
INTERNATIONAL - Si cela se confirme, il s'agirait (officiellement) d'une première. Ce lundi 12 octobre, une source gouvernementale a indiqué que les frappes françaises en Syrie ont "tué des jihadistes", parmi lesquels "il pourrait y avoir des jihadistes français". Menées depuis fin septembre, ces frappes sont justifiées par la France "au nom de la légitime défense" face au risque de nouveaux attentats.
Intégré en droit international dans le pacte de la Société des Nations (1919), le concept de légitime défense est reconnu par l'article 51 de la Charte des Nations unies, qu'a invoqué le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian. Cet article fait de la légitime défense "un droit naturel", "dans le cas où un membre des Nations unies est l'objet d'une agression armée jusqu'à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales".
La France a décidé de "frapper Daech au nom de la légitime défense puisque Daech prépare depuis la Syrie des attentats contre la France", a encore souligné dimanche Manuel Valls. Une justification "peut-être légitime, mais elle ne paraît pas légale", juge pourtant la Fédération internationale des droits de l'Homme ce lundi. Quoi qu'il en soit, la France n'est pas la première à invoquer la légitime défense pour justifier une intervention, voire tuer ses ressortissants:
La légitime défense a souvent été invoquée ces dernières décennies pour justifier une intervention armée ou des assassinats ciblés, parfois de manière préventive. Elle a aussi servi à des Etats pour justifier une intervention au nom d'accords avec d'autres pays, dans le cadre d'une légitime défense collective. On peut citer plusieurs exemples, durant la Guerre Froide, impliquant aussi bien les Etats-Unis que l'URSS.
C'est ainsi dans ce cadre que les Etats-Unis sont intervenus au Vietnam à partir de 1955, avec l'objectif de défendre la République du Vietnam (régime nationaliste, au Sud) dans son conflit avec la République démocratique du Vietnam (régime soutenu par le bloc de l'Est et la Chine, au Nord) de Hô Chi Minh. En 1958, les Etats-Unis sont aussi intervenus au Liban pour soutenir le président pro-occidental Camille Chamoun face à un risque de révolution.
Dans le même registre, on peut citer la première guerre en Afghanistan (1979-1989). Pour venir en aide au gouvernement qui lui était favorable et face à l'insurrection des moudjahiddines soutenus par les Etats-Unis, l'URSS a envahi le pays sans pour autant être directement agressé. Même cas de figure plus récemment avec les frappes russes menées en Syrie au nom de la lutte contre le terrorisme et surtout en réponse à la demande d'aide militaire de Bachar el-Assad.
Pour justifier ses frappes en Syrie, la France a mis en avant le risque de nouveaux attentats contre ses intérêts qui pourraient être préparés dans les camps de jihadistes. Une interprétation du droit international qui pose question, tout comme la définition d'"agression armée" censée précéder toute intervention. Avant la France, d'autres Etats, à l'image d'Israël, ont invoqué cet aspect préventif dans le passé.
Sans avoir été victime d'une agression armée, l'Etat hébreu a ainsi déclenché (et remporté) en 1967 la guerre des Six Jours contre l'Egypte, la Syrie et la Jordanie. L'objectif? Se prémunir contre une attaque conjointe des pays arabes, dans un contexte de très fortes tensions dans la région et alors que le président égyptien Gamal Abdel Nasser a évoqué la "destruction d'Israël" comme l'objectif du peuple arabe.
Plus récemment, les Etats-Unis ont justifié l'intervention de 2003 en Irak par la présence d'armes de destruction massive qui, selon Washington à l'époque, représentaient une menace pour les Etats-Unis et légitimaient donc une guerre "préventive". La coalition menée par les Etats-Unis a finalement attaqué l'Irak sans l'aval des Nations Unies et la présence d'armes de destruction massive n'a jamais été confirmée par la suite.
Particulièrement depuis les attentats du 11 septembre, et grâce au développement des drones, la pratique des assassinats ciblés - ou exécutions "extra-judiciaires" - s'est accrue ces dernières années. Le Premier ministre britannique David Cameron a ainsi récemment justifié par la légitime défense l'élimination, dans un tir de drone de l'armée britannique près de la ville syrienne de Raqqa le 21 août, de deux jeunes Anglais membres du groupe Etat islamique, dans leur voiture.
Dans un dossier consacré aux "targeted killings", l'Université Libre de Bruxelles explique que cette stratégie est utilisée par les Etats-Unis "dans leur lutte contre le terrorisme international". "Ces frappes sont souvent menées "au moyen d’un drone 'Predator', véhicule volant sans pilote permettant d’atteindre des cibles à 'haute valeur ajoutée', quel que soit l’endroit où elles se trouvent, et de ne pas risquer la vie de citoyens américains", peut-on lire dans cette étude.
Ces derniers mois, plusieurs hauts responsables du groupe Etat islamique ou d'Al Qaïda ont été tués dans des attaques de drones, à l'image du chef d'Al-Qaïda au Yémen, groupe qui avait revendiqué l'attentat contre Charlie Hebdo. L'administration américaine a aussi récemment invoqué le fameux article 51 de la Charte des Nations unies pour justifier l'élimination de trois ressortissants américains vivant au Yémen, soupçonnés d'avoir rejoint les rangs d'Al Qaïda.