sociétés en développement de New Delhi (CSDS), Nitish Kumar (Janata Dal (United), centre gauche), est « aussi populaire que son bilan est impopulaire ». Il peut se targuer d’avoir porté la croissance économique annuelle du Bihar à 11 % en moyenne, grâce au développement des infrastructures et à une lutte sévère contre la criminalité.
Il a en revanche échoué en matière d’éducation : le taux d’alphabétisation de ses administrés reste de 10 points inférieur à la moyenne nationale (74 %). Lui qui s’était allié au BJP la fois précédente a pris le risque, pour briguer un quatrième mandat, de former un tandem avec le sulfureux Lalu Prasad Yadav (Parti du peuple national, RJD), ministre en chef du Bihar dans les années 1990, poursuivi en justice pour de nombreuses affaires de corruption.

Pour Narendra Modi, gagner le Bihar ferait oublier le résultat en demi-teinte des élections de fin 2014 au Jammu-et-Cachemire, où le BJP, arrivé en deuxième position, avait du négocier sa place dans un gouvernement local de coalition. Et ce serait surtout l’occasion de laver l’affront du scrutin régional de Delhi qui s’était soldé, au mois de février 2015, par une déroute historique du BJP face au Parti de l’homme ordinaire (AAP), dirigé par le populiste Arvind Kejriwal.
Le second enjeu du premier ministre indien se situe à plus long terme. Il consiste à obtenir, avant la fin de son quinquennat, en 2019, le contrôle de la Rajya Sabha (Conseil des Etats), la chambre haute du Parlement. S’il dispose à lui seul de la majorité à la chambre des députés, le BJP est en effet très minoritaire au Sénat, avec seulement 48 sièges sur 245. Par le jeu du mode de scrutin indirect et du renouvellement continu des sénateurs, il pourrait grignoter du terrain s’il devenait maître du Bihar cette année, puis du Bengale occidental l’an prochain et de l’Uttar Pradesh en 2017.
Dans l’attente de jours meilleurs, Narendra Modi est confronté, dans cet hémicycle, à la résistance musclée du Parti du Congrès et de ses alliés, lesquels ont réussi cet été à faire annuler le projet de loi devant assouplir le droit des expropriations pour accélérer les grands chantiers d’infrastructures. M. Modi y a certainement pensé en arpentant les terres du Bihar.
Voir les contributions
Réutiliser ce contenu